Atlantico.fr - 23.11.2014
par Gilles Gaetner(*)
Le plagiat a encore de belles heures devant lui. Témoin, la directrice de l’École de journalisme de Sciences po suspectée de copié-collé. Ce qu’elle dément farouchement. Avant elle, d’autres journalistes ou écrivains ont été épinglés. Voici un peu d’histoire inspirée – mais sans plagiat – du livre "Les Plagiaires - Le nouveau dictionnaire" de Roland de Chaudenay…
Agnès Chauveau, directrice de l’École de journalisme de Sciences Po vient d’être suspendue provisoirement pour cause de plagiat lors de ses chroniques parues sur le site Huffington Post;
Elle se défend, au cours d’un entretien à Atlantico, d’avoir commis la moindre faute. Faisant savoir qu’elle se battra pour défendre son « honneur professionnel »;
L’année dernière est née une nouvelle forme de plagiat : le plagiat par interview. Son inventeur : Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
Le plagiat, pour les écrivains, comme pour les journalistes est l’un des plus vieux métiers du monde.
Pensez donc, le copié-collé est d’une telle facilité, pourquoi s’en priver ? Pourquoi faire des efforts, chercher à écrire dans un style léché, vif, original quand, juste à côté de soi, un confrère a déjà fait le travail ? Oui, pourquoi, sans le dire à personne, ne pas céder à la tentation ? C’est ce que semble avoir fait la directrice exécutive de l’École de journalisme de Sciences po, Agnès Chauveau, qui a repris dans ses chroniques publiées sur le site Huffington Post des papiers provenant du Monde, Mediapart, RFI, d’Arrêt sur Images de Daniel Schneidermann… en omettant de citer les sources.
Sacrément étourdie, Agnès Chauveau ! Du coup, le directeur général délégué de l’École, Bruno Patino, qui a appris ces oublis, lui a demandé de se mettre en congé provisoire de ses fonctions. Le temps de vérifier si réellement entorse à la déontologie il y a eu. Et de préciser, le 17 novembre, dans un mail adressé aux étudiants et enseignants : « Le plagiat est une affaire sérieuse en matière de journalisme. L’École, qui enseigne la déontologie, ne peut prendre ce genre de choses à la légère. » Cette péripétie a secoué les étudiants. Certains esprits ironiques diront que Rabelais, Descartes, Corneille, Molière étaient des copieurs. Et que le grand Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, s’est largement inspiré de La Marmite de Plaute pour écrire L’Avare… Tout cela est vrai. Sauf que ces quatre-là avaient une bonne dose de génie. Et que, surtout, en revisitant les textes originaux, ils allaient au-delà de l’imitation pour entrer dans la zone imaginaire de la création. Ce qui aurait manqué à la directrice de l’École de journalisme de Sciences Po. Interrogée le 21 novembre, par Atlantico, Agnès Chauveau, visiblement sonnée, se défend: « Lisez mes chroniques, vous verrez que ce ne sont que des bouts de phrase qui sont reprises. Comment peut-on parler de plagiat ? D’ailleurs, dans ces chroniques, qui n’ont rien de révolutionnaire, je n’exprime que mon point de vue et pas celui d’un autre. » Agnès Chauveau laisserait-elle entendre, dans cette histoire, qu’elle serait victime d’un règlement de comptes ? Attendons la suite…
À l’École, tout le monde connait son caractère disons rugueux… Néanmoins combative, elle poursuit : « Vous comprendrez que mon honneur professionnel est en jeu. Aujourd’hui, je n’ai pas l’intention de relancer le buzz. Je m’exprimerai plus tard. » Mais là où cette affaire pourrait se compliquer, c’est qu’Agnès Chauveau aurait mis de côté une autre règle : l’interdiction pour un fonctionnaire ou un agent public d’occuper un emploi de gérant dans une entreprise. Or, d’après les documents en notre possession, elle apparaît, depuis le 7 mai 2014, comme l’un des sept gérants de la société Huffington Post Holding Maghreb Group, entité de droit luxembourgeois. Cette société en nom collectif, domiciliée 67, boulevard Grande-Duchesse Charlotte à Luxembourg, est l’un des derniers sites lancés par le Huffington Post dont AOL a pris le contrôle en 2011. Cela dit, si Agnès Chauveau n’a plus le statut d’agent public ou de fonctionnaire, sa gérance luxembourgeoise ne pose aucun problème… Interrogée sur son statut, Agnès Chauveau, si elle n’a pas souhaité répondre à Atlantico, s’est montrée en revanche catégorique sur un point : « Je n’ai jamais été gérante d’une société de droit luxembourgeois. » Une réponse martelée à deux reprises, toujours le 21 novembre, lors d’un entretien téléphonique que nous avons eu avec elle.
Le plagiat, que l’on ne doit confondre ni avec le pastiche ni avec l’allusion, la contre-façon, dont le synonyme serait pillage, existe depuis le milieu du XVème siècle, époque où commence à poindre l’imprimerie. Ce qui n’a rien de surprenant. L’un des tout premiers pilleurs aurait pour nom Blaise d’Auriol (1470-1540). Il aimait tellement les poèmes de Charles d’Orléans qu’il les copia dans La Départie d’Amour. C’est ce qu’écrit Roland de Chaudenay, dans son livre Les Plagiaires - Le nouveau dictionnaire paru chez Perrin… Passèrent les siècles. Passèrent les copieurs-colleurs. Certains ayant des scrupules, comme Jean Anouilh, qui, gêné d’avoir repris dans Ardèle des scènes très proches de « Victor ou les enfants au pouvoir » de Roger Vitrac, demanda à ce dernier : « Est-ce que je laisse tout ? » Vitrac répondit « Mais bien sûr ! »
Dans la plupart des cas, le journaliste ou l’écrivain qui reçoit l’inspiration par une sorte de transmission de pensée, dont il éprouve beaucoup de difficultés à expliquer le cheminement, ne s’embarrasse pas des scrupules de Jean Anouilh. Pourtant, quand il est pris la main dans le sac, étant dans l’impossibilité de justifier ce vol, il avoue. Tout penaud. Telle a été la stratégie de Thierry Ardisson en 1993 avec la parution de son livre « Pondichéry » ( Albin Michel). Cette année-là, un lecteur plus curieux qu’un autre découvre que le livre de l’animateur de télévision comporte une soixantaine de pages plagiées dans le livre « Créole et grande dame », signée d’une illustre inconnue Yvonne Robert-Gaebele. Sans doute, ce lecteur scrupuleux, un professeur de l’Ile de la Réunion, était-il un admirateur d’Yvonne ! Démonstration du copié-collé. Voilà ce qu’écrit la dame de lettres : « Étendue sur une bergère, près de la cheminée, ramenant frileusement sur elle les couvertures qui devaient réchauffer ses pauvres jambes percluses de douleur, son regard s’arrêtait aux vitres closes, battues de pluie ou constellées de givre, par où l’on apercevait les silhouettes dénudées des hauts tilleuls qui bordaient l’avenue du jardin. » Voilà ce qu’écrit Ardisson : « Étendue sur une bergère près de la cheminée dans la grande chambre à alcôve tendue de velours cramoisi, ramenant frileusement sur ses pauvres jambes percluses de douleurs une couverture qui ne la réchauffait plus (…) Seule, à travers un carreau martelé par la pluie ou constellé de givre, la silhouette des hauts tilleuls qui bordaient l’avenue du jardin. »
Sitôt révélé ce copiage, que Ardisson, beau joueur, reconnaît dans France-Soir du 14 février 1994 : « C’est une connerie, c’est vrai. J’ai piqué 70 lignes sur un bouquin de 300 pages. ( …) C’est une bêtise. Mais cela ne m’empêchera pas d’en écrire un autre. » Joseph Macé-Scaron, actuel directeur de la rédaction de Marianne avait également été pris la main dans le sac il y a quelques années avec son roman « Ticket d’entrée » paru chez Grasset. Incontestablement, certains passages provenaient tout de droit d’American Rigolos de Bill Bryson. Le journaliste parlera « d’emprunt », « d’intertextualité » avant d’admettre : « Oui, j’ai fait une connerie ».
Au début de l’année 2011, sous la plume de Jérôme Dupuis, expert en l’art de dénicher les plagiats, paraissait dans l’Express un article révélant que la biographie de Patrick Poivre d’Arvor sur Ernest Hemingway – «Hemingway, la vie jusqu’à l’excès » - comportait une centaine de pages qui semblaient nettement inspirées d’une autre biographie, signée Peter Griffin parue en 1985… Le papier de Dupuis portait un coup à la réputation de l’ex-présentateur vedette de TF1. En guise d’explication l’éditeur, Arthaud, fera valoir que la version envoyée à la presse – et dont le journaliste de l’Express – avait eu connaissance n’était qu’un plan de travail provisoire… Quelques années avant Patrick Poivre d’Arvor, Calixthe Beyala, écrivaine réputée, sera elle aussi soupçonnée de « copiage et de collage » à deux reprises. C’est d’abord Le Canard Enchaîné qui révèle que « Le petit Prince de Belleville » publié en 1992 comporte des passages piqués chez d’autres auteurs, notamment chez Howard Buten, auteur de « Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué » ( Seuil). Bis repetita avec Assèze l’ Africaine publié en 1994, lorsque sa consœur Paule Constant découvre de grandes similitudes avec son roman « White Spirit. » La dame, dont on ne parle plus guère ces temps-ci, dira être victime de gens mal intentionnés. Et l’on pourrait recenser d’autres copieurs célèbres : Jacques Attali, l’ancien conseiller de François Mitterrand, qui a emprunté pas mal de phrases à Ernest Jünger et Jean-Pierre Vernant pour écrire « Histoires du temps. » Ou encore Irène Frain, dont le roman « Guirlande de Julie », paru chez Robert Laffont, offre des similitudes à la lecture de certains passages avec une thèse de Denis Lopez publiée en 1987 « La Plume et l’Épée de Montausier. »
En général, le plagiaire « pompe » des livres, des articles écrits trois ou quatre ans auparavant. Quelle manque de prudence! Le pot-aux-roses sera forcément mis au jour… Dans ces conditions, faut-il attendre que l’œuvre copiée ait été écrite dix, voire vingt ans auparavant pour être serein ? Erreur. Un journaliste du Figaro en a fait les frais, il y a une trentaine d’années. C’était dans les années 75-76. Après être parti en reportage au Vietnam, il était revenu écrire son papier à Paris. Classique.
L’article fut publié. Normal. Passèrent quelques semaines quand la direction du Figaro reçut une lettre d’un fidèle abonné qui s’étonnait de la ressemblance frappante avec un papier du célèbre Max-Olivier Lacamp paru au moment de la guerre d’Indochine. Soit 20 ans plus tôt. Au Figaro, on fut sidéré par cette histoire et surtout (par) la mémoire de l’abonné. Quant au journaliste imprudent, il fut mis à pied deux jours… Ce que l’on semblait ignorer au vénérable quotidien, c’est que (ce rédacteur) était un récidiviste. Déjà, en 1967, il avait été soupçonné de s’être inspiré un peu trop d’articles rédigés dans une revue sur la Sokka Gakai, la secte japonaise. Un soupçon étayé car le tribunal correctionnel de Paris l’avait condamné à 10 000 francs de dommages et intérêts et 1 200 francs d’amende.
À ces exemples – classiques – du plagiat, dont l’expression la plus courante est le copié-collé, s’ajoute une nouvelle technique décortiquée par le perspicace Jérôme Dupuis : celle de l’interview au cours de laquelle l’interviewé ne répond pas lui-même… pour se faire substituer par les citations d’un autre. Une technique, on l’a compris, qui ne peut se faire que dans la presse écrite. Elle a été inaugurée, si l’on peut dire, le 5 avril 2013, par Patrick Buisson, ex-conseiller très écouté de Nicolas Sarkozy, lors d’une vraie-fausse interview au Figaro Magazine. Dans la dite interview, intitulée « L’État nous impose une religion séculière » et étalée sur quatre pages, Buisson citait Péguy, Chesterton, Baudelaire, Nietzsche, Marx, Murray mais laissait de côté Jean-Louis Harouel, professeur de droit à l’Université Paris II. Certaines réponses de l’interview, sans guillemets, censées être de Buisson, reprenaient des passages du livre du professeur Harouel « Le vrai génie du christianisme », publié en septembre 2012 aux éditions Jean-Cyrille Godefroy. Et Jérôme Dupuis, en guise de démonstration, citait quelques exemples de plagiat. Page 212 du livre d’Harouel : « Socle d’une extension indéfinie des droits de l’homme, la religion de l’humanité est la religion officielle. (…), un système politico-religieux réglementariste, coercitif et répressif » Dans Le Figaro-Magazine, version Buisson : « (…) « Socle de l’extension indéfinie des droits de l’homme, est devenue une religion d’État (…) par le biais d’un appareil réglementariste, coercitif et répressif »… « Polémique dérisoire » répondra Buisson à son accusateur, l’accusant à son tour d’avoir emprunté des formules au philosophe Marcel Gauchet et à Charles Péguy.
Étrange population que celle des plagiaires. Pris en flagrant délit de trucage, de pillage et d’escamotage, ils sont incapables de reconnaitre leurs égarements. Sûrs de leur bon droit, ils sont, à quelques exceptions près, incapables d’admettre qu’ils ont triché. Toujours prêts à ergoter. Percera-t-on un jour les ressorts intimes du plagiaire, qui ne peut ignorer qu’un jour ou l’autre il sera démasqué ? Ne serait-il, selon l’expression du psychanalyste Michel Schneider, qu’un « voleur de mots ? »
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(*) Gilles Gaetner est journaliste d'investigation chez Atlantico. Il a été journaliste aux Echos, à la Vie française, au Point et de 1986 à 2009, rédacteur en chef adjoint à l'Express, chargé de l'investigation.
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