20Minutes.fr - 28.02.2012
Propos recueillis par Audrey Chauvet
INTERVIEW - Pour l'agronome, l'agriculture « écologiquement intensive » a les moyens de nourrir correctement neuf milliards d'humains...
Marc Dufumier a les pieds sur terre, ce qui ne l’empêche pas de rêver à un monde entièrement bio. Agronome et professeur à AgroParistech, il a parcouru le monde pour étudier les méthodes agricoles des pays du Sud. C’est donc en tant qu’expert technique mais aussi fin connaisseur des échanges mondiaux de denrées alimentaires qu’il signe son ouvrage Famine au Sud, malbouffe au Nord, Comment le bio peut nous sauver (éd.Nil). Il y dénonce une agriculture mondiale qui laisse sur le carreau près d’un milliard d’humains et sur-nourrit de pesticides et d’OGM les populations occidentales.
- Vous dressez un constat sombre de l’agriculture mondiale. D’après vous quelles sont les grandes erreurs qui ont été commises, au Nord comme au Sud?
- Au Nord, c’est d’avoir mis l’accent sur l’amélioration variétale et la production grâce aux produits phytosanitaires. Ce faisant, on a artificialisé les écosystèmes et on observe de très grands déséquilibres écologiques qui se traduisent par des hormones dans le lait, des algues vertes sur le littoral breton, des pesticides dans les légumes … Dans les pays du Sud, l’erreur est de ne pas s’être protégé à l’égard des surproductions européennes de lait, de poulet, de sucre, de céréales, qui résultent de la motorisation.
- Comment expliquez-vous qu’un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim dans le monde alors qu’on n’a jamais autant produit d’aliments?
- On surproduit à l’échelle internationale: pour nourrir correctement un homme, il faut produire 200 kilos de céréales, la production mondiale est de 335 cette année. Si des gens n’y ont pas accès, c’est parce qu’ils sont trop pauvres, aussi bien ceux qui fréquentent les Restos du cœur en France, que ceux qui sont dans les bidonvilles ou dans les pays pauvres… Ces 135 kilos excédentaires par habitant représentent le gaspillage dans nos sociétés du Nord, l’alimentation du bétail et la fabrication d’éthanol pour nos voitures.
- Mais alors le problème n’est pas purement agricole, il est aussi social?
- C’est un problème de déséquilibre économique. On met en concurrence des gens qui travaillent à la main avec des gens équipés de tracteurs et de moissonneuses batteuses. Les premiers ne parviennent pas à être compétitifs et sont contraints d’accepter les prix qui proviennent de l’exportation de nos surplus. C’est bien ça qui est la cause de la faim dans le monde.
- L’idée n’est donc pas d’envoyer des tracteurs au Sud ou de faire revenir les agriculteurs du Nord au labour à cheval?
- Il ne faut pas transférer les techniques qui ont fait leurs preuves chez nous mais qui ont aussi fait des dégâts environnementaux. En Europe, il faut apprendre à produire autrement, mais ce n’est pas le retour à l’âge de pierre: cette agriculture écologiquement intensive est une agriculture savante qui utilise le cycle du carbone, de l’azote, mais aussi des coccinelles ou des scarabées pour neutraliser les nuisibles sans avoir à les détruire. Au Sud, il faut éviter le recours aux énergies fossiles, carburants ou dans les engrais de synthèse, car elles vont devenir de plus en plus coûteuses.
- Comment peut-on assurer que cette voie est la bonne et que le bio peut nourrir la planète?
- Pour la France, le bio ne peut pas accroître les rendements, mais l’objectif est plutôt de produire ici les protéines végétales dont ont besoin nos animaux. En revanche, dans les pays du Sud, l’agriculture bio ou « écologiquement intensive », pourrait permettre d’accroître les rendements plus vite que l’accroissement de la population, ce qui leur permettra non seulement de mieux manger mais aussi de commencer à vendre, épargner, investir. Cela n’est possible que si l’agriculteur est protégé de nos surplus.
- Si cette nouvelle forme d’agriculture, proche du bio, se généralisait, pourrait-t-elle faire baisser le coût des produits bio?
- Le produit bio, qui exige plus de travail artisanal, doit nécessairement coûter plus cher. Pour promouvoir cette forme d’agriculture, on peut commencer par la restauration collective en faisant transiter les subventions via les collectivités pour qu’elles achètent ces produits et puissent rémunérer correctement les agriculteurs. Au-delà de ça, l’avenir du bio est directement lié à une redistribution plus équitable des revenus.
- En tant que consommateur, que peut-on faire pour soutenir une agriculture plus raisonnée?
- Le consommateur a un pouvoir réel, mais aujourd’hui le principal obstacle pour acheter bio est un pouvoir d’achat insuffisant. Les associations de consommateurs devraient aussi veiller au rapport qualité-prix: le prix d’un litre de lait tout venant est peut-être bas, mais le contribuable paye très cher les impôts pour épurer les eaux, retirer les algues vertes…
(http://www.20minutes.fr/article/888021/marc-dufumier-l-agriculture-bio-peut-accroitre-rendements-pays-sud)