Le Point.fr - Publié le 06/04/2011
Par Emmanuel Berretta
Le rapport Chevalier énumère les pistes pour sortir la fiction française de la mièvrerie. Moteur !
La densité d'écriture des séries américaines n'a pas d'égale en France. Triste constat partagé tant au CSA que par la mission Chevalier dont le rapport vient d'être remis à Frédéric Mitterrand. Les grilles de programme de TF1 et M6 sont ainsi constellées de séries "made in Hollywood". La Une s'accroche aux Experts tel un naufragé sur un esquif, et M6 biberonne du NCIS et du Lie to mie jusqu'à plus soif. Dans ce paysage, même le service public ne doit son salut audimétrique qu'à la présence de Cold Case et The Closer sur ses antennes les lundis. La France est le seul pays européen à ne pas avoir adapté son outil de production.
La responsabilité de France Télévisions est énorme compte tenu de ses obligations de production qui l'obligent à déverser plus de 280 millions d'euros sur le tissu de la production française. Un tissu en forme de patchwork où pullulent les petits artisans qui vivotent avec une ou deux fictions par an. Parce qu'il fallait arroser tout le monde, jamais les dirigeants de France Télévisions n'ont osé concentrer les commandes sur quelques acteurs capables, non pas de "s'en mettre plein les poches" (ça, tout le monde sait faire), mais de développer des scénarios pour ne tourner que les meilleurs.
Mettre fin au saupoudrage des commandes
Pour jeter le médiocre à la poubelle, arrêter un projet tant qu'il est temps, renoncer à une fausse bonne idée, il faut avoir les épaules assez larges. Pour un petit producteur qui ne gagne sa vie qu'une fois par an, c'est un drame social. Patrick de Carolis et Patrice Duhamel, et avant eux Marc Tessier, ont une responsabilité majeure. Rémy Pflimlin, leur successeur, veut rompre avec la tradition du saupoudrage. Chez les producteurs, tous ne passeront pas la rampe...
Le rapport Chevalier repart donc de la base : le scénariste. Sous-payé, le scribouillard de base est obligé, pour joindre les deux bouts, d'écrire, bien souvent, plusieurs scénarios en même temps pour le compte de plusieurs producteurs. Pas étonnant qu'à la fin ses dialogues tombent à plat au milieu d'intrigues bâclées. Sans compter la mauvaise habitude des chaînes de télévision tendant à brider l'imagination des créateurs à base de préceptes marketing oiseux et de frilosité mal placée. Le CSA, en gardien des moeurs, est venu, par-dessus, limiter le nombre de soirées signalées "moins de 12 ans". Les chaînes ont donc réservé ces cases aux films américains, plus transgressifs. Résultat : les fictions françaises sont uniquement conçues pour les cases "tout public", d'où leur mièvrerie. Le rapport Chevalier préconise de réserver 60 % des cases "moins de 12 ans" aux oeuvres européennes, dont 40 % aux oeuvres d'expression françaises.
Sécuriser les scénaristes
Les scénaristes français sont uniquement payés en droit d'auteur et, parfois, en droit de diffusion. Pas de salaire, contrairement aux réalisateurs. Ils ne sont pas non plus intermittents du spectacle. Ils n'ont donc droit à aucune indemnité de chômage, ni aux congés payés. Le scénariste qui travaille au développement d'une série assume donc tous les risques... En outre, sa rémunération est souvent calée sur le format de la fiction. Comme si écrire un 52 minutes demandait deux fois moins de temps et de sueur qu'un 90 minutes. Cette proportionnalité mathématique est absurde ; elle ne correspond pas à la réalité artistique. Les rémunérations pour un 26 minutes sont encore plus basses... Autre aberration des contrats : on rémunère mieux les dialogues que les séquenciers, qui forment pourtant l'essentiel de la structure d'une série...
L'écriture en atelier "à l'américaine" est l'avenir du scénario selon le principe qu'on est plus intelligents à plusieurs que seul devant sa copie. Mais, comme le note le rapport Chevalier, l'écriture en atelier a un prix plus élevé : environ 30 % plus cher qu'une commande à l'auteur unique. Il s'agit, en effet, de payer plusieurs scénaristes sous la conduite d'un "scénariste-cadre" (le showrunner des Américains). Avant d'écrire quoi que ce soit, cette petite équipe d'auteurs réfléchit aux personnages et aux arches narratives. Selon la SACD, rien ne s'opposerait à ce que l'on salarie des auteurs dans ce cadre sous la forme de CDD de six mois. Cette sécurité serait le gage d'un investissement exclusif des scénaristes pour une écriture de meilleure qualité.
TF1 s'est mise aux ateliers d'écriture avec Section de recherche, RIS. France 3 également avec Plus belle la vie ou encore Le village français. Il faudrait amplifier ce mouvement. Rémy Pflimlin s'y est engagé et prépare un accord-cadre avec la SACD afin d'encadrer les développements de séries et leur financement. Selon le rapport Chevalier, le CNC devrait prendre part à cet effort en amont du tournage en bloquant une "enveloppe développement" correspondant à 10 % du soutien généré.