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 Quand l'Algérie s'éveillera...

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Ghania

Ghania


Nombre de messages : 273
Date d'inscription : 14/05/2007

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MessageSujet: Quand l'Algérie s'éveillera...   Quand l'Algérie s'éveillera... EmptyDim 29 Juin - 15:27

Le Figaro.fr - 27.06.2014
Propos recueillis par Théophane Le Méné
     
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FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Kamel Daoud, écrivain algérien et figure d'opposition au régime de Bouteflika, nous livre sa vision de l'Algérie, où, sous la chape de plomb de l'immobilisme du régime, bouillonne une révolte qui tôt ou tard, promet de s'éveiller.

Kamel Daoud, écrivain et journaliste algérien d'expression française, est une figure d'opposition au régime de Bouteflika. Son dernier roman, « Meursault, contre-enquête » vient de paraître aux Editions Actes Sud.

Le 17 avril dernier, Abdelaziz Bouteflika était réélu à la présidence de la République pour la quatrième fois avec plus de 80% des suffrages exprimés. En Algérie, le changement n'est pas pour maintenant?

Apparemment non. Le pouvoir a réussi à « clientéliser » de larges pans de la société, les Algériens ont peur du « printemps arabe » avec les images de la Syrie et le chaos en Libye ou les violences en Égypte. En sus, il n'y a pas encore de proposition alternative crédible au régime. C'est le choix de la peur. Sauf qu'il faut savoir que le taux d'abstention a été le plus important depuis des décennies: les Algériens n'ont pas voté. Ils n'ont pas choisi le régime, mais ils n'ont pas choisi le « changement ». Beaucoup ont espéré une transition douce, mais le régime en semble incapable et redoute des règlements de comptes entre clans. Le régime a gagné un sursis, encore un autre. En Algérie, le régime ne tue pas les gens, il tue le temps.

Le printemps arabe n'a pas eu lieu en Algérie. Pour autant, on sent une exaspération de la population algérienne avec le pouvoir en place. Pensez-vous que les années à venir sont susceptibles de rebattre les cartes? Quels scénarios sont envisageables?

Ma conviction est qu'on est dans une situation de blocage total qui ne se résoudra que par la violence, un jour ou l'autre. L'équilibre actuel, bâti sur la distribution de la rente pétrolière contre la « paix sociale » ne tiendra pas longtemps. Le conflit est énorme entre une majorité démographique jeune et une minorité qui tient le pouvoir. Il n'y a pas de loisir dans ce pays, pas de concept du bonheur; la religiosité est un étouffoir et la corruption est énorme. Le tout mène au mur, d'autant que le régime ne pense plus, désormais, qu'à sa survie, à ses biens immobiliers en Occident et à ses avions pour s'assurer une fuite à la Ben Ali, le cas échéant. Le pire, c'est que le régime, même de bonne foi (et elle existe chez certains), est profondément autiste: il ne voit rien de ce qui se passe et croit que l'on peut tout résoudre par l'argent. Bouteflika n'est pas le Père du peuple mais son beau-père: il ne semble pas comprendre, ni le vouloir.

Peut-on dire que l'islamisme est une problématique résolue en Algérie? Auquel cas, pouvez-vous entendre que les puissances occidentales préfèrent composer avec Bouteflika?

L'islamisme algérien a énormément perdu de sa crédibilité, de sa capacité d'offres politiques et de mobilisation. Les Algériens ont découvert que les islamistes ne représentent pas l'islam mais des intérêts, des classes, des ambitions personnelles. La guerre des années 90 a été le choc et l'électrochoc en même temps. Aujourd'hui, il existe en Algérie ce qui n'existe pas dans le reste du monde arabe: un multi-islamisme. Presque vingt partis islamistes sont en lutte entre eux. Cet émiettement les affaiblit et les décrédibilise. Quant à Bouteflika? Oui je pense qu'il est la moins pire solution pour les Occidentaux. Il vend remarquablement trois produits du Sud: le pétrole, la stabilité et la coopération anti-migration et anti-terroriste. Avec en bonus, les grands contrats d'équipements en Algérie. Entre le Conseil Libyen, le boucher de Damas, un Morsi ou un Sissi, l'Occident préfère le dernier civil arabe: Bouteflika.

Que pensez-vous justement du rôle de la France dans le jeu diplomatique avec Alger? En quoi la France devrait le changer?

La France est le grand électeur en Algérie. Vrai ou faux, les Algériens le pensent. Et la proximité de Bouteflika avec la France le rend fort, puissant et investi de puissance aux yeux de ses adversaires. La France mise sur Bouteflika et les Algériens en sont convaincus. Elle ne changera d'attitude que lorsque le régime changera. Et le régime ne changera que lorsqu'elle changera d'alliés.

Vous êtes une figure d'opposition au régime. Votre existence médiatique n'est-elle pas une preuve, à elle seule, d'une certaine acceptation démocratique de la part du pouvoir?

On a, en Algérie, une liberté d'expression qui n'existe pas ailleurs, ou si peu, dans le monde arabe. C'est un bon slogan pour le prestige du régime mais aussi une manière de lutter et de parler et témoigner. J'ai pour habitude de dire que si le régime se sert de moi comme alibi, moi je me sers de cette liberté pour le dénoncer. Les livres d'histoire diront qui gagnera. Dans la réalité, cette liberté est bien balisée: je suis francophone, cela limite l'audience. En sus, même en usant de l'arabe classique, vous vous adressez à des élites. Il n'y pas de journaux algériens en langue algérienne et cette liberté est aujourd'hui menacée par les lobbies d'annonceurs qui dépendent de lobbies politiques. La censure s'est professionnalisée, comme chez vous. On peut parler de tout, sauf de deux ou trois choses, selon les moments. Il n'y pas de règles, mais des règles de prudence. Quand le régime est instable, il devient dangereux pour lui-même et pour la liberté d'expression.

Votre roman « Meursault, contre-enquête » vient de paraître aux Éditions Actes Sud. Une trame qui s'articule autour d'un dialogue entre Meursault et l'arabe qu'il a tué. Kamel Daoud l'écrivain chercherait-il par-là à sortir du cercle de l'absurde?

Non, à l'assumer. Je suis l'enfant de deux prisons: l'histoire officielle et la religion. La première, au nom de la guerre de libération m'a volé la mémoire que je pouvais avoir de mon pays et ma terre. La seconde s'est accaparée le ciel. Reste la mer mais je ne suis pas intéressé par la chaloupe et l'immigration clandestine. Camus m'avait réintroduit à l'évidente absurdité de la condition humaine. Son coté inexplicable à assumer - qui en fait la splendeur - et la solitude. Avec l'absurde, je comprends mieux la grossièreté des idéologies qui tentent de l'expliquer définitivement. Il m'a donné du sens en m'ôtant les sens admis. Pour le roman, c'est surtout une exploration du présent par effet miroir sur une fable du passé: celle d'un Meursault qui tue un arabe sans nom. J'ai voulu lui donner un nom et m'en servir pour continuer à parler. Meursault parle d'un arabe mort. Moi je parle d'un algérien blessé.

(http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/06/27/31002-20140627ARTFIG00343-quand-l-algerie-s-eveillera.php)
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