Cette fois, comme eût dit un télégraphiste, je vous reçois 5/5. Je subodorais, quoique partiellement, certes, une telle vision des choses de votre part, mais, à présent que tout est clarifié, je n’en suis que plus assuré pour vous répondre dans la bonne direction.
Pour reprendre votre langage, votre perception de la question évoquée est, de mon point de vue, absolument cohérente et exacte, tant dans l’absolu que dans le cas précis et tout particulier de l’Algérie. Le Maroc, et moins encore la Tunisie, en raison de leur histoire propre et de leurs composantes humaines nettement différentes, ne sauraient en effet se ranger dans la classification que vous retenez.
S’agissant de l’Algérie, pour l’historien et le sociologue que vous êtes si mes informations sont exactes, il ne vous échappe pas que les données sociologiques ne sont guère les mêmes. Au fil du temps, depuis l’avènement de l’islam et ce qu’il est convenu d’appeler la conquête arabe du pays, les métamorphoses subies par les autochtones n’ont pas, comme dans n’importe quelle région d’Europe envahie par un peuple tiers, été automatiquement accompagnées par cette espèce d’osmose qui traduit ailleurs l’interpénétration de deux cultures ou civilisations différentes. Plus clairement, hormis la religion, imposée par l’épée au peuple conquis, rien ni de la culture, ni des mœurs et des traditions apportées par les invasions arabes n’ont trouvé prise sur le peuple autochtone. L’eussent-elles tant désiré, d’ailleurs, ces dernières n’avaient à se prévaloir, en vérité, d’aucune avance sur la culture ou la civilisation locale. C’est, à mon sens, la raison d’être de cette distanciation qui est restée, des siècles durant, assez palpable entre les tribus arabes qui se sont succédé dans le pays et le seul peuple kabyle, les autres peuples berbères étant restés nettement moins fermés.
Aujourd’hui, pourtant, les choses commencent à évoluer à une vitesse autrement plus rapide et inespérée, puisque les brassages de populations, représentés principalement par les mariages mixtes, tendent à se développer d’est en ouest et du nord au sud de l’Algérie. Quand on sait, de plus, que l’arabisation gagne désormais davantage de terrain, y compris dans les zones longtemps restées très distantes des milieux arabophones, il est même fort à craindre que les dialectes locaux finissent par disparaître sous peu, comme l’appréhendent nombre de chercheurs spécialisés.
Dans ce sens, le régime politique en place, très conscient de la chose, se fait en même temps un devoir de tout mettre en œuvre dans l’objectif d’atteindre à terme, et coûte que coûte, la fusion totale des deux communautés, au risque de provoquer l'éclatement du pays, par les excès qui jalonnent une telle politique très mal conduite par ailleurs. Un tel risque, que nourrit non sans des raisons valables la fronde kabyle, est d'autant plus pesant que rien n'est fait en vérité pour le contrecarrer. D'abord, à force de s’ériger en seul maître des destinées du pays, le camp arabophone, en veillant étroitement, ce faisant, à ne laisser en aucun cas le pouvoir échoir entre des mains de l’autre camp, principalement kabyle, il cultive en soubassement une discrimination regrettable qui commence à dégénérer progressivement en une espèce de haine entre les deux communautés, un facteur extrêmement grave de division qui hypothèque l'avenir. Tout récemment encore, faute d'appliquer une véritable justice dans l'affaire des dizaines de jeunes impunément massacrés à Tizi-Ouzou par les gendarmes en 2002, le pouvoir fait publiquement montre d'une volonté manifeste de réduire par le sang la révolte Kabyle, pourtant essentiellement dirigée cette fois-là sur la malvie généralisée, le chômage, etc. D'un autre côté, c'est faire fi du droit le plus élémentaire du citoyen que de l'empêcher d'étudier sa propre histoire. Travestir indéfiniment l’histoire en considérant que celle de l’Algérie ne commence qu'à partir de 1930 avec l’apparition du Mouvement national, ne saurait en rien contribuer à cette fusion souhaitée. On ne peut non plus continuer de faire faussement accroire que les Berbères, la race authentique de ce pays, seraient issus du Yémen ou du Rio de Oro, comme on ne peut mensongèrement non plus laisser penser aux Algériens que la conquête arabe les avait propulsés à la civilisation. On ne peut, enfin, rester plus longtemps sourd aux revendications légitimes d'une communauté qui a tant donné pour la libération du pays. Autant de contre-vérités, de mensonges et d'injustices n'ont pour effet que d'entretenir sciemment les générations montantes dans l'illusion qu'elles tirent leurs origines de la nation arabe, une aberration aussi inacceptable que condamnable. Et tant que de tels facteurs regrettables de division continuent d’être mis en avant par cette coterie qui s’est autoproclamée seule détentrice légale du pouvoir, le pire est même à craindre. Les risques d'affrontements, même s’ils ne sont pas perceptibles à présent dans d’autres régions berbérophones, ne sauraient être écartés.
C’est pour toutes ces raisons, il me semble, qu’à l’inverse de la Tunisie et du Maroc où les choses ne se présentent pas de la même façon, que les communautés arabophones et surtout kabylophones continueront de s’opposer, permettant ainsi au pouvoir en place de traduire à son niveau les seules aspirations arabes d’un pays n’ayant pourtant rien d’originellement arabe.
P.S. - Un dernier mot, enfin, s'agissant des propos aussi aberrants qu'inacceptables que la cinglée, sans doute, vous aurait tenus, je ne pense pas qu'il y ait matière à les évoquer. Il faut imputer sa bassesse à son inculture sinon à son immoralité.