LEMONDE | 08.02.12 |
par Claire Guélaud
"
La Fabrique de la défiance... et comment s'en sortir", de Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg : le pessimisme, un mal français
Cinq ans après la sortie de leur premier livre commun,
La Société de défiance (Ed. Rue d'Ulm, 2007), salué par la critique, Yann Algan et Pierre Cahuc revisitent, avec leur confrère André Zylberberg, le pessimisme français. À partir des résultats d'une série d'enquêtes internationales comme le
World Values Survey ou européennes comme l'
European Social Survey, et des travaux de recherche en sciences humaines les plus récents sur le capital social, les auteurs insistent sur l'ampleur du mal-être des Français, qui "
grandit".
"
Des informations, disséquées par des milliers de chercheurs montrent que le bien-être dépend de la qualité des relations sociales", soulignent les auteurs... Ils observent que, depuis l'après-guerre, la hausse des niveaux de vie dans les pays industrialisés ne s'est pas accompagnée d'une hausse significative du bien-être. Ce paradoxe, ils l'expliquent pour la France par la conviction que "
la défiance est au cœur de notre mal" et "
détruit notre lien social". Ils décrivent une société "
refermée sur elle-même" dont "
la défiance par indifférence réciproque s'entretient d'elle-même".
Comment expliquer ce travers français ? D'abord par notre école, "
archétype de l'enseignement vertical". "
Nous sommes les champions de l'absence de travail en groupes", déplorent les auteurs, dont deux sont enseignants, en insistant sur le coût de ce dysfonctionnement, à savoir des résultats médiocres et des inégalités. "
Nos méthodes pédagogiques et la formation de nos enseignants favorisent un élitisme forcené qui se révèle contre-productif. Y compris dans l'entreprise", écrivent-ils.
L'univers professionnel est "
hiérarchisé à l'extrême". C'est un facteur d'angoisse, de défiance et un handicap pour notre économie. Au manque de coopération entre élèves répond le manque de confiance entre les niveaux hiérarchiques qui façonnent les relations de travail. Dans un tel environnement, on ne sera pas surpris de constater que les grandes entreprises ne savent pas gérer les promotions internes. "
66 % des dirigeants des grandes entreprises en Allemagne et 51 % au Royaume-Uni ont fait une carrière interne. En France, c'est le cas seulement pour 21 % d'entre eux", rappellent les auteurs.
Ils intègrent dans ce cercle vicieux "
l'introuvable dialogue social" français et une culture du conflit, favorisée par "
un syndicalisme de professionnels de la représentation avec peu d'adhérents". "
L'intervention de l'État écrase le dialogue social, mais l'absence de celui-ci nourrit l'intervention de l'État qui doit se substituer à une négociation défaillante", observent les auteurs. Ils pointent aussi le corporatisme et le clientélisme, s'inquiètent de l'état de santé de notre démocratie et déplorent que le droit français ignore "
le conflit d'intérêts".
Au terme de ce tour de France déprimant, on ne voit pas ce qui pourrait faire revenir la confiance. Nos économistes assurent que c'est possible. Toutefois, contrairement à ce qu'affirme le titre de leur livre, ils ne donnent que bien peu de pistes pour trouver la sortie. C'est dommage.
---
300 p., 15 €.
(http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/08/la-fabrique-de-la-defiance-et-comment-s-en-sortir-de-yann-algan-pierre-cahuc-et-andre-zylberberg_1640433_3260.html)