Rue89 - 21.11.2011
par Samuel Ghiles Meilhac, chercheur
Le président du Crif a-t-il commis une faute scandaleuse en s'inquiétant publiquement du fait que tous les députés socialistes parisiens non renouvelés après l'accord avec Europe Ecologie - Les Verts puissent être identifiés comme juifs ? Se rend-il coupable d'un regard uniquement communautaire, que l'on croyait réservé à ceux qui comptent les juifs ou supposés tels pour en dénoncer l'influence, par essence totale et à usage nocif ?
Prenons le risque de comprendre ce qui se joue avant d'assener des vérités unilatérales. Richard Prasquier se fait le porte-parole d'une émotion ressentie dans certains secteurs de la communauté juive, où le constat mathématique du non renouvellement de députés qui ont tous en commun d'être juifs crée un malaise.
Il faut replacer cette polémique dans le contexte, depuis 2000, d'une défiance réciproque entre la gauche et la communauté juive organisée. En 2000 et 2001, lors de la très forte augmentation des actes antisémites, la gauche au pouvoir, Lionel Jospin et son ministre de l'intérieur Daniel Vaillant, sont apparus comme hésitants, ne trouvant ni les mots ni les actes pour rassurer et protéger, car c'est bien là la préoccupation historique d'une institution juive : que le pouvoir politique protège, physiquement, les Juifs.
Cette défiance est aussi celle d'une partie de la gauche à l'égard d'une partie de la communauté juive, dont le Crif est l'expression politique, qui soutient inconditionnellement les gouvernements israéliens – notamment l'actuel qui, avec Benjamin Netanyahou comme Premier ministre et Avigdor Lieberman comme chef de la diplomatie, est assez éloigné de la sociale-démocratie européenne.
Cette affaire se déroule dans une France où l'obsession identitaire sature le débat public. Nous sommes renvoyés aux travers d'une lecture diversitaire du personnel politique : combien de femmes, de Noirs, de Maghrébins dans un conseil municipal, au Sénat et à l'Assemblée nationale ?
Là, on touche au cœur de la question : s'agit-il de représenter toute la société ou d'assurer la promotion, parfois au forceps, de groupes fragiles que l'on désigne comme minoritaires ?
Des « insiders »
Oui mais voilà : les juifs ne sont plus aujourd'hui perçus comme une minorité. Ils ne souffrent d'aucune discrimination à l'embauche ou au logement. Leur formidable intégration politique et sociale fait qu'ils sont, comme aux États-Unis, des « insiders », si bien que les dirigeants de gauche ayant négocié l'accord n'ont peut-être prêté aucune attention à « l'effet d'affichage ».
Si l'accord avec Les Verts avait conduit à ne pas renouveler que des femmes, la sonnette d'alarme aurait été tirée par des groupes bien différents que le Crif.
Car le message de Richard Prasquier s'affaiblit du fait de la politique qu'il a lui-même menée au cours des dernières années. Il a fait intervenir son organisation sur tous les sujets, bien souvent avec précipitation – pour éviter d'être accusé de mollesse par d'autres groupes juifs – et est apparu comme un censeur et un lobby dans une société dévorée par ces questions.
La fonction de Richard Prasquier relève de la mission impossible. Silencieux, il aurait subi une violente mise en cause d'une partie de sa base. Interventionniste, il est accusé de creuser un fossé, qu'il cherche peut-être pourtant à éviter, entre la gauche et les juifs se reconnaissant dans les institutions communautaires.
(http://www.rue89.com/2011/11/20/le-crif-et-les-deputes-juifs-les-dilemmes-du-diversitarisme-226722)