Le physicien iranien disparu l'an passé fait beaucoup jaser

Il y a juste un an des bruits avaient couru faisant état tantôt de la défection du physicien iranien, Shahram Amiri, disparu dans des conditions troubles, tantôt de son enlèvement à partir d'Arabie saoudite où il s'était rendu pour le pèlerinage.

L'information vient d'être confirmée par Téhéran, du moins sous l'angle de son enlèvement par les forces américano-saoudiennes. A l'ambassadeur suisse représentant les intérêts américains dans la capitale iranienne, il a été présenté, hier, un dossier constituant les preuves de son kidnapping.

Lundi dernier, la télévision iranienne a même diffusé un film vidéo montrant Amiri déclarant qu'il est détenu dans une prison près de Tucson, en Arizona, à l'ouest des Etats-Unis.

Pour le porte-parole de la diplomatie iranienne, "Ce film confirme que le ressortissant iranien a été enlevé par les services de renseignement américains et saoudiens".

Par ailleurs, on croit savoir que ce physicien se serait de lui-même placé sous la protection des services secrets occidentaux auxquels il aurait confié, à son arrivée à l'aéroport de Frankfort où il devait rencontrer des experts de l'AIEA, des documents d'une haute importance impliquant son pays dans un programme nucléaire apparemment interdit.

Shahram Amiri a reparu à Washington, après avoir faussé compagnie à ses geôliers des services spéciaux américains. Il s'est réfugié à l'ambassade du Pakistan, et plus exactement au bureau chargé des intérêts iraniens.

C'est le site de la télévision d'Etat iranienne qui l'annonce aujourd'hui même.

Il a demandé à rentrer immédiatement dans son pays, ajoute ce média.

Téhéran accuse la CIA, agissant de concert avec les services secrets saoudiens, de l'avoir enlevé d'Arabie où il s'était rendu en pèlerinage en juin 2009.

ABC, la chaîne de télévision américaine, avait affirmé en mars dernier que le physicien nucléaire iranien s'était laissé débaucher par la CIA.

Peu après, en juin, la télévision iranienne diffusait une vidéo dans laquelle Amiri déclarait avoir été enlevé par la CIA et se trouvait détenu par elle à Tucson, au sud-ouest des USA.

Washington ayant démenti l'information, Téhéran diffuse une nouvelle vidéo montrant Amiri affirmant s'être échappé des mains de la CIA et ajoutant qu'il se cachait en Virginie.

Et c'est suite à ce rebondissement que le chargé d'affaires suisses représentant les intérêts américains a été convoqué par les Affaires étrangères iraniennes pour recevoir une protestation officielle contre les agissements illégaux de Washington.

Maintenant, le problème est de savoir si les autorités iraniennes n'ont pas été manipulées par la CIA au point de croire à un conte de cette nature, d'autant qu'elles savent pertinemment qu'il est impossible pour un détenu particulièrement iranien de se tirer vivant des mains de la centrale de renseignements américaine, de triste et peu glorieuse réputation.

Shahram Amiri a réintégré son pays hier. Reçu tôt le matin à l'aéroport de Téhéran par le vice-ministre des Affaires étrangères et sa propre famille, le physicien a tenu à préciser qu'il n'était pas physicien nucléaire, même si les Américains l'ont présenté comme tel jusqu'ici.

Il s'est dit simple chercheur dans une université : "Je n'ai fait aucune recherche dans le domaine nucléaire. Je suis un simple chercheur travaillant dans une université ouverte à tous et où il n'y a aucun secret," a-t-il déclaré, avant d'ajouter : "Je n'ai rien à voir avec Natanz et Fordo [deux sites d'enrichissement d'uranium]. C'était un jeu du gouvernement américain pour faire pression sur l'Iran".

Il s'est inscrit par ailleurs en faux par rapport à la déclaration d'Hilary Clinton prétendant qu'il est entré librement aux USA et qu'il pouvait en sortir tout aussi librement : "Je suis vraiment surpris par les propos de la secrétaire d'Etat américaine [Hillary Clinton] qui a déclaré que j'étais libre [aux Etats-Unis] et que j'y suis allé librement. Je n'étais pas libre. J'étais gardé par des hommes armés des services de renseignement", lui a-t-il répliqué, en soulignant encore : "Les deux premiers mois, j'étais sous les pires tortures physiques et mentales".

Si l'on ajoute à ces sons de cloche que le journal Le Washington Post avance de son côté que le chercheur a collaboré, contre cinq millions de dollars, avec la CIA en lui fournissant de précieux renseignements sur le programme nucléaire iranien, la confusion vient dès lors s'installer.

Que croire dans cette histoire ?

On peut considérer déjà que l'enlèvement forcé ou volontaire d'Amiri est plausible, dans la mesure où les relations bilatérales entre Washington et Téhéran n'ont jamais été aussi tendues que depuis ces deux ou trois dernières années pour ne pas autoriser une circulation libre d'un citoyen iranien dans le territoire américain.

En prenant donc en compte la thèse de l'enlèvement forcé exprimée par l'intéressé, l'on est tenté de se poser la question de savoir comment et à quel prix s'est-il débarrassé de ses anges gardiens, voire de ses geôliers.

D'un autre côté n'est-il pas juste de se demander pourquoi la CIA a jugé préférable de le libérer aux USA et non en Arabie saoudite - d'où il aurait été enlevé - ou dans un autre pays tiers, de manière à brouiller les pistes ?

L'élargissement de ce chercheur laisse manifestement des zones d'ombre où domine un probable retournement qui aurait profité aux Américains.

Selon l'agence Ria Novosti, Amiri a déclaré aujourd'hui qu'il avait rejeté une offre des services de la CIA lui proposant 50 millions de dollars pour ne pas quitter les USA et 10 autres millions pour simplement se présenter à la chaîne CNN en vue d'y reconnaître, dans le cadre d'une interview, qu'il était entré aux USA de son plein gré.

L'agence russe ajoute que si Le Washington Post a écrit que le chercheur iranien aurait vendu, contre 5 millions de dollars, des informations sur le programme nucléaire de son pays, le départ de cet homme des USA rend impossible le paiement de cette somme.

En d'autres termes, les déclarations précédentes et tonitruantes de Hilary Clinton n'ont d'autre signification que celle de faire le jeu d'une propagande éhontée de Washington pour couvrir son acte de banditisme par lequel ses services spéciaux ont enlevé Amiri d'Arabie saoudite avec la complicité bien comprise de Riadh.