Le Point.fr - 28/12/2011
De notre correspondante à Tunis, Julie Schneider
Le vice-Premier ministre israélien a appelé les Juifs tunisiens à rejoindre Israël, provoquant un certain malaise parmi la communauté en Tunisie.
Le 7 décembre, le vice-Premier ministre d'Israël, Silvan Shalom, a lancé un message à la communauté juive tunisienne. Il s'agissait d'une invitation à venir s'installer en Israël. Réponse de Khelifa Attoun, vice-président de la communauté juive en Tunisie : "Je ne suis pas d'accord avec les propos de Silvan Shalom. Nous sommes Tunisiens et comme tous les Tunisiens nous aimons notre pays. Shalom fait de la politique. Le Juif qui veut partir, il est libre de le faire. Personne n'attend sa demande !"
Silvan Shalom, né à Gabès dans le sud de la Tunisie, s'est dit inquiet à la suite des élections du 23 octobre et la victoire d'Ennadha. Mais ses propos ont été jugés "irresponsables et irrationnels" par le mouvement islamique qui a raflé 89 des 217 sièges de l'Assemblée constituante.
Mal à l'aise
"C'est de la propagande israélienne pour remplir le pays, ils le font tout le temps. Mais venant d'une personne originaire de Tunisie, il aurait pu penser que cela pouvait nous nuire. Cet appel nous a mis mal à l'aise. Même mes amis musulmans m'ont demandé si j'allais m'installer là-bas", relate Albert Chiche, directeur de la maison de retraite de la communauté juive de Tunisie, située à La Goulette, au nord de la capitale.
"Silvan Shalom est en Israël, pourquoi il demande aux Juifs de Tunisie d'y aller ? On n'est pas en danger ici !" lance encore Khelifa Attoun, avant de préciser : "Ennahda nous a rassurés." "La Tunisie est un pays musulman, ce n'est pas nouveau. Cela a toujours été écrit dans la Constitution. Mais il s'agissait d'un islamisme modéré", rappelle Albert Chiche. Peu avant les élections, son établissement a reçu la visite d'une délégation du mouvement islamiste. Lui n'a pas voté pour eux, mais il garantit que "pas mal de Juifs pourraient voter pour Ennahda si les responsables respectaient leurs promesses et réussissaient leur pari sur les droits, les libertés et le respect des religions".
Avant et après le 23 octobre, Roger Bismuth, le président de la communauté juive tunisienne qui ne compte plus que 2 000 âmes, contre 100 000 il y a 60 ans, a rencontré successivement Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali, nouveau chef du gouvernement tunisien.
Gage médiatique
Le 19 décembre, c'était au tour de Moncef Marzouki de rassurer. Le nouveau président de la Tunisie a reçu au palais de Carthage le grand rabbin de Tunisie, Haïm Bittan, mais aussi Cheikh Othmane Bettikh et l'archevêque de Tunis, Maroun Lahham. Lors de cette entrevue, il a notamment invité les Juifs ayant résidé en Tunisie, à y revenir. Une déclaration bien accueillie par les Juifs de Tunisie, même s'ils ne s'attendent pas à un retour massif.
"J'espère que cet appel sera entendu par la communauté juive des affaires", souhaite Albert Chiche. Selon cet homme qui se déclare peu pratiquant, "ce serait positif pour le pays. Nous nous sentirions d'une certaine manière soutenus, mais surtout leurs investissements permettront de relancer un peu la machine. Ce serait un gage médiatique et touristique, et les autres investisseurs pourraient se sentir rassurés", analyse ce responsable de la communauté juive de Nabeul, une ville côtière située près de Hammamet.
Seul hic : "Il n'y a plus personne, avoue-t-il. Seule une dizaine de personnes de confession juive sont présentes en hiver et une trentaine en été. Nous étions 6 000 il y a 60 ans, ce qui correspondait à la moitié de la population locale." Un exode qui a eu lieu, essentiellement, après la création de l'État d'Israël en 1948 et l'indépendance du pays en 1956.
Protection rapprochée
"La Tunisie est l'un des seuls pays à ne pas avoir chassé les Juifs", note Albert Chiche, pourtant "beaucoup de Tunisiens confondent Juifs et Israéliens. Je suis juif et tunisien et ne me sens pas israélien", affirme-t-il avec force, tout en admettant "se faire discret s'il entend parler de bombardements et si des Palestiniens sont morts". Car être juif en terre d'islam suppose, comme dans de nombreux autres pays, de vivre au rythme du conflit israélo-palestinien. Et lorsque la situation s'envenime, "des Tunisiens nous voient d'un mauvais oeil", soutient Khelifa Attoun, installé dans son bureau situé face à la Grande Synagogue de Tunis.
Peu après le départ de Ben Ali, le 14 janvier, des barbelés ont été dressés sur le trottoir devant l'entrée de ce lieu de culte surplombée par une immense étoile de David. Aux quatre coins de la synagogue située avenue de la Liberté, des policiers sont postés. La communauté bénéficie depuis plus de vingt ans d'une protection rapprochée voulue par le gouvernement. Mais en février, un groupe d'extrémistes religieux avaient protesté sur les marches de la synagogue de Tunis demandant le départ des Juifs du pays.
Dans le quartier Lafayette de Tunis, la présence juive est historique. Une enseigne en hébreu indique une petite boucherie casher située avenue de la Liberté. Rue de Palestine, parallèle à l'avenue de la Liberté, l'école juive est gardée par deux policiers. Un peu plus haut, avenue de la Liberté, un immeuble délabré appartient à cette communauté, dont les dépenses mensuelles s'élèvent à 60 000 dollars, somme récoltée grâce aux dons (la communauté juive américaine participe à hauteur de 20 000 dollars) et aux loyers. Dans cet immeuble inondé à la suite des pluies diluviennes qui s'abattent sur Tunis, sur quelques portes d'entrée, les noms sont indiqués en hébreu. Mais difficile de rencontrer ces familles. "Toutes les autres sont musulmanes", s'excuse Mohammed, se frottant les mains pour se réchauffer, avant d'ajouter comme une évidence : "Mais cela ne change rien qu'on soit juif ou musulman, on est tunisien."
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