Le Monde diplomatique.fr - mars 2012
par Serge Halimi
Les libertés fondamentales ne sont pas mieux respectées en Arabie saoudite qu’en Iran. Est-ce donc à son statut de premier pays exportateur de pétrole et d’allié des États-Unis que la monarchie wahhabite doit d’être miraculeusement épargnée par la « communauté internationale » ? L’Arabie saoudite peut en tout cas intervenir à Bahreïn, y écraser une protestation démocratique, exécuter soixante-seize personnes en 2011 (dont une femme accusée de « sorcellerie »), menacer du même châtiment un blogueur qui a diffusé sur son compte Twitter un dialogue imaginaire avec le Prophète, condamner les voleurs à l’amputation, proclamer les chefs d’inculpation de viol, de sodomie, d’adultère, d’homosexualité, de trafic de drogue, d’apostasie passibles de la peine capitale, sans que, hormis le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, nul ou presque semble s’en émouvoir. Ni le Conseil de sécurité de l’ONU, ni le G20, dont l’Arabie saoudite est membre, ni le Fonds monétaire international (FMI), dont la directrice générale vient de saluer le « rôle important » joué par Riyad dans la stabilisation de l’économie mondiale.
La même monarchie s’obstine-t-elle à interdire aux femmes — qui déjà ne peuvent pas se déplacer en voiture sans mari ou chauffeur — de participer aux Jeux olympiques ? Cette violation de deux articles au moins de la charte sportive (1) ne suscite pas, elle non plus, beaucoup de remous. À supposer que l’Iran se fût rendu coupable d’un tel apartheid sexuel, une campagne internationale de protestations eût déjà été lancée.
Le traitement de faveur permanent dont bénéficie la dynastie wahhabite vient de trouver une nouvelle illustration avec les déclarations du premier ministre tunisien. M. Hamadi Jebali a loué ses hôtes saoudiens lors d’une de ses premières visites officielles à l’étranger. Or Riyad, qui appuya jusqu’au bout le clan Ben Ali, refuse d’extrader le dictateur déchu et sert de refuge à sa fortune mal acquise. L’argent des pays du Golfe encourage par ailleurs les provocations des salafistes tunisiens et finance des chaînes de télévision qui propagent dans le pays une lecture moyenâgeuse de l’islam.
En janvier 2008, le président français Nicolas Sarkozy prétendait que, « sous l’impulsion de sa majesté le roi Abdallah », l’Arabie saoudite développait une « politique de civilisation ». Quatre ans plus tard, ce pays, où règne la corruption, est surtout devenu le fer de lance du sunnisme ultraconservateur dans le monde arabe. Les gérontes de Riyad, qui assimilent les protestations de la jeunesse saoudienne à une « nouvelle forme de terrorisme », ne se soucient du droit des peuples que pour l’opposer aux régimes de leurs rivaux régionaux, « radicaux » ou chiites. Le royaume se croit sans doute abrité des tempêtes populaires par son saupoudrage social d’une fraction de la rente pétrolière, par le mépris que la majorité sunnite voue aux 10 à 20 % de chiites qui grondent dans l’est du pays, par la crainte de l’Iran enfin. L’indulgence internationale dont bénéficie la monarchie saoudienne lui procure un bouclier de plus.
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(1) L’article 4 de la charte olympique dispose que « chaque individu doit avoir la possibilité de faire du sport sans discrimination d’aucune sorte ». L’article 6 précise que « toute forme de discrimination à l’égard d’une personne fondée sur des considérations de race, de religion, de politique, de sexe, est incompatible avec l’appartenance au mouvement olympique ».
(http://www.monde-diplomatique.fr/2012/03/HALIMI/47477)