Le Point.fr - 11/01/2012
De notre correspondant à Genève, Ian Hamel
Un chercheur du Cern à Genève sera jugé à Paris pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Le 8 octobre 2009, tout un quartier de Vienne, dans l'Isère, est bouclé. Il y a des tireurs d'élite sur les toits. Une porte de HLM vole en éclats, et une quinzaine d'hommes armés se jettent sur les occupants d'un appartement, les menottent. Ils arrêtent deux frères. L'un est très vite relâché. L'autre, Adlène Hicheur, d'origine algérienne, brillant physicien travaillant au Centre européen de recherche nucléaire (Cern) à Genève et à l'École polytechnique de Lausanne, est mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Il est toujours incarcéré.
Pour la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), pas l'ombre d'un doute, il s'agit d'un très gros gibier. Adlène Hicheur, docteur en physique des particules, est soupçonné de préparer un attentat contre le 27e bataillon de chasseurs alpins, basé à Cran-Gevrier, en Haute-Savoie. "Un expert du nucléaire travaillait pour al-Qaida", titre un quotidien, tandis qu'un autre parle du "physicien d'al-Qaida au Maghreb". Adlène Hicheur, 35 ans, sera jugé, en deux demi-journées, les 29 et 30 mars prochains. Il sera le seul dans le box des accusés.
Le soutien d'un Prix Nobel
Des complices ? Il n'y en a apparemment pas. Selon le réquisitoire du procureur Guillaume Portenseigne, et l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris du juge Christophe Teissier, Adlène Hicheur se serait autoradicalisé derrière son ordinateur, au point de former à lui tout seul une cellule terroriste sur le territoire français. "C'est absolument ridicule. Adlène est tout le contraire d'un homme violent. De plus, il souffre d'une hernie discale et marche avec une canne", souligne Jean-Pierre Lees, vice-directeur du Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique des particules.
Ce scientifique a côtoyé le présumé terroriste pendant trois ans, de 2000 à 2003, quand ce dernier préparait sa thèse. Par ailleurs, le comité international de soutien d'Adlène Hicheur compte de très nombreux chercheurs, dont Jack Steinberger, Prix Nobel de physique 1988. Alors, s'agit-il d'une invraisemblable dérive de la lutte antiterroriste ? D'autant que le Ministère public de la Confédération helvétique, qui avait ouvert une enquête contre Adlène Hicheur en novembre 2009, l'a refermée un an plus tard.
Punir l'État français
Toutefois, le dossier n'est pas complètement vide. Dans un e-mail crypté, un homme qui se cache derrière de multiples pseudonymes, et que la DCRI identifie comme étant Mustapha Debchi, membre d'al-Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi), pose les questions suivantes à Adlène Hicheur : "Cher frère, on ne va pas tourner autour du pot : est-ce que tu es disposé à travailler dans une unité active en France ? Quelles aides est-il possible d'apporter ?" Le chercheur, qui est alors couché, en raison d'une hernie discale, répond le 10 mars 2009 qu'il faut punir l'État français "à cause de ses activités militaires au pays des musulmans (Afghanistan)", et évoque une cible militaire susceptible d'être frappée : le 27e bataillon de chasseurs alpins, près d'Annecy, en Haute-Savoie.
Le 12 juin 2009, parlant "de la frappe de l'ennemi central ou le transfert partiel de la guerre chez lui", Adlène Hicheur estime que "c'est une question naturelle et évidente pour tous les analystes". Pas d'objection non plus pour "cibler les objectifs militaires et politiques pour punir les gouvernements européens pour la guerre engagée et notamment la dictature algérienne". Le procureur Guillaume Portenseigne y voit la "totale adhésion d'Adlène Hicheur à l'islamisme le plus radical, salafiste pro-djihadiste, et la matérialisation d'un projet d'attentat sur le territoire national".
"Il se fait peur à lui même"
Seulement voilà, il ne s'agit que d'échanges d'e-mails avec un islamiste vraisemblablement établi en Algérie. À aucun moment Adlène Hicheur ne passe à l'acte. "En fait, il se fait peur à lui-même. Adlène Hicheur est un intellectuel, il s'agit de considérations théoriques. Il n'y a pas le plus petit début de préparation d'un attentat. Il ne recrute personne, il n'ouvre pas de compte en banque, il n'achète pas d'armes ou d'explosifs, il ne fait aucun repérage", constate Me Patrick Baudoin, l'avocat du physicien.
"Adlène Hicheur était alors sous antidépresseurs, souffrant terriblement. Il a sans doute pété les plombs. Mais devient-on pour autant un terroriste quand on évoque un attentat dans une correspondance privée ? Il faudrait alors arrêter tous ceux qui, au bistrot, menacent de faire la peau à un chef de l'État", s'interroge un membre du comité de soutien de l'ancien physicien du Cern.
(http://www.lepoint.fr/monde/un-physicien-juge-pour-ses-liens-avec-al-qaida-au-maghreb-11-01-2012-1417588_24.php)