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 À Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle

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M'hand

M'hand


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MessageSujet: À Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle   À Tripoli, les Berbères réclament leur place dans la Libye nouvelle EmptyVen 30 Sep - 18:57

LEMONDE.FR | 29.09.11
par Yidir Plantade

Ils peuvent enfin demander le droit d'exister. Ignorés et maltraités sous l'ancien régime, les Berbères libyens multiplient les démonstrations de force dans la capitale, Tripoli. Lundi 26 septembre, ils ont tenu une conférence dans un grand hôtel de la ville, à l’occasion de laquelle ils ont demandé que leur langue, le tamazight, bénéficie du statut de langue officielle, à égalité avec l’arabe. Un événement inédit.

C'est la fin de plus de quarante ans de calvaire pour ceux qui étaient considérés, jusqu'ici, comme des habitants de seconde zone. Disciple du nationalisme arabe de Nasser, Mouammar Kadhafi n'a jamais caché sa détestation des Berbères (lesquels se nomment eux-mêmes les Amazighs). En 1985, le Guide déclare que la langue tamazight est un "poison". En 1997, il affirme que les défenseurs de cette langue sont des "collaborateurs de la France, des États-Unis et d'Israël", accusations alors punies de mort. En 2010, il informe des journalistes marocains que les Amazighs "ont disparu et n'existent plus". Jusqu'à la chute de Tripoli, de nombreux artistes et militants culturels amazighs étaient emprisonnés ou exilés.

En conséquence, les Amazighs, qui représentent près de 10 % de la population libyenne, jouent, dès février 2011, un rôle important dans la révolution. Concentrés dans l'ouest du pays, dans les montagnes du Nefousa et dans la ville côtière de Zouara, plus de mille kilomètres les séparent de Benghazi, "capitale" de la révolte. Pendant de longs mois, ils luttent contre les troupes de Kadhafi dans un isolement total. Mais lorsqu'à la fin du mois d'avril, leurs combattants s'emparent d'un poste frontière avec la Tunisie, la guerre change de visage : en août, c'est du Nefousa que viennent le gros des troupes qui mènent l'assaut final contre Tripoli.

UN STATUT OFFICIEL POUR LE TAMAZIGHT

Dans les villes du Nefousa, à Nalut, Jadu, Yefren, Kebaw ou Kikla, la fuite des troupes kadhafistes provoque un bourgeonnement identitaire : aza (symbole amazigh) peinte sur les murs ou sur les pick-up des igrawliyen ("révolutionnaires", en tamazight) ; publication de journaux en tifinagh, l'alphabet amazigh ; drapeaux amazighs présents dans les édifices publics aux côtés du drapeau senoussi de la rébellion libyenne ; classes improvisées d'enseignement de tamazight… Dès le printemps, les conseils locaux qui se mettent en place reconnaissent l’autorité du CNT de Benghazi, mais l’informent de leur souhait de voir leur langue accéder à un statut officiel. Début août, le CNT rend public son projet de Constitution provisoire. Pour les militants berbères, c’est la douche froide : l’article premier du texte, s’il évoque "les droits linguistiques et culturels" des minorités, consacre l'arabe comme seule langue officielle.

Du Nefousa, plusieurs missives de protestation sont envoyées à Benghazi. Mais elles restent "sans réponses de la part du CNT", d’après un militant amazigh de la ville de Yefren. Une fois Tripoli tombée et toutes les zones berbérophones pacifiées, les activistes culturels amazighs décident de se faire entendre au cœur de la capitale. Début septembre, plusieurs meetings de sensibilisation à leurs revendications sont organisés dans la ville. Des rendez-vous publics facilités par la présence nombreuse de rebelles en armes originaires du Nefousa parmi les forces qui patrouillent toujours à Tripoli. Selon Madghis Bouzakhar, ancien détenu politique et militant culturel amazigh installé dans la capitale, "le conseil militaire de Tripoli [dirigé par l’ancien djihadiste Abdelhakim Belhadj] ne représente pas grand-chose, les révolutionnaires du Nefousa ne reçoivent d’ordre que de leurs propres chefs militaires. Naturellement, ils interviennent également pour des missions de sécurisation à la demande de gens originaires de leur région. Et c’est la même chose pour les troupes venues de Misrata ou d’autres localités."

Cette garantie de sécurité permet aux Amazighs toutes les audaces : lundi 26 septembre, l’hôtel Rixos, siège de la propagande du régime durant le conflit, a accueilli toute une journée la première "Conférence nationale amazigh" de l’histoire du pays. Inaugurée par la diffusion, dans l'établissement, de l’hymne national chanté en arabe et en tamazight, cette journée "est allée au-delà de nos espérances : les salles étaient pleines, nous avons réunis au minimum 2 000 personnes", selon le Pr Fethi Bouzakhar, président de la conférence. "La moitié des participants venaient du Nefousa et l’autre moitié de Tripoli, où vivent un très grand nombre d’amazighophones, explique-t-il. Nos discours ont clairement rappelé notre souhait de voir notre langue devenir officielle, à égalité avec la langue arabe. Si, dans un premier temps, il sera difficile de rendre cette officialisation effective dans l’intégralité du pays, elle permettra du moins son application immédiate dans les zones amazighophones comme le Nefousa ou Zouara. Le ministre de la culture du CNT, ainsi que plusieurs intellectuels, étaient présents. Je pense qu’ils ont entendu notre message."

Fethi Benkhelifa, orginaire de Zouara, militant berbère et exilé politique, conseiller auprès du CNT et présent à la conférence de Tripoli, explique les difficultés auxquelles se heurte cette revendication. "Les Libyens n'ont aucune expérience du débat politique, ni même de la pluralité. Du fait de la nature du régime de Kadhafi, il n'existe aucune société civile. Il est extrêmement difficile de faire comprendre les arguments en faveur de la langue amazigh. La notion que les Libyens peuvent être différents et unis à la fois est très difficile à faire passer dans un pays qui émerge de décennies de politique unanimiste."

UNE AUTONOMIE RÉGIONALE À L'ESPAGNOLE

Interrogé sur le risque d’un scénario à l’irakienne et d’un éclatement violent du pays auquel contribueraient les revendications berbères, M. Bouzakhar est clair. "La question de l’officialisation de notre langue est politique et nous souhaitons la résoudre de manière politique, pas militaire, affirme-t-il. Aujourd’hui, nous avons besoin de nos milices, qui assurent notre sécurité du fait de l’absence d’un véritable Etat, mais nous disons à nos jeunes d’attendre l’issue politique de nos revendications. Tous les Libyens sont nos frères, d’ailleurs 90 % d’entre eux ont des origines amazighs. Pendant la conférence, un intervenant arabophone de Misrata a suggéré le modèle des autonomies régionales espagnoles comme piste pour le futur Etat libyen. Pour le moment, nous exigeons avant tout le droit d’utiliser notre langue de manière officielle."

Couverte par tous les média libyens, ainsi que par la chaîne qatarienne Al-Jazira, la conférence a surpris dans un pays où, il y a quelques semaines encore, l’évocation de la langue amazigh pouvait conduire en prison. Afin de maintenir la pression sur le CNT, les militants amazighs ont organisé le surlendemain, 28 septembre, une imposante manifestation, place des Martyrs, en plein cœur de Tripoli. Entièrement sécurisée par des troupes originaires du Nefousa, l’événement a rassemblé plusieurs milliers de personnes agitant des drapeaux amazighs et chantant des slogans favorables à la reconnaissance de leur langue et de leur culture. De mémoire de Tripolitain, c’était du jamais vu. Et Fethi Bouzakhar prévient : "Nous allons mettre en place une organisation qui portera nos revendications. Ce n’est pas la fin de cette question."

(http://www.lemonde.fr/international/article/2011/09/29/a-tripoli-les-berberes-reclament-leur-place-dans-la-libye-nouvelle_1580065_3210.html)
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