Le Monde diplomatique.fr - 2.03.2012
par Serge Halimi
Le 23 février dernier, Nicolas Sarkozy a annoncé à Lille : « Je veux être le porte-parole de cette France qui vit de son travail. En 2007, j’avais choisi le travail, je n’ai pas changé d’avis. »
Depuis qu’il est entré en campagne, on ne sait pas ce qui est le plus admirable chez le président-candidat. Son audace à proclamer des intentions contraires à tout ce qui constitue le bilan de sa présidence ? Sa capacité à conduire en 2012 une campagne identique à celle d’il y a cinq ans, laquelle s’inspira largement de celle de George W. Bush en 2004 ? À l’époque, la plupart des commentateurs ne donnaient pas cher des chances de réélection du président américain. On comprend que ce précédent encourage et inspire M. Sarkozy dont presque chacun suppute que, dans trois mois, il ne sera plus à l’Élysée.
M. Sarkozy l’a promis : il ne retournera pas au Fouquet’s. Il fait comme si le problème avait été son choix de restaurant davantage que celui de ses convives, patrons du CAC-40, directeurs de journaux, vedettes de variété obsédés par le montant de leur impôt, empereurs de la télévision-poubelle, affairistes... Là, il jure que c’est terminé : « Il y a une infime minorité qui a beaucoup choqué les Français en faisant vraiment n’importe quoi. (…) Il y a un sentiment d’injustice. »
Le président-candidat, qui pendant cinq ans a guerroyé contre « l’assistanat » en déclinant toutes les techniques de l’art d’ignorer et de stigmatiser les pauvres, afin surtout de les opposer entre eux, interdira « purement et simplement » (s’il est réélu) « les retraites chapeaux des hauts dirigeants ». Une promesse déjà faite en 2007. Hélas, la crise ne lui a pas laissé le temps de la réaliser puisqu’il fallait d’abord et d’urgence « réformer » les retraites, réduire la fiscalité pesant sur les fortunes, supprimer l’impôt sur les successions, amincir la fonction publique, durcir la justice pénale, combattre l’immigration, réglementer le droit de grève. Ne nous méprenons pas, toutefois, la (nouvelle) révolution fiscale de M. Sarkozy ne défera pas l’ancienne. L’augmentation déjà programmée de la TVA frappera en priorité les petits revenus (qui consomment une fraction plus importante de ce qu’ils gagnent) ; l’augmentation de la fiscalité directe que prévoient les candidats de gauche (MM. François Hollande, Jean-Luc Mélenchon, Mme Eva Joly) et d’extrême gauche (M. Philippe Poutou et Mme Nathalie Arthaud) inspire au candidat sortant cette réflexion : « Si demain on a en France un génie, un Steve Jobs, est-ce qu’on doit le mettre dehors, ou est-ce qu’on doit, au contraire, l’avoir ? (…) Monsieur Hollande veut moins de riches en France, c’est son droit, moi je veux moins de pauvres. » Le milliardaire qu’on va spolier et décourager de « créer », celui dont la collectivité risque de se priver, c’est toujours Pablo Picasso ou Steve Jobs, jamais le rejeton incapable, le fils de famille qui hérite de l’entreprise et de la fortune de son père – François-Henri Pinault, Martin Bouygues ou Arnaud Lagardère, par exemple.
Il n’en demeure pas moins que quand « le président des riches » se métamorphose en candidat du peuple, la mise en scène est soignée. Col roulé, visites dans les usines, repas à la cantine, M. Sarkozy n’hésite pas, comme autrefois (sans succès...) M. Édouard Balladur, à monter sur une table afin d’haranguer la foule. Entouré d’ouvriers d’Alstom portant la casquette de leur entreprise, le président — qui ne pouvait, il y a encore quelques semaines, se déplacer qu’entouré de policiers et qui, redoutant les éclats de l’assistance (que manifestement il supporte très mal…), ne s’adressait qu’à des publics triés sur le volet — privilégie dorénavant le refus du protocole, la spontanéité. Et n’oublie ni l’émotion ni le volontarisme : « L’usine qui ferme, c’est un drame. Je n’ai pas été élu pour dire : il n’y a rien à faire » (à Lille, le 23 février). Sa présidence ayant été marquée par la désindustrialisation accélérée du pays, les « drames » n’ont pas manqué.
Un jour de 2006 où il ne s’entretenait ni avec Martin Bouygues, ni avec Alain Minc, ni avec Bernard Arnault, ni avec Bernard-Henri Lévy, M. Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, avait confié à Paris Match : « Je suis comme la plupart des gens : j’aime ce qu’ils aiment. J’aime le Tour de France, le football, je vais voir Les Bronzés 3, j’aime écouter de la chanson populaire. » Sur ce terrain du « populisme » (pour presse people), le président français est, cette année, exposé à une concurrence plus vigoureuse qu’il y a cinq ans. En effet, avec la crise et la ponction par les banques d’une partie de la richesse nationale s’est généralisé le discrédit des grosses fortunes, des sportifs et des vedettes de variété exilées fiscalement à l’étranger, sans oublier celui des experts sonnants et trébuchants qui quadrillent les médias et les commissions gouvernementales.
Combat frontal contre une gauche qui n’aimerait et n’écouterait que des artistes snobs, nécessité d’un volontarisme libéral pour empêcher le déclin précipité du pays, thérapie de choc (cette fois, le « modèle allemand » a remplacé le britannique), les recettes idéologiques du candidat Sarkozy paraissent reprendre à l’identique celles d’il y a cinq ans.
Les dimensions appel à la repentance après des années de bombance et réaffirmation de la « morale traditionnelle », ne sont pas non plus absentes. À propos de cette dernière, inspirée par l’ultra-droite américaine, le quotidien officiel du régime, Le Figaro, confie que le 7 février dernier, le président français aurait dit à son comité stratégique de campagne réuni à l’Élysée : « Il faut rassurer les catholiques et le socle de notre électorat. J’ai arbitré : le mariage gay et l’euthanasie, c’est non. » Émouvante défense de la laïcité, obsession de l’intérêt général…
Le nombre modeste des opportunistes professionnels qui s’affichent aux côtés du président sortant indique, au moins autant que les sondages, que les deux mois qui viennent ne seront pas de trop à M. Sarkozy pour convaincre l’opinion qu’une fois de plus il a « changé ». Et que le changement de président impose donc de voter pour lui. L’exercice n’est pas gagné d’avance.
(http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2012-03-02-sarkozy)