Partout ailleurs dans le monde, il existe, aujourd’hui, des millions de véhicules qui circulent, certes dans des conditions de sécurité plus ou moins acceptables, selon la législation mise en place dans chaque pays, selon aussi l’état général du parc automobile, mais il n’y a qu’en Algérie où ces conditions posent de véritables et préoccupants problèmes.
S’il fut un temps particulièrement marqué par la vétusté très avancée du parc roulant, à cause des divers blocages administratifs qui, des années durant, contrariaient le renouvellement de ce dernier, on peut, sans conteste, avec l’ouverture du pays aux importations de toutes sortes, écarter d’emblée cet aspect négatif. Le résultat est d’ailleurs là, palpable, avec ce foisonnement de marques et de véhicules de dernier cri qui sillonnent nos routes du nord au sud et d’est en ouest.
Au-delà des questions d’infrastructures propres qui ne sont pas sans incidence directe sur ses effets, la circulation automobile, en vérité, se pose désormais en des termes très sérieux, graves et pesants sur la collectivité des usagers d’un côté, et des contribuables de l’autre.
Malgré un arsenal de lois et de règlements des plus contraignants que le législateur ne manque pourtant jamais de promulguer, de diffuser et de mettre à jour, dans le sens toujours très restrictif du droit des automobilistes, le nombre des accidents de la route décrit sans cesse, hélas, une courbe ascendante qui interpelle plus que jamais le peuple tout entier. Plus de 4 000 morts sont dénombrés régulièrement chaque année, selon les statistiques officielles. A ce chiffre faramineux, s’ajoutent encore des dizaines de milliers de blessés, bien souvent paralysés à vie, qui constituent socialement une charge très importante, d’abord pour les familles, ensuite pour l’ensemble des contribuables. Quand on sait, par ailleurs, que de tels chiffres dépassent et de loin ceux enregistrés en France, par exemple, où le nombre de véhicules roulants est 5 à 6 fois plus important, se pose immédiatement la question : pourquoi cette hécatombe ?
En y réfléchissant bien, nous voyons poindre deux explications aussi vérifiables qu’incontestables.
En premier, le relâchement du contrôle routier par les services de police, notamment depuis l’émergence du terrorisme islamiste, s’est traduit, sur les routes, par une présence de moins en moins visible des services d’ordre. Bien souvent attaqués directement hors des agglomérations, gendarmes et policiers ont payé de leur vie un tribut assez fort, qui a conduit leur hiérarchie à limiter leurs sorties sur les routes. Dans les villes et villages, la manifestation permanente du terrorisme, quasiment sur l’ensemble du territoire, a amené, en dépit du recrutement intensif de policiers, gendarmes et supplétifs intervenu ces dernières années, ces services d’ordre à privilégier la protection des sites publics, des hauts responsables et de leurs habitations, des visiteurs étrangers de marque, sur le devoir d’assurer la police routière. Une simple bombette signalée ici ou là mobilise bien souvent et à elle seule des dizaines, voire des centaines de flics, pendant de longues heures. L’arrivée d’un ministre étranger bloque, sur nos routes, des centaines d’autres, pour assurer sa protection. Un simple examen scolaire d’envergure mobilise aussi des milliers de policiers et de gendarmes autour des écoles, etc. Au total, donc, quel que soit le nombre des effectifs mis à disposition des services d’ordre, les autorités concernées se montreront toujours insatisfaites, pour n’offrir au contrôle de la voie publique qu’une maigre part de leur personnel.
En second, il y a, bien sûr, l’invraisemblable inconscience qui anime la majorité de nos conducteurs sur les routes. Et pourtant, l’on ne saurait imputer à l’alcool toutes les catastrophes qui émaillent ces dernières, sans distinction géographique. De prix inaccessible, d’un côté, interdit par la religion, de l’autre, l’alcool est loin de se situer, comme en Europe, au premier rang des causes d’accidents de la circulation. On ne peut, non plus, désigner une frange quelconque de la société pour lui faire porter le chapeau, en ce sens. Les barbons, c’est le constat fait unanimement par nos visiteurs étrangers , conduisent aussi mal que les jeunets, les hommes que les femmes, les nantis que les pauvres, les cadres que les exécutants, les propriétaires de véhicules que les salariés qui en ont la responsabilité. Et la liste n’est pas exhaustive, bien sûr.
Il suffit juste de se placer à un carrefour quelconque d’une grande cité pour observer, de jour comme de nuit, à une heure creuse ou de pointe, comment nos gaillards au volant, avec une incroyable témérité ou un sacré culot se disputent le passage, en double ou troisième position au besoin, tout en marge des règlements légaux, et bien souvent à la barbe des policiers de faction. Bien loin est encore le temps où l’on ne pouvait simplement toucher d’une roue la ligne jaune sans se faire immédiatement verbaliser ou retirer carrément son permis de conduire. Bien révolue est encore l’époque où le franchissement simplement accidentel d’un sens interdit pouvait déclencher les foudres des services d’ordre. Bien oubliée est encore la limitation de vitesse imposée dans la traversée des agglomérations, devant les écoles, les hôpitaux, etc. Dans nos villes et villages, où l’interdit de stationner devient quasiment la règle, à cause des obstacles et autres vieux meubles, briques ou caisses dressés devant les magasins ou habitations, il est même à craindre qu’on ne trouve plus, dans un avenir proche, de place où ranger son véhicule.
En un mot, dans cette jungle qu’est devenu notre pays, offert par ailleurs à la prédation, aux détournements et autres crimes qui l’avilissent tant qu’ils restent peu ou prou sanctionnés, le problème de la circulation automobile, et de sa cohorte croissante d’accidents, reste bien loin de constituer une préoccupation majeure de nos dirigeants.