Un article de
Libération, édité aujourd’hui, fait état des légitimes préoccupations de Jacqueline Moudeina, avocate, responsable d’une association tchadienne des droits de l’homme, à propos des lenteurs prises par le Sénégal pour procéder au jugement de Hissen Habré, cet ancien président du Tchad poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre, torture, et pourquoi pas détournements de deniers publics, un autre acte criminel devenu désormais une ritournelle bien connue des chefs d’Etat africains, dans leur quasi-totalité.
L’ex dictateur de N’Djamena, au pouvoir de 1982 à 1990, qui, déjà, dans les années 1960, avait beaucoup fait parler de lui dans l’affaire de la séquestration criminelle de Mme Claustre, une Française, enseignante si je ne m’abuse, activant alors au Tchad, a été recueilli par le Sénégal, où, en petit pacha, il vit depuis déjà de longues années.
Pour surmonter un complexe raciste, l'U.A., devant laquelle les Sénégalais se sont engagés à faire, chez eux, un procès équitable à l’inculpé, que la justice belge recherche par ailleurs sur plainte d’anciennes victimes résidant en Belgique, a fini par se ranger à l'offre du Sénégal, soustrayant ainsi l'inculpé à la juridiction des "Blancs", en Belgique ou au T.P.I.
Depuis, malheureusement, le Sénégal use exagérément de procédés dilatoires pour remettre aux calendes grecques l’ouverture dudit procès. Plus surprenant est encore son besoin de réclamer, à cette fin, de l’U.A. et de la communauté internationale une aide de 66 millions d’euros, selon
Libération. Il justifie son geste par la nécessité de construire un nouveau palais de justice et de couvrir les honoraires de 15 juges sénégalais. Une telle aberration aussi inepte que ridicule cache mal en vérité l'intention avérée de renvoyer sine die le jugement de ce criminel, confortablement installé au Sénégal, où il continue de jouir d’une impunité totale.
Mais, derrière l’acquiescement en filigrane de l’U.A. dont les dirigeants semblent plutôt satisfaits du statut quo actuel, on ne peut manquer de lier leurs motivations profondes à la préoccupation d’échapper eux-mêmes demain au jugement que leurs concitoyens respectifs, sinon la communauté internationale elle-même, pourraient être tentés de leur faire subir à leur tour, à raison des massacres et autres abus d'autorité ou détournements qui les incriminent pour leur grande majorité.
Aussi, les malheureuses victimes du régime Habré devront-elles s’armer de patience. Hélas ! ce n’est pas demain la veille qu’un chef d’Etat africain, volontairement soustrait à un jugement équitable tout particulièrement du T.P.I., se verra condamner par ses pairs dans son propre continent.