La Tribune.fr - 6.02.2012
par Romaric Godin
La chancelière soutient le président dans sa campagne. Elle a pour cela d'excellentes raisons.
Le soutien sans faille d’Angela Merkel à Nicolas Sarkozy ne se dément pas. Alors que, selon le Handelsblatt de ce lundi, la chancelière n’a toujours pas donné suite à la demande d’audience de François Hollande, elle va encore afficher son unité avec le président français dans une interview commune diffusée sur France 2 et la ZDF. Mais comment expliquer un tel engagement de la chancelière dans la bataille politique intérieure de la France ? Tentative de réponses…
1. Cacher cette puissance que je ne saurais voir.
Avec la crise de la dette, l’Allemagne, seul grand pays vraiment solvable en Europe, a acquis une puissance économique et politique immense. Berlin a désormais une vraie capacité à imposer ses choix à ses partenaires de l’Union européenne. Mais, outre-Rhin, on sait que la puissance allemande est toujours suspecte. La chancelière doit donc à tout prix afficher une alliance infaillible avec la France afin que ses projets apparaissent comme le fruit d’un compromis et d’une décision collective. Et ceci est d’autant plus vrai que la situation économique et budgétaire de la France est difficile, c’est-à-dire plus proche des pays du « sud » que de ceux du « nord » de l’Europe. Ainsi peut-elle imposer ses vues sous le couvert de l’intérêt général. Elle a donc besoin d’une France prête à jouer ce rôle.
Or, c’est ce à quoi s’évertue depuis quelques semaines Nicolas Sarkozy. Lors des derniers sommets européens, il a rapidement oublié ses exigences concernant le rôle de la BCE ou les obligations européennes pour accepter une vision très « rigoriste » de la réforme des traités. En faisant de l’Allemagne son modèle, et en plaçant ce modèle au cœur de sa campagne, il accepte implicitement les positions de Berlin au niveau européen. Et il assure ainsi la puissance de la République fédérale en ménageant les formes.
2. La peur de l’inconnu
On aurait bien du mal à nous faire accroire qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy s’aimassent sincèrement. Leurs caractères et leurs personnalités divergent bien trop. Le souvenir des premières heures du quinquennat, où le président agaçait franchement Berlin, devrait achever de nous en convaincre. Seulement, la crise de la dette européenne a contraint les deux dirigeants à s’entendre. Et Angela Merkel est parvenue, non sans mal, à amadouer le bouillant président français.
Changer de cheval en pleine crise serait synonyme, pour la chancelière, de perte de temps. D’autant que non seulement François Hollande inquiète, avec sa promesse – peu réaliste il est vrai – de renégocier le nouveau traité, mais que Nicolas Sarkozy s’affiche avec un programme « allemand ». Au point que Gerhard Schröder lui-même l’a pris sous son aile. Autrement dit, l’Allemagne va être au centre des débats de la campagne présidentielles françaises.
Du coup, si le candidat PS est élu, il devra immanquablement faire preuve d’une certaine fermeté dans un premier temps face à Berlin pour justifier son statut d’opposant à la « copie de l’Allemagne » proposée par son opposant. Sans doute cette résistance sera limitée, car la France ne peut plus guère peser. Mais pour l’Allemagne, tout délai est malvenu dans la crise européenne : elle risque de fragiliser le retour à la confiance et de gêner leur volonté de diffuser leur fameuse « culture de la stabilité » sur le vieux continent.
3. La peur de la défaite électorale
Dans l’histoire des relations franco-allemandes, la correspondance entre la droite et la gauche des deux côtés du Rhin a rarement été aussi parfaite. Traditionnellement, la gauche française s’entendait mieux avec la droite allemande et inversement. Helmut Schmidt, grand ami de VGE, se méfiait de François Mitterrand. Ce dernier, très proche de Helmut Kohl, était peu friand d’Oskar Lafontaine. Quant à Lionel Jospin, on se souvient de son peu d’enthousiasme face aux réformes Schröder.
En 2012, la situation semble différente : François Hollande défend des positions plus proches de celles du SPD et des Verts, comme les euro-obligations, même si les deux programmes sont encore loin d’être entièrement comparables. En face, on a déjà évoqué l’alignement de la position française sur celle du gouvernement conservateur allemand.
Du coup, une victoire de la gauche en France pourrait donner un avantage au SPD avant les élections de l’automne 2013 outre-Rhin qui s’annoncent difficiles pour Angela Merkel. D’autant que le candidat PS affiche clairement sa volonté de renforcer l’axe franco-allemand après la victoire de la gauche outre-Rhin. Du coup, Verts et SPD pourront se prévaloir d’être réellement le camp de l’Europe et de la coopération avec Paris pendant la campagne. Angela Merkel se retrouverait donc doublement isolée, en Allemagne et en Europe.
(http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20120206trib000682070/pourquoi-angela-merkel-a-interet-a-la-victoire-de-nicolas-sarkozy.html)