La phobie de l'islamisme en Europe

Pour de multiples raisons liées, d’une part, à la crise économique persistante en Europe et génératrice d'un chômage devenu endémique et, d’autre part, aux attentats terroristes imputés aux intégristes islamistes, qui ont touché nombre de leurs pays, les Européens entretiennent depuis une quinzaine d'années environ une phobie grandissante à l'endroit des immigrés en provenance des pays islamiques, et plus précisément d'Afrique du Nord.

Alimentée de plus, en France particulièrement, par des violences et autres méfaits d'expression raciste attribués aux jeunes beurs des banlieues ainsi que par des manifestations bruyantes de faux dévots qui abusent des libertés publiques pour afficher de façon ostentatoire et provocante les signes extérieurs de leur appartenance à l’islam (barbes, kamis, sandales, turban, etc. pour les hommes, sinon burkas, foulards, hidjabs, etc., pour les femmes), une telle phobie est pleinement exploitée à dessein par des courants de droite et d'extrême droite pour servir leurs intérêts politiques. N'est-ce pas que Sarkozy et ses amis avaient assis et réussi la campagne présidentielle de 2007 sur l'insécurité frappant les banlieues ? N'est-ce pas que même Chirac s'était laissé abuser par la même campagne haineuse jusqu'à évoquer publiquement de "mauvaises senteurs dans certains quartiers noirs"?

Le résultat est là, manifeste et incontournable : 42 % des Français et 40 % des Allemands considèrent la présence d'une communauté musulmane comme "une menace" pour l'identité de leur pays, tandis que 68 % des premiers et 75 % des seconds estiment que les musulmans ne sont "pas bien intégrés dans la société", écrit le journal Le Monde comme conclusions d’un sondage IFOP réalisé en décembre dernier dans les deux pays.

Partant du fait que ces musulmans constituent « une menace », d’autant plus qu’ils « ne sont pas bien intégrés dans la société », il ne resterait donc plus, au nom de la préservation de la race et des valeurs chrétiennes, qu’à les chasser d’Europe.

Comme si elle avait mûrie très vite, l’idée commence d’ailleurs à prendre corps dans les débats publics, même quand elle est prononcée à mots couverts. Ce n’est plus le fils, le petit-fils ou l’arrière petit-fils suspecté de quelque méfait qu’il faut expulser de son pays natal, la France par exemple, mais aussi ses parents, ses grands parents s’ils sont encore en vie. Et tant pis si l’aïeul a laissé sa vie sinon un bras, une jambe ou toutes ses tripes dans quelque guerre où la France l'aura entraîné ! Par la faute de leur rejeton, les parents et les grands parents perdent dès lors toute attache avec leur pays d’accueil.

Pourtant le problème est très simple et résulte principalement des graves discriminations qui ont toujours frappé les immigrants africains en Europe. Marginalisés, sous-payés, mal logés et refoulés des grandes écoles, ces derniers constituent aujourd'hui une classe de laissés-pour-compte, que les islamistes réussissent facilement à détourner et à exploiter dans le sens de leurs intérêts. Aussi, pour le régler, suffit-il de s’inspirer de la manière qu’adoptent les Américains pour mettre un terme aux semblables discriminations dont les noirs et les immigrés latino-américains faisaient jadis les frais chez eux. En les traitant plus humainement, ils ont réussi la prouesse d’intégrer rapidement et sans bruit toute la population noire ainsi que des dizaines de millions de latino-américains immigrés chez eux. Par la culture, d’abord, ils ont offert les mêmes chances à tous de gravir tous les degrés de la hiérarchie administrative, militaire et politique du pays. Par le cinéma, tout particulièrement, qui dresse un équilibre parfait entre les races, les Américains blancs finissent par gommer les différences pourtant excessives qui les séparaient de leurs compatriotes noirs. Par la politique, enfin, bien des Américains des années cinquante se surprendraient aujourd’hui de voir un Obama, de race noire, au plus haut sommet de l’État.

Mais, pour réaliser semblable effort sur soi, il faut d’abord être américain. Ce ne peut être le cas d’un Français, trop fier et toujours trop près de ses racines et de ses valeurs qu'il croit faussement être supérieures à celles des autres.

Le Point.fr publie une interview sur le sujet d'un chercheur au CNRS qui n'est pas sans intérêt. Elle aide en tout cas à mieux appréhender le problème posé.
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Le Point.fr - Publié le 07/01/2011

Les musulmans sont-ils une menace pour l'identité nationale française ? Leur religion est-elle un frein à leur intégration ? Franck Fregosi, universitaire, chercheur au CNRS, auteur de Penser l'islam dans la laïcité (1), nous livre son analyse.

Le Point.fr : Selon un sondage Ifop* publié par Le Monde, 42 % des Français considèrent les musulmans "comme une menace". Le président de la République, lui-même, s'est dit préoccupé par ce chiffre. Quelle lecture pouvons-nous en faire ?

Franck Fregosi : Cela nous interpelle sur l'opinion que l'on a de l'islam, mais cela ne donne pas forcément un état des lieux de ce qu'est l'islam dans sa réalité vécue. Nous sommes dans une logique où l'islam est perçu de manière négative dans sa globalité. Ce n'est pas nouveau, la représentation de l'islam n'a jamais été positive en France, même s'il y a eu une accélération ces derniers temps.

Pour quelle raison ?

Il y a eu un certain nombre de faits divers, notamment sur la scène internationale, et la volonté d'inscrire à l'agenda politique le débat sur le voile intégral ou sur l'identité nationale qui ont pu constituer un défouloir. Le débat sur l'identité nationale a d'ailleurs ouvert un certain nombre de verrous et les gens s'y sont engouffrés afin d'exprimer leurs réticences à l'égard de l'islam.

Nous sommes dans une situation de fragilisation, notamment sur le plan économique, et souvent dans ce cas nous avons tendance à trouver des palliatifs, des fuites, pour ne pas regarder la réalité en face. On transfère à la réalité de l'islam un certain nombre de problèmes qui sont réels, comme la délinquance et la violence, mais le problème est avant tout social. Un autre élément me paraît révélateur. Il y a cette focalisation sur le paramètre islam qui était auparavant assez courante dans les milieux d'extrême droite, mais aujourd'hui ce phénomène s'est élargi. Les assises contre l'islamisation de la France l'ont démontré : on y a vu des gens de gauche et d'extrême gauche, plutôt laïques, rejoindre l'extrême droite sur ce terrain.

L'islam est-il une menace pour la laïcité ?

Je ne le pense pas. Toute religion a du mal à admettre le principe de laïcité. Ce n'est pas de gaieté de coeur que l'Église a accepté la loi de 1905, c'est parce que le législateur la lui a imposée. Par la suite, la laïcité s'est généralisée et elle-même a adopté un profil conciliateur, ce qui fait que tous les groupes religieux sont d'accord aujourd'hui avec l'idée de garantir une neutralité de l'espace public.

Il y a aujourd'hui de multiples adéquations entre islam et laïcité. Il y a ce que j'appelle "des phénomènes d'hybridation mutuelle". Les musulmans sont amenés à s'adapter tant bien que mal à la laïcité, et par ricochet, et aussi paradoxalement que ça puisse paraître, la laïcité, elle-même, prend en considération la réalité de ce qu'est l'islam aujourd'hui. Il y a bien longtemps que les musulmans ont dû composer avec la laïcité. Mais toute la difficulté, c'est que nous considérons que l'islam est un tout indissociable : religion, politique, social, économique, alors que, dans la réalité, ce n'est pas ce que l'on observe.

Votre analyse s'oppose à l'opinion des 62 % des Français interrogés par l'Ifop qui pensent que les musulmans ne sont pas intégrés...

Mis à part des groupes extrémistes marginaux, les musulmans, quel que soit leur niveau de pratique, s'adaptent à leur environnement. Il y a clairement un amalgame entre un certain nombre de problèmes urbains, de logement, de débouchés professionnels, qui sont raccordés à une dimension religieuse. C'est dangereux. Il ne faut pas s'étonner que certains acteurs en rupture de ban récupèrent cet argument pour dire : "Puisque vous nous voyez différents, nous allons cultiver notre différence" et de l'autre côté entendre dire : "On ne peut rien faire avec ces populations parce qu'elles ne partagent pas la même religion que nous."

La France d'aujourd'hui est sécularisée, dans laquelle finalement tous les groupes religieux sont minoritaires. Ils doivent composer les uns avec les autres et composer avec cette réalité que les individus en France ont prise comme habitude de s'émanciper des institutions religieuses sans pour autant oublier d'où ils viennent, leur héritage culturel, et c'est là notre grand défi : laïciser le regard que nous portons sur la société.

(1) Penser l'islam dans la laïcité, Fayard, 2008, 486 pages.

* Sondage réalisé via un questionnaire autoadministré en ligne, du 7 au 9 décembre en France, du 3 au 8 décembre en Allemagne, auprès d'échantillons de 809 personnes en France et 801 en Allemagne, représentatifs de la population de 18 ans et plus.

http://www.lepoint.fr/societe/la-representation-de-l-islam-n-a-jamais-ete-positive-en-france-07-01-2011-128012_23.php