Le Figaro - 17.08.2011
par Astrid De Larminat
Mohrt, le plus britannique des écrivains françaisRomancier, vétéran de la NRF et historien de la littérature, l'académicien vient de mourir. [/b]
Avec Michel Mohrt, décédé à 97 ans, c'est un peu de la France d'avant qui s'en va. La France d'avant la mondialisation braillarde, et surtout d'avant la débâcle de 1940. Cette défaite qui traumatisa les générations alors en âge de se battre pour leur pays et qui avaient rêvé de gloire et de grandeur, Michel Mohrt ne s'en remettra jamais, il l'a écrit. Elle fit de lui, dont le tempérament était un composé bien français «de retenue anglo- saxonne et d'ardeur italienne», selon une formule de l'écrivain Jérôme Leroy, cet idéaliste sans illusion dont l'œuvre romanesque est empreinte d'une mélancolie discrète.
La première époque de la vie de Michel Mohrt, qui a constitué la mémoire et la sensibilité du romancier, se déroule en trois temps qui génèreront trois familles de romans. Né en Bretagne, à Morlaix, en 1914, il grandit entre le granit et le gris de la mer, dans une famille où l'on avait le sens de la tradition. Cette enfance heureuse - de celle qui font les désillusionnés - à l'ombre de la Grande Guerre et dans le climat de guerre civile larvée qui devait éclater sous l'Occupation, il la décrira dans plusieurs de ses romans
La Prison maritime (1961) qui reçut le grand prix du roman de l'Académie française,
les Moyens du bord (1975), ou encore
La maison du père (1979).
A 20 ans, à la faveur de son service militaire dans les Chasseurs alpins, tel Stendhal tombant amoureux au même âge de l'Italie et de l'uniforme, le jeune homme de l'Atlantique découvre émerveillé la Méditerranée: Nice et une douceur de vivre
fitzgeraldienne. La guerre se profile à l'horizon, que le jeune Michel attend le cœur battant, puis la déception des armes - quelques coups de canon, une bataille avortée sur la frontière italienne - seront à l'origine de sa vocation d'écrivain.
L'exilLes années sombres, il les évoque dans
Mon royaume pour un cheval qui est une chronique de l'Occupation du côté de ceux qui se sont fourvoyés aux côtés de l'occupant, avec autant de pureté parfois que de bravoure. Ce deuxième roman, il l'écrit et le publie depuis l'Amérique où il s'est exilé dès 1946, très loin de Paris où l'existentialisme fait fureur. Il donne des conférences sur la littérature française à l'université, se faisant un plaisir lors de ses cours sur le roman français contemporain d'évoquer ceux qui sont alors maudits en France, les Drieu, Morand, Jouhandeau, Brasillach etc. Sans doute, le jeune romancier français hésita-t-il à faire sa vie en Amérique. Finalement, en 1952, il rentre. Il mettra à profit la connaissance approfondie de la littérature anglaise et américaine qu'il a acquise outre Atlantique en dirigeant pendant 20 ans le secteur anglo-saxon chez Gallimard. De ces années d'exil, il tirera aussi deux romans à cheval entre l'Europe et l'Amérique:
L'Ours des Adirondacks (1969) et
Deux Indiennes à Paris (1974).
Michel Mohrt, sans faire de bruit, suivait son chemin d'écrivain à l'écart des boulevards littéraires où ses contemporains s'empressaient. François Nourissier avait résumé son style d'une phrase, disant qu'il traitait «
son sujet en profondeur tout en s'offrant l'élégance de paraître n'y toucher que du bout de la plume ».
Des qualités qui lui vaudront d'être élu en 1986 à l'Académie française où Jean d'Ormesson se réjouit d'accueillir ce «
Breton, catholique et sauvage ».
Longtemps pour ceux qui l'ont lu ou connu, son charme continuera de flotter autour de ses livres qui étaient trop subtils pour accrocher l'attention des jurys littéraires - outre celui de l'Académie, il n'aura reçu aucun des grands prix que son œuvre méritait.