Le Parisien.fr - 22.05.2014
par Marc Lomazzi
ILLUSTRATION. Dans un livre intitulé «Fisc, ses secrets révélés», Éric Lecocq, un ancien contrôleur des impôts dévoile les dessous d'une administration méconnue et les techniques de ses agents pour traquer les fraudeurs.
Revenus tronqués, TVA passée à la trappe, comptes offshore... tous les trucs pour frauder le fisc, Éric Lecocq les connaît par cœur. Et pour cause, cet avocat fiscaliste, qui officie aujourd'hui dans le plus grand cabinet juridique du pays, a été pendant onze ans contrôleur des impôts. Alors que les Français ont rempli ou remplissent encore leurs déclarations de revenus, l'ancien fonctionnaire, excédé par la fronde anti-impôts des bonnets rouges et dégoûté par l'affaire Cahuzac, a décidé de raconter sa vie de fin limier du fisc.
Dans ce récit étonnant, souvent drôle, paru chez Flammarion sous le titre "Fisc, ses secrets révélés", l'auteur nous fait découvrir les arcanes d'une administration méconnue et de ses contrôleurs, à mi-chemin du rond de cuir et du détective privé. Frais émoulu non pas de l'ENA mais de l'ENI (École nationale des impôts), installée par Giscard en Auvergne, le jeune inspecteur décroche son premier poste dans le quartier des Halles à Paris. « Je passais mon temps, raconte-t-il, à contrôler les péripatéticiennes de la rue Saint-Denis » et à estimer leurs revenus à partir des fiches de la Brigade mondaine.
Big Brother fiscal
Au fil des pages, on découvre les dessous d'un métier dans lequel le jeune inspecteur, barbu et chevelu est surnommé "Jésus" pour son côté redresseur de torts. Il raconte les tentatives de corruption, les collègues ripoux et livre au passage quelques secrets maison comme ce département des "renseignements permanents". Une sorte de Big Brother fiscal : « vous achetiez, une voiture, la carte grise apparaissait à l'écran, une maison, l'acte de vente ressortait à la même vitesse et le fisc pouvait lire en quelques minutes toutes vos fiches de paie ». Aujourd'hui, ce RG des impôts s'est modernisé avec la création d'un super logiciel des informations fiscales.
Des "caisses noires" pour payer les informateurs du fisc
Autre révélation, le système de rémunération d'un agent du fisc, qui démarre à environ 2000 euros par mois, comprend une "prime de rendement", équivalente à un mois de salaire, voire plus en fonction de la note attribuée par la hiérarchie. Ceux qui savent "flairer les mensonges, renifler les faux-semblants et démasquer les bluffeurs". Avec l'aide précieuse des "aviseurs", ces citoyens dénonçant au fisc les agissements du voisin. "Dans une entreprise, ce peut-être un expert comptable qui n'a pas eu ce qu'il souhaitait et vous indique où se trouve le double comptabilité", confie Eric Lecocq. «Une seule règle, aucune dénonciation ne doit être anonyme.» Et ces "aviseurs" étaient rémunérés - 10% en général du montant du redressement via des "caisses noires."
À Bercy, une cellule traque le train de vie des stars
Plus étonnant encore, l'ex-contrôleur fiscal raconte qu'à Bercy, siège de la direction des impôts, il existait une cellule spéciale VIP au sein de laquelle « des fonctionnaires sont appointés pour surligner au stabilo orange ou vert des colonnes de Voici ou de Gala », histoire de récolter des indices sur le train de vie des "people". Et à ce propos, Éric Lecocq raconte comment une star de la chanson française, en délicatesse avec le fisc, qui a cru naïvement que des hommes politiques pouvaient lui "arranger le coup" moyennant quelques dessous de table, a été condamnée à régler 10 millions de francs à l'époque et a dû s'exiler en Suisse. Elle s'était fait berner par des intermédiaires douteux.
Depuis ses débuts dans les années 70 les temps ont bien changé, conclut l'ex-contrôleur des impôts. Au fil des scandales, des fuites de capitaux et de la retentissante affaire HSBC, - en 2008, un informaticien d'HSBC Suisse livre au fisc le nom de 127000 évadés fiscaux - la lutte contre la fraude a été érigée en priorité nationale. « Dans les années 80, elle était considérée en France comme un sport national, rappelle Eric Lecocq. Depuis l'affaire Cahuzac, cela ne fait plus rire personne. »
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