Lesoird'algérie.com - 25.12.2011
Par Mohamed Maarfia
L’Algérie, après avoir surpris, commence à déranger. Dans le nouveau paysage géopolitique du Maghreb arabe, l’Algérie devient préoccupante. Les choses ne se passent pas selon le scénario écrit pour elle. Elle dément les analyses des « experts en révolutions » et les prophéties annonciatrices d’apocalypse de personnalités étrangères qui se sont essayées ailleurs avec succès dans la manipulation.
Un an après le début des révoltes arabes, les Algériens restent attachés à la stabilité de leur pays. La présence sur la scène politique de partis d’opposition au discours souvent incisif, la pluralité d’une presse courageuse et dynamique et la crainte partagée par une majorité d’Algériens du « jour d’après », y sont assurément pour quelque chose.
Le nouvel ordre mondial n’est rien d’autre que l’affirmation du rapport de force venu au jour après l’éclatement du bloc soviétique. Il permet à l’Occident de remodeler l’aire arabe selon ses intérêts. La violence, la rapacité et l’aveuglement de dirigeants prédateurs, ayant usurpé le pouvoir pendant des décennies, ont rendu possible, partout où la rue a grondé, l’émergence des courants islamistes. D’intenses campagnes médiatiques tendent à leurrer les opinions publiques quant aux systèmes autoritaires que ces derniers mettront immanquablement en place, une fois au pouvoir, pour tarir l’aspiration de nos sociétés à la démocratie et au progrès. La concomitance des succès de ces mouvements avec le processus de réformes politiques engagé en Algérie est pain bénit pour les affidés de l’ex-FIS qui espèrent revenir légalement sur la scène politique. Ils se rappellent au bon souvenir du monde en se livrant à des manœuvres spectaculaires.
L’interpellation récente en Suisse de l’ancien ministre de la Défense Nationale, Khaled Nezzar, une personnalité qui a occupé les plus hautes fonctions à la tête de l’État algérien, sur saisine de l’autorité judiciaire suisse par l’ONG Trial, démontre-t-elle une méconnaissance des réalités algériennes ou bien, au contraire, une parfaite maîtrise des procédés du fameux « qui-tue-qui ? ». Comment ne pas se poser des questions lorsque cette ONG, qui affirme qu’elle ne « prend parti pour aucune faction, parti ou État » fait sienne — par les déclarations à l’emporte-pièce et le forcing de son porte-parole — les accusations de militants de la cause qui a tenté, par une violence inouïe, de triompher en Algérie. Personne n’est dupe, Khaled Nezzar est le premier des dominos. La plainte dont il est l’objet vise un effet amorce pour rentrer dans le vif du sujet : culpabiliser, en premier lieu, les acteurs de l’acte salvateur de janvier 1992 et mener une opération de haute communication.
« Le souffle du printemps arabe a atteint la Suisse », selon M. Philip Grant, directeur de Trial. Grâce à M. Grant, nous savons que l’opération Nezzar est placée sous le signe des révoltes arabes. Les propos de M. Grant contredisent la profession de foi exprimée par le communiqué de Trial du 9 novembre 2011. Citons-le ! « Trial (association suisse contre l’impunité) est une association indépendante, apolitique…) ». Où est la distance à la politique lorsqu’on profère de tels propos ?
Citons encore Trial pour démontrer dans quel mépris elle tient la justice algérienne : « L’exigence de justice élémentaire qui n’a pas encore trouvé son expression en Algérie doit maintenant se réaliser en Suisse. » Pourquoi cette ONG fait-elle table rase de tout ce qu’a fait l’Algérie en matière de défense des droits de l’homme ? De quel droit s’érige-t-elle détentrice exclusive du privilège de défendre les opprimés ? Cette prétention à se poser en alternative à une justice algérienne « défaillante » ou « complice » a révolté les membres du barreau algérien accusés de complicité objective avec les tortionnaires. Mais nous ne sommes pas à une outrance près. Pour démontrer son altruisme et son indépendance, Trial, toujours dans son communiqué du 9 novembre 2011, apporte la précision suivante : « Trial lutte contre l’impunité des responsables, complices et instigateurs de crimes les plus graves et défend les intérêts des victimes, quelles qu’elles soient devant les tribunaux… ». Qui aurait l’idée de trouver à redire à cette noble ambition ? Pour nous convaincre de la sincérité de cet engagement, et pour s’éviter la suspicion du double langage, Trial devrait communiquer à l’opinion des informations sur les actions qu’elle a engagées contre les auteurs des horreurs commises en Palestine ou en Irak.
Le général Nezzar a été arrêté dans son hôtel au vu et au su de tout le monde. Sans se préoccuper du principe de la présomption d’innocence qui impose le respect de la dignité des gens, son nom a été accolé par la presse mondiale au mot « torture ». Quand bien même la célérité avec laquelle la justice suisse a engagé sa démarche lui aurait été dictée par le souci de se prémunir contre un risque de « fuite » de l’ancien ministre de la Défense nationale, il y a lieu de s’étonner d’une initiative entreprise sans la moindre vérification préliminaire relative au bien-fondé des plaintes le concernant et sur l’immunité éventuelle dont il jouirait au regard de la loi internationale. À moins de nous laisser entendre que l’arbitraire est tolérable du moment que les actes qui l’expriment s’exercent au détriment des ressortissants d’États décrétés inférieurs. Les Algériens ont vu dans l’initiative de la justice suisse l’affirmation assénée de la façon la plus claire d’une compréhension des rapports de force internationaux qui autorisent tous les passer outre. Ces procédés de souveraine autorité, démontrés à cette occasion, sont surprenants de la part du parquet d’un grand pays démocratique.
Nezzar a été soumis à un feu roulant de questions par une procureure suppléante qui s’est surtout intéressée au « coup d’État » de janvier 1992 et aux actes de gouvernement qui en ont découlé. Les préoccupations de la magistrate recoupent la logique des avocats français, Bourdon et Comte, spécialistes émérites des « méfaits de la junte militaire qui dirige dans l’ombre l’Algérie ». Les mêmes qu’a eu à affronter le général Nezzar à Paris en juillet 2002. Il y aurait donc une action cohérente et concertée pour remettre en cause tout ce qu’a fait l’Algérie, depuis 20 ans, en remontant au « péché originel » de janvier 1992 ?
Les plus hautes autorités algériennes, parfaitement conscientes de la finalité des procédures engagées contre le principal « janviériste », ont immédiatement alerté le gouvernement suisse sur les graves conséquences politiques de cette interpellation. Au-delà de la personne du général Nezzar, au-delà des péripéties qui lui sont imposées, demeure une tragique évidence : l’indigence de la communication algérienne sur la genèse, le déroulement, l’ampleur et les conséquences de la tragédie qui a frappé l’Algérie au cours de la décennie 1990. Même les pays qui n’ont aucun contentieux historique avec l’Algérie et qui ne sont animés par aucun préjugé défavorable à notre égard font montre – et ce n’est nullement de leur faute – d’une méconnaissance totale de ce que nous avons subi et de ce que nous avons accompli pour surmonter l’épreuve.
La mémoire algérienne restera longtemps hantée par les horreurs qui ont marqué la décennie 1990. Le silence que nous nous sommes imposé sur ce que l’intégrisme a fait subir à l’Algérie a été crédité d’un effet thérapeutique. Jamais méthode Coué n’a été appliquée avec autant de constance. Le danger de cette occultation vient de nous éclater à la figure.
Si les Algériens demeurent reconnaissants à la Suisse pour l’action efficace de sa diplomatie lors des négociations algéro-françaises qui ont mis fin à la guerre d’Algérie et s’ils ne doutent pas un seul instant des grands principes humanistes qui ont toujours guidé ce pays, ils sont en droit de rappeler que la qualité et la solidité des rapports entre les États sont basées sur le principe du respect de la souveraineté nationale de ces mêmes États. La contestation unilatérale par des tiers de ce principe ne peut être recevable. Les Algériens ont jugé utile et entériné par référendum le 29 septembre 2005 une charte qui exprime la reconnaissance du peuple algérien envers les artisans de la sauvegarde de l’État et qui les met à l’abri d’une quelconque vengeance. Cette charte ouvre, également, droit à l’amnistie sous certaines conditions pour ceux qui, par la violence, ont contesté les lois de la République. Cette décision souveraine du peuple algérien a été prise pour l’apaisement, la paix et la réconciliation nationale. Affirmer cela n’est nullement reconnaître que le général Nezzar a perpétré les actes dont on l’accuse et y puiser raison pour mettre à l’abri de la justice un « coupable », mais pour attirer l’attention de tous nos amis sur le danger de l’autisme dans des questions claires et compliquées en même temps, des questions vitales pour l’Algérie.
Lorsque seront réglés les points de droit par les conseils de Nezzar telle la burlesque prétention à le tenir responsable, globalement et dans le détail, de toutes les actions accomplies par les forces de l’ordre algériennes pendant une décennie, alors qu’il n’a été à la tête du ministère de la Défense nationale que pendant une année, lorsque sera mis en avant le principe de non-rétroactivité pour d’éventuelles atteintes aux droits de l’Homme dont il se serait rendu coupable, ainsi que celui de l’immunité territoriale dont jouirait, dans tous les cas de figure, un ancien co-président de la République, le ministère public de la Confédération suisse sera, peut-être, amené à renoncer aux poursuites. Mais la question de fond demeurera. Elle pourra rebondir n’importe quand et n’importe où.
En Algérie, des mécanismes juridique et administratif ont été mis en place pour parvenir à la paix. Il appartient aux autorités algériennes de l’expliquer patiemment, et de la manière qui convient, à ceux qui l’ignorent. Afin que cette intolérable chasse à l’homme — qu’elle concerne Nezzar ou un autre de nos responsables militaires — trouve définitivement son épilogue, il revient à nos juristes et à nos diplomates de rechercher les voies, par la consultation internationale, l’étude des textes et la présentation patiente des arguments, pour faire admettre par les institutions, telles la CPI ou la CIJ, l’admissibilité, au nom de la stabilité interne des États signataires, des législations nationales adoptées pour mettre fin, dans l’intérêt des populations, à des situations de guerre. C’est un autre combat.
M. M.
(http://www.lesoirdalgerie.com/pdf/2011/12/25122011.pdf)