Le Point.fr - 05/02/2012
par Marie-Christine Poncet
Une "querelle des Anciens et des Modernes" ? Le débat sur la réforme de l'orthographe est une joute passionnée et raisonnée, dans les deux camps.
Qu'un linguiste, Claude Gruaz, défende une réforme de l'orthographe du français, et le débat entre partisans et opposants renaît d'un bond. Les arguments le plus souvent avancés dans la série de commentaires sous l'article sont repris dans un dialogue fictif, comme dans une scène de théâtre : toutes les phrases sont extraites fidèlement des commentaires, mais leur ordre est changé.
En toutes lettres 18 (à la cantonade) - Amis de belles lettres, bonjour ! Quelle tristesse au pays des Lumières ! Ça me navre au-delà de toute expression...
matakiterani - Encore un travail de sape pour détruire ce qui ne l'est pas encore... Quand on pense que des générations de Français ont appris parfaitement à lire et à écrire...
jeclaude33 - Il faut poser le problème : pourquoi les jeunes n'y arrivent plus ?
extremoroy - L'orthographe n'est pas plus compliquée maintenant qu'avant. Alors ?
Th. M. Carabin - Ce n'est pas la langue française qui est en cause. C'est l'enseignement qui n'instruit plus.
pantera - Je confirme, en tant que patron d'une société à l'étranger, j'ai toujours été déçu par les lettres de candidatures de jeunes gradués, universitaires, dont le CV était parsemé de fautes d'orthographe.
Benjamim - Mais oui, qu'est-ce qui justifie cette évolution, à part un rapprochement avec l'horreur de la société du moindre effort, de la moindre culture ?
Sic transit... - Ahhhh, le fameux et inégalable "nivellement par le bas" fabriqué en France, since 1968... Le principe en est simple, prendre le niveau du plus mauvais en toutes choses, puis généraliser.
Illitch (en aparté) - La bête soixante-huitarde bouge encore et nos libéraux-libertaires ont encore des "idées" pour rabaisser encore plus notre belle langue !
Le trublion (avec espoir) - Reprenons nos bons vieux classiques qui ont permis à des générations d'écrire sans faute, et qui plus est, avec une belle calligraphie, pour préserver ce beau patrimoine qu'est la langue française.
legazouilleur - Retour au bon vieux Bled... sa couverture était bleue, je m'en souviens encore, au début des années 1970...
robert52 - Moi, j´ai effectivement appris la liste des pluriels en "oux", et je ne reconnais certainement pas le droit de dire que c'était "bêtement". J'ai aussi appris par cœur des poèmes, et des théorèmes, et des villes arrosées par la Seine ou la Garonne, et les artistes du Grand Siècle, aussi... La racine de la bruyère boit l'eau de la fontaine Corneille...
Robert Mideau (d'un pas rêveur) - Hiboux, cailloux, choux, genoux, bijoux, joujoux et poux.
francelibre (énergiquement) - Comprenez que c'est le but, les générations futures devront être bêtes, car qui dit bête dit ne comprennent rien à leurs droits, et peuvent ainsi être asservies pour en faire de parfait petits consommateurs esclaves.
Darkglance - N'est-il en effet pas plus intéressant de pourrir la situation pour mieux manœuvrer les masses ?
Albator - Ils ne feront plus qu'obéir et ils marcheront droit, au pas, et réciteront des slogans simples, faciles à retenir. Bienvenue dans le futur.
jp Paris - Puisque le but est de ne plus faire de fautes, décidons qu'il n'y aura plus de règles : pas de règles, pas de fautes !
Benjamim - Quid des personnes qui savent écrire et parler français correctement, qui maîtrisent sa complexité, qui en fait sa beauté ?
Elliot - Des chevaus avec un s, c'est moche Des chevaux avec un x, c'est tout de même plus classe. Certains analystes de la question n'ont pas le sens de l'harmonie graphique dans le texte.
cargoblues - La règle est contraignante, changeons la règle.
Husky - Ce sont ceux qui parlent et écrivent correctement le français qui deviendront fautifs...
matakiterani - La barbarie est là...
Gnose - Le bien parler, c'est ce qui nous différencie des je-m'en-foutistes.
rmh49 - L'homme préhistorique est programmé.
Paul tikitak (délibérément provocateur) - Voudront-ils enfermer dans des camps ceux qui savent à peu près lire et écrire ?
petrus - Foin de l'effort, vive la flemmardise !
AdeR (s'interpose) - Ne me dites pas que c'est en faisant apprendre à un élève "bijoux, cailloux, hiboux, choux" qu'il va devenir intelligent !
Dura lex - Si, car une orthographe traduit, en lettres, des concepts : si l'on écrit "mo" au lieu de "mot" ou "maux", on ne fait que dénaturer l'expression des idées et abrutir un peu plus les consciences...
Luxfiat (en renfort) - On pense dans une langue, ce qui signifie que plus le vocabulaire est riche, plus la syntaxe est complexe, plus la grammaire est subtile, plus il est possible d'exprimer des nuances et d'accéder à une pensée élaborée.
French definitely - Alors, cherchons des solutions pour apprendre à nos jeunes le goût du beau, du vrai, du juste, notions vidées de leur sens par ce relativisme ambiant.
Maieu - À moins qu'il n'y ait, derrière ces questions, la tentation du simple, du pur, du lisse, du complètement maîtrisé et rationnel... Avec ses bizarreries, ses incongruités et ses exceptions, ses choux et ses bijoux, la langue nous donne une image de ce que nous sommes, et nous sommes tout sauf simples, purs, lisses, complètement rationnels. L'important est de le savoir et de l'expliquer.
Amapolita (à cran) - J'ai passé des heures à relire et corriger des textes destinés à être publiés pour le CNRS, je suis une puriste, ça me met en colère toute cette lâcheté et ces abandons devant le manque d'énergie et de désir de travailler pour savoir. Savoir, ça ne s'improvise pas. Il faut du temps et des efforts.
Bastienou Carcajou - Je remarque que les élites ont toujours eu des éducations dures qui s'attachent aux vertus viriles, en premier lieu : disons les spartiates, les samouraïs. Les rois, les magnats, les milliardaires envoient leurs fils dans des écoles extrêmement dures où on les fait lever à l'aube pour commencer une journée pénible par un petit crawl dans l'eau glacée.
malàJaurès - Si la vertu du travail qui est indispensable à l'apprentissage est galvaudée, il ne faudra pas s'étonner que cette attitude transparaisse alors chez l'individu, dans d'autres domaines que celui de l'orthographe.
Passent à l'avant-scène Bill64 et patrick4263, qui s'étaient arrêtés pour écouter la conversation.
patrick4263 - Secouer les tapis, ça en fait éternuer plus d'un. Beaucoup tiennent à ce que reste valorisé le fruit de leurs souffrances à apprendre sur les bancs d'école. La question est : faut-il continuer d'en chier pour se voir classifier uniquement par l'écrit, et entre initiés ?
Bill64 - La plupart des arguments des opposants à toute simplification sont essentiellement conservateurs. Il y a des arguments égoïstes comme "Je n'ai pas de problème avec l'orthographe." Il y a des arguments jaloux, dont celui-ci : "Il ne faut pas rendre la vie trop facile aux jeunes." Puis des arguments pseudo-patriotes, comme "cela va détruire l'image de notre pays."
zeeonlygfroggie (qui s'est approché et n'a entendu que la fin) - Oui, notre langue, le français, a fait de nous un grand pays, envié du monde entier ; notre culture si prisée et imitée, si riche ! Je suis triste, notre culture, notre langage, que je chéris tant, sont sur le point de disparaître...
Gilles11 - On a mis des siècles à la structurer, à l'organiser, et maintenant, nous avons une langue admirée de tous, et souvent enviée ; n'oublions pas qu'elle était parlée aux cours d'Angleterre et de Russie...
Foxy26 - Et pensez un peu, que deviendront toutes les œuvres classiques du XVIIIe, XIXe ? Voire du XXe siècle ! Incompréhensibles !
Didrouille (d'une voix forte) - Que d'amalgames ! Il ne faut pas tout confondre ! Tout d'abord, personne ne parle d'abolir le travail des élèves, d'écrire en SMS ou en phonétique, ni d'effacer les fautes : il s'agit de légitimer les fautes logiques, c'est-à-dire celles venant d'une réflexion valable.
anorilian - Vous avez raison, réformer le français, c'est simplement sortir de certaines aberrations !
bincedecrabe - L'auteur ne propose pas d'appauvrir le français, mais de ra-tio-na-li-ser. Que voulez-vous pour nos enfants ? Qu'ils apprennent des règles stériles ou qu'ils apprennent à réfléchir ?
lite44 (observant les interlocuteurs qui s'éloignent, quittent progressivement la scène par petits groupes) - Les "ignorans", comme on écrivait jadis, sont légion. Dans ce monde où la boîte de Pandore des opinions n'est que trop ouverte, on aimerait simplement que la connaissance de l'histoire orthographique fasse un peu plus de ravages !
Didrouille - L'orthographe telle qu'elle est aujourd'hui nous vient de "sçavants" qui ont introduit de force dans la langue française médiévale - principalement phonétique - une étymologie lourde et qu'ils connaissaient mal - justement, "sçavant" devait venir de sciire, alors qu'en fait, ça vient de sapere ; et ce n'est pas le seul exemple. Et dans quel but ? "Pour distinguer les honnêtes hommes des ignorants et des simples femmes." Que de noblesse, n'est-ce pas ? Les réformes d'orthographe permettent de lever des ambiguïtés de prononciation (je pense à gageure, auquel on a très intelligemment suggéré d'ajouter un tréma : gageüre), des illogismes puissants, et parfois même, comme c'est le cas pour nénuphar, qui vient du sanscrit nénufar, et non du grec, de rétablir l'étymologie.
Dom Tower - En 1973, si ma mémoire est bonne, l'Académie en personne a simplifié la prononciation du "h" (pardon, messieurs les puristes : la prononciation de LA "h"). On pouvait donc, désormais, faire la liaison à "des haricots" (zariko). Cela étant facultatif, ce qui est une meilleure chose qu'un changement ! Eh bien, l'année suivante, la télévision - qui faisait jusque-là la liaison à "des handicapés" (dézandikapé) - s'est mise à dire... des Hhandicapés !
Lepiote reste seule sur scène.
lepiote (très en colère) - À chaque fois que l'on parle orthographe, tous les pépés et mémés nous ressassent leur "bon vieux temps", lorsque les enfants avaient du respect pour les adultes, savaient écrire "sans fôte" et calculer des racines carrées à la main. Autrefois, tous les élèves auraient pu intégrer Normale sup avec leur certificat d'études si on ne les avait pas obligés à aller travailler aux champs dès douze ans. On peut ajouter à la liste qu'en ce temps-là, il y avait des saisons... Bref, tout le monde vivait heureux... Hélas, dormant sur leurs lauriers, tous ces pépés et mémés n'ont pas su éduquer correctement leurs enfants, qui du coup en ont encore moins fait pour leurs propres enfants... Désormais, les jeunes sont des fainéants idiots... Hélas... Mais de toute façon, c'est pas grave, après avoir profité de leur époque merveilleuse, les pépés et mémés peuvent mourir tranquilles ; les jeunes se débrouilleront bien avec la crise et la pollution qu'on leur laisse. C'est bien fait pour eux, ils savent même pas lire et écrire...
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