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 Les mondes de Jean-Marie-Gustave Le Clézio

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Redflane

Redflane


Nombre de messages : 173
Date d'inscription : 08/06/2007

Les mondes de Jean-Marie-Gustave Le Clézio Empty
MessageSujet: Les mondes de Jean-Marie-Gustave Le Clézio   Les mondes de Jean-Marie-Gustave Le Clézio EmptyMar 1 Nov - 19:26

Le Point.fr - 01/11/2011
Propos recueillis par Valérie Marin La Meslée

Alors qu'il est le septième invité du Louvre, et que paraît un recueil de nouvelles, le Prix Nobel de littérature nous a accordé un long entretien.

Voitures décorées par des Mexicains de Los Angeles, nattes tissées par des femmes de l'archipel du Vanuatu, peintures haïtiennes, statuaire nigériane, films de Satyajit Ray (Inde) et de Souleymane Cissé (Mali), conférences d'Ananda Devi, sa compatriote mauricienne, d'Alain Mabanckou, de Dany Laferrière, pièce de Georges Lavaudant... "Les musées sont des mondes", nous dit Jean-Marie-Gustave Le Clézio, septième grand invité du Louvre jusqu'en février. Dans son dernier livre, Histoire du pied et autres fantaisies (Gallimard) le Prix Nobel de littérature donne des nouvelles des femmes et des hommes venus de mondes que, le plus souvent, on ignore... Rencontre, à Quimper, avec J.-M.-G. Le Clézio.

Le Point : Est-ce le moment, pour l'errant que vous êtes, de trouver son port d'attache dans la Bretagne des Le Clézio ?

Jean-Marie-Gustave Le Clézio : Port d'attache, oui, j'aimerais bien, moi qui n'ai que des ports de passage.... En réalité, j'ai retrouvé mes racines bretonnes par ma femme, Jemia, très enthousiaste de la Bretagne. Elle l'a découverte quand on s'est mariés, il y a longtemps, et sa première impression fut désastreuse. Il pleuvait, nous étions dans une petite chambre d'hôtel, dans un village de pêcheurs, elle regardait les flaques d'eau piquées par les gouttes de pluie et me disait : "Mais comment peut-on habiter dans un pays pareil ?" En fin de compte, elle a été séduite par la façon de vivre, très originale, des Bretons. Nous passons maintenant ici l'essentiel de notre temps quand nous sommes en France.

Ce décor est-il déjà "au travail" dans ce que vous écrivez ?

Le décor compte, oui, dans ce que j'écris. J'ai retrouvé ici des thèmes que je croyais oubliés, et qui pour beaucoup sont littéraires. Je me rappelle ainsi un petit roman qui avait fait pleurer dans les chaumières en France autour des années 1900, La roche aux Mouettes, (de Jules Sandeau, NDLR), l'histoire pathétique d'enfants égarés sur une plage. Le brouillard arrive, ils ne savent plus où est la mer, où est la terre, la marée monte et ils se réfugient sur un rocher, pris en charge par une jeune fille, la plus âgée du groupe, qui les sauvera. Le thème d'être perdu en mer est l'un de ceux qui reviennent quand je suis en Bretagne, même si je n'ai pas de bateau et que je suis peu sur la mer. C'est présent dans ce que j'écris, ce que j'écrirai. Même si je n'ai pas l'intention de réécrire l'histoire de La Roche aux Mouettes (sourire)...

L'héroïsme au féminin, encore... Vous portez une telle admiration aux femmes, votre nouveau livre les met superbement à l'honneur. Que leur devez-vous donc ?

Je dois beaucoup à ma grand-mère, qui était une femme étonnante. Elle venait de l'est de la France, avait été très riche, mais mon grand-père, un Mauricien assez inconséquent ou pas très doué pour les affaires, avait tout perdu. Ma grand-mère vivait à une époque où les femmes n'avaient aucun droit sur leur argent, elle s'est retrouvée pauvre, pendant la guerre, à un âge avancé, mais c'est grâce à elle, à son ingéniosité, que nous avons tous survécu jusqu'à la fin de la guerre dans le sud de la France. Et pour nous faire passer à travers tout cela, elle détendait l'atmosphère en racontant des histoires, c'était une conteuse. Donc une romancière. Je lui dois beaucoup de ce goût que j'ai pour la littérature qui est un merveilleux outil d'assurance et de sérénité dans des périodes difficiles, ce bonheur d'utiliser la langue pour se divertir du réel, pour lutter contre lui.

Vous êtes l'invité du Louvre ; que représente la notion de musée pour vous, et celui-ci en particulier ?

J'ai été hostile à la notion de musée pendant une longue période de ma vie, jusqu'à ce que je visite, en Corée, un musée qui m'a beaucoup impressionné, le musée du Vide. Un musée rempli d'espaces vides et de peintures bouddhiques qui représentent le vide. Dès que l'on entre dans ce merveilleux bâtiment, on comprend tout de suite ce qui donne sa valeur à ce musée et qui peut être la valeur universelle des musées : des lieux où l'on réfléchit, peut-être l'équivalent des monastères autrefois. La fonction d'un musée devrait être non pas de nous montrer des choses, mais de nous faire voir par elles, de nous mesurer aux objets exposés. Le musée du Louvre est aussi, me semble-t-il, un musée du vide, ou pourrait l'être. J'ai l'impression que si tant de gens s'arrêtent devant la Joconde, c'est parce que cette image à laquelle ils se confrontent ne leur donne aucune assurance, aucune force d'existence, mais les met en état d'interrogation.

Vous avez pourtant fait venir au Louvre des objets, d'Afrique, d'Haïti, du Vanuatu, du Mexique...

J'ai invité des gens à y apporter des éléments matériels qui ne sont pas signifiants en eux-mêmes mais en ce qu'ils traduisent d'une société, ou d'une époque. Ma première invitée est Mme Charlotte Wè Matansué, conteuse de l'île de Pentecôte, qui va vous éblouir. Elle est d'une simplicité intimidante parce qu'elle vient d'un monde où le vide a un sens, car on vit de peu. Elle est la rénovatrice d'un artisanat, à mon avis un art, consistant à tisser des nattes qui assurent aussi, par leur valeur monétaire, l'indépendance des femmes du Vanuatu. Mon idée première était d'exposer ces tapis au milieu des tapisseries du Louvre, et j'aurais voulu aussi que les tableaux haïtiens sur la révolution haïtienne se trouvent au milieu des David et Géricault de notre période révolutionnaire, mais cela n'a pas été possible, ce sera donc au visiteur de faire ce travail.

D'où vous vient cette vision du monde débarrassée de toute hiérarchie entre civilisations, cultures, êtres humains ?


Elle doit provenir de mes deux familles, ma famille physiologique et ma famille maritale. Mes parents ont vécu profondément ces idées-là. Mon père était médecin en Afrique, il a choisi une existence assez difficile loin de son pays, l'île Maurice, de la France, et de l'Angleterre où il avait fait ses études. Et ma mère, née à Paris de parents mauriciens très riches, a décidé d'épouser son cousin germain et de vivre en Afrique. C'étaient des personnes, je crois, très originales, qui avaient une curiosité pour le monde et pour ce que le monde pouvait leur apporter. Quand mon père est revenu d'Afrique alors que j'avais une dizaine d'années, il a décoré son appartement niçois avec des objets qui venaient d'Afrique pour la plupart : des masques et des cartes de l'île Maurice. Je vivais dans une sorte de musée des arts africains et quand je sortais du cadre très napoléonien du lycée, qui m'enseignait les grands courants de la pensée française, j'entrais dans un univers où ça n'avait plus cours du tout. J'ai donc grandi dans un monde assez disparate. Et j'ai beaucoup reçu aussi de ma famille maritale, parce que Jemia est une marocaine, originaire du Sahara occidental, qui a reçu de ses parents adoptifs une éducation française de bien meilleur niveau que le mien. Elle a deux visages et cette alliance m'a beaucoup apporté.

Pensez-vous que cette vision puisse être largement partagée ?

Je l'espère. C'est peut-être naïf de ma part, mais j'espère que le public est naïf aussi.

Qu'entendez-vous par naïf ?

Quelque chose de spontané qui est caché dans le tréfonds, la possibilité de s'identifier à un art qui vous est complètement étranger, par sa perfection, par la somme de travail qu'il représente, par l'histoire qu'il inclut. Mais aussi par ce que l'on ressent soi-même, un autre type de communication qui serait de l'ordre de l'instinct.

"Les musées sont des mondes" affirmez-vous, c'est vaste...

... Vaste comme le monde... Les musées, d'une part, et la société française de l'autre, ne peuvent pas être limités à une assurance, à une sécurité. Nous avons à reconnaître tout ce qu'il y a en nous, qui provient du Proche-Orient autant que de l'héritage grec, romain ou breton. Nous ne devons renoncer à rien. Le peuple français est formé de peuples très divers, breton, basque, alsacien, et si je les cite, ce n'est pas au hasard mais parce qu'ils étaient ensemble pour défendre l'indépendance de la Bretagne contre les Français à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier. Là-bas existe un endroit nommé "la lande de la rencontre", j'y vais régulièrement en pèlerinage.

Vous faites souvent des pèlerinages ?

C'est une formule, mais je suis toujours intéressé par les endroits où il s'est passé quelque chose qui a fait basculer l'histoire. Ils sont pareils à des livres, silencieux, et j'en reçois comme une inspiration. À l'île Maurice, je vais régulièrement sur la plage de sable noir où a eu lieu la traite, devenue un lieu touristique, mais qui a une dimension tragique. Tout comme Le Morne à Maurice, d'où se sont jetés les esclaves. Ce n'est pas que je vais utiliser cela, mais je m'en nourris.

Pourquoi êtes-vous à ce point habité par l'histoire de l'esclavage et de la colonisation ?

J'ai reçu cela involontairement, de l'époque dans laquelle je vivais et surtout du milieu dans lequel j'ai grandi. En Afrique, j'ai vu des caravanes de prisonniers enchaînés le long des routes, ces situations caricaturales de la colonisation. À l'époque de la guerre d'Algérie, mon père, violemment anticolonialiste, nous disait à mon frère et à moi : "Ne vous livrez pas à une guerre coloniale." Et puis l'ancrage mauricien entraîne une charge de responsabilité. Ce passé esclavagiste et colonialiste est présent en moi à chaque instant, et quand je juge les événements actuels, c'est avec ces références, voilà, je me sentais en totale correspondance avec quelqu'un comme Édouard Glissant. Il était pour moi un frère aîné que j'ai toujours lu et vu régulièrement, je lui suis très redevable de tout ce qu'il nous a donné.

Dans quelle mesure cette histoire nous concerne-t-elle aujourd'hui ?

Mon père répétait régulièrement qu'il faudrait qu'un jour les États-Unis "rendent compte de ce qui s'est passé avec l'esclavage". La France a le même passif. Les grandes villes de l'Ouest comme Lorient, Saint-Nazaire ou Bordeaux sont construites sur la fortune de la traite. Chateaubriand est le fils de gens qui ont gagné de l'argent dans la traite. Tout cela vous rend une culture suspecte. On s'interroge sur elle, on modère son aspect rayonnant, triomphant. Je sais que c'est mal reçu en France, où l'on considère ce point de vue comme de l'autoflagellation intellectuelle. Ce n'est pas cela. Nous sommes responsables de ce qui s'est passé et devons prendre notre part. Ma part française est de dire que la France doit aider, en compensation, à donner la liberté aux peuples qu'elle a autrefois conquis en leur fournissant les moyens de surmonter la crise économique qui les frappe.

À la lecture de votre dernier recueil de nouvelles, Histoire du pied et autres fantaisies, on peut se demander si vous n'êtes pas devenu un écrivain africain.

C'est un grand compliment que vous me faites, je suis très touché par cette lecture parce qu'effectivement je me sens très proche des cultures africaines, de l'histoire, des traditions, mais aussi de la modernité des combats africains. Même si mes histoires ne se passent pas toutes dans des décors africains, je me sens très inspiré par cette réalité-là. Peut-être parce que ces années que j'y ai passé, entre huit et dix ans, sont formatrices, et que j'ai vécu dans un décor qui était à la fois magnifique, par sa beauté naturelle, mais aussi pauvre, démuni, avec beaucoup de violence. C'était dans l'intérieur des terres, pas du tout la frange occidentalisée de l'Afrique de l'Ouest, mais un petit village sur la rivière Cross où je rêve toujours de retourner. Quand je vois cette Afrique si mal traitée, mal jugée alors qu'elle a une histoire si ancienne, une créativité, comme celle d'Haïti, continuelle, et qui lui permet de renaître et de retrouver sa force, de génération en génération... À propos d'Indignés, je me sens, moi, un indigné de l'Afrique.

Votre indignation pourrait tourner à l'angélisme, ce qui n'est pas le cas de vos nouvelles, plutôt sombres...


Les écrivains africains, pour la plupart exilés, qui sont tous des émanations de sociétés en grande difficulté, avec des conflits politiques épouvantables, ne sont pas en train de nous faire la morale. Ils décrivent le réel, quelquefois le subliment, et nous donnent à comprendre ce que représente l'histoire de l'Afrique dans l'histoire du monde. Ce sont les écrivains qu'il faut entendre, pas les discours politiques. Sami Tchak, Alain Mabanckou et même Marie Ndiaye, qui ne s'identifie pas véritablement à l'Afrique mais dont le dernier roman, très fort, en parle avec beaucoup d'enthousiasme.

Entre le jury du Renaudot et celui du prix des Cinq Continents de la francophonie, vous lisez beaucoup vos contemporains ?

Oui j'ai cette chance, d'une part d'avoir du temps pour lire, d'autre part de recevoir gratuitement tous ces livres ! Par exemple ce très beau roman historique d'une Québécoise, Jocelyne Saucier, sur l'incendie de Québec, Il pleuvait des oiseaux, qui vient de recevoir le dixième prix des Cinq Continents de la francophonie.

"Écrire, c'est comme le métro", déclarez-vous dans l'apologue d'Histoire du pied. De la part d'un "ennemi" des grandes villes, la comparaison peut surprendre...

Je ne suis pas vraiment ennemi des grandes villes, dont j'aime le côté anonyme. En réalité, tous les personnages que j'imaginais, je les avais rencontrés dans le métro. À Paris, à Tokyo, à Séoul, je prends beaucoup le métro. J'aime m'abstraire de la ville - être sous terre est une façon de s'en abstraire -, être proche des visages, les scruter et imaginer... Ceux qui doivent prendre le métro quotidiennement et s'endorment, surtout le soir, fatigués par leur journée, trouveront que j'exagère les aventures qu'on peut y vivre, mais ce sont des instants qui peuvent être très forts. Quand on lit Lautréamont, on a une vision du quartier bourgeois de la rue Vivienne, près de la Bourse. Aujourd'hui, un écrivain qui prend le métro a un reflet plus exact de ce qu'est la rue parce qu'on y rencontre toutes les classes sociales et des gens venus de toutes sortes d'endroits, notamment de l'Afrique.

Depuis quarante ans, vos livres vous révèlent en Indien, homme du désert, Mauricien, Africain... Avez-vous le sentiment d'avoir vécu toutes ces vies ?

Non, une seule ! J'ai ressenti les passages des saisons dans la vie, mais avec un point commun qui est l'écriture. Je n'ai jamais cessé d'écrire. Même avant d'aller en Afrique rejoindre mon père, j'ai écrit des historiettes et de la poésie. On m'avait dit qu'en Afrique les gens n'étaient pas très habillés, donc j'avais écrit un poème : "Pourquoi ne nous promenons-nous pas en pagne ?" (rire). Le point commun de toutes ces expériences est la nécessité de les écrire qui ne me quitte pas et que je ressens aujourd'hui comme une grande chance. À la question "Pourquoi écrivez-vous ?" la plus belle réponse à mes yeux est celle que fit Pakine : "Parce que la belle vie est trop courte." J'avais trouvé cela touchant et merveilleux, car écrire, c'est vivre d'autres vies, ajouter des vies à la belle vie, qui n'est plus si courte que ça...


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