Le Figaro.fr - 18.05.2014
Par Sorin Etienne
CRITIQUE -Le Figaro a vu le film d'Abel Ferrara inspiré de l'affaire DSK divulgué samedi soir sur la plage cannoise du Nikki Beach. Hésitant entre le documentaire animalier sur la vie sexuelle des bêtes et le film porno cheap, ce brulôt ajoute à la misogynie des relents antisémites douteux.
Pour ceux qui l'ignorent encore, Welcome to New York, s'inspire de la chute de l'ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Khan. Gérard Depardieu joue DSK, renommé Georges Devereaux. Il joue d'abord son propre rôle dans un prologue qui le montre répondant à des faux journalistes lors d'une fausse interview. « Je ne considère pas que je joue, je suis le personnage », explique l'acteur, précisant qu'il n'aime pas les gens qui font de la politique: « Je les hais ». Et dès la première scène, on ne sait pas si on voit Depardieu ou DSK.
Toujours est-il que Devereaux n'a pas le temps de tomber le masque puisqu'il n'en porte pas. Dans son bureau cossu, il écoute à peine son chef de la sécurité lui expliquer le protocole qui l'attend en tant que candidat à l'élection présidentielle. Devereaux préfère se distraire en tripotant des prostituées. C'est le prélude d'un enchaînement de scènes de sexe avec des call-girls dans lesquelles Depardieu n'a peur de rien.
Il est nu, énorme, monstrueux, dans toutes les positions. La suite du Carlton est un lupanar où l'ogre insatiable dévore la chair fraîche. Le room service est impeccable: l'orgie avec option crème chantilly sur les seins et les fesses est possible. C'est glauque et grotesque. Les orgasmes de Devereaux sont des grognements porcins. Après Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese, voici Le cochon de Manhattan d'Abel Ferrara. On hésite entre le documentaire animalier sur la vie sexuelle des bêtes et le film porno cheap.
Le lendemain matin, une femme de chambre noire entre dans la suite quand Obélix sort de la douche. Il l'agresse sexuellement puis retrouve sa fille et son petit ami dans un restaurant. Devereaux commande du porc et n'a qu'un sujet de conversation. « Et la baise? Fucking? ça va? Moi j'ai baisé toute la nuit, ça s'est bien passé. »
Prédateur sexuel
On connaît la suite, racontée ici sans grande inspiration. JFK, FBI et DSK (pardon, Devereaux) qui doit en plus surmonter la barrière de la langue. Ses gardiens de prison ont un accent à couper au couteau ; il finit tout de même par comprendre qu'il doit leur montrer la raie de ses fesses. Ce sera la dernière fois que Depardieu fait un strip-tease intégral, malgré deux flash-back rappelant que la bête politique a toujours été un obsédé. L'un évoque l'histoire de Tristane Banon, venue interviewer DSK et tombant sur un prédateur sexuel.
Anne Sinclair, rebaptisée Simone et interprétée par Jacqueline Bisset, n'apparaît qu'à la moitié du film. La nouvelle de l'arrestation de son mari tombe alors qu'elle est à un dîner où on la salue comme une amie d'Israël. C'est la première d'une suite d'allusions qui confondent juifs, pouvoir et argent. D'autres avant nous ont relevé cet amalgame. La dernière partie, qui réunit le couple dans l'appartement même qu'avait loué Anne Sinclair à New York, dédouane DSK, humain, trop, humain, incapable de contrôler ses pulsions.
Simone Sinclair, une femme manipulatrice et ivre de pouvoir
Simone Sinclair, elle, apparaît comme une femme manipulatrice et ivre de pouvoir: « Il a détruit tout ce que j'ai construit. » Devereaux la renvoie à sa fortune, et aux raisons de cette fortune. « Tout le monde sait ce que ta famille a fait pendant la guerre », insinue t-il. « 1945, une très bonne année! » Une interprétation d'un goût d'autant plus douteux qu'Anne Sinclair est la petite fille du collectionneur d'art Paul Rozenberg, dont les tableaux ont été spoliés et qui a fui le nazisme. Que l'ancien drogué Abel Ferrara et l'autodestructeur Depardieu se reconnaissent en DSK, homme «suicidaire», c'est leur droit. Mais ils le font sur le dos d'Anne Sinclair, ajoutant à la misogynie un antisémitisme nauséabond.
(http://www.lefigaro.fr/festival-de-cannes/2014/05/18/03011-20140518ARTFIG00107--l-antisemitisme-nauseabond-de-welcome-to-new-york.php)