L'Europe commence à prendre ses distances des USA

A l'occasion de la conférence de presse qu'ont tenue à Nice, ce matin, les présidents Medvedev, de Russie ; Sarkozy de France et du Conseil de l'U.E. et Barrozo, Commissaire de l'U.E., le président français a tenu au double plan politique et économique un discours, vis-à-vis de Washington, qui tranche nettement avec ses précédentes prises de position.

Au plan politique et particulièrement de la paix internationale en Europe, Sarkozy s'est dit totalement opposé à l'usage de menaces proférées, certes par Moscou en réponse au projet américain d'installer le bouclier antimissile en Pologne et en Tchéquie, mais principalement par Washington avec l'entrée de sa flotte de guerre en mer Noire, l'été dernier, à la faveur du conflit géorgien. Il ne peut y avoir de menace aux frontières de l'Europe, a martelé Sarkozy. Apparemment, tout, dans son propos, laissait entendre que l'U.E. a fini par résoudre les boutefeux polonais notamment à plus de retenue, et surtout à abandonner le projet dudit bouclier. D'autant plus que la parade annoncée par la Russie d'installer des missiles, thermonucléaires vraisemblablement, non loin dudit bouclier, est désormais prise au sérieux, les Européens verraient naturellement d'un mauvais oeil une double menace pointant à leurs frontières. La volonté de Sarkozy, qui se pose là en homme de paix et en rassembleur, de privilégier le dialogue dans tous les cas de figure, prime naturellement sur l'envie que cultive certains petits Etats revanchards de l'ex URSS et fraîchement admis au sein de l'UE d'en découdre militairement avec Moscou.

Au plan économique, l'Europe se pose désormais en adversaire de la politique américaine visant à laisser les choses en l'état. Au nom de la défense des principes capitalistes, Bush, dans sa dernière déclaration, avait en effet laissé entendre que son pays se dissocierait de toute entreprise visant à toucher aux fondements premiers du système financier. Assurés jusqu'ici d'une espèce d'impunité, grâce au dollar qui s'est érigé en maître du marché depuis la conférence de Bretton Woods, les Américains entendaient conserver ainsi pour l'éternité le leadership sur l'économie mondiale. Or, aujourd'hui, les choses ont changé : le dollar n'est plus maître absolu de l'espace financier. Une réforme dans le fond et urgente s'impose plus que jamais, semblait dire Sarkozy. On ne peut plus différer son échéance, a-t-il ajouté. Le monde aura été suffisamment secoué par la crise encore pendante, pour que la révision totale de l'appareil financier, FMI et Banque mondiale inclus, soit entreprise sans délai, a enfin insisté le président français.

A propos du bouclier antimissile dont l'installation est projetée en Pologne et en Tchéquie, et que le président français considérait, du bout des lèvres, comme étant un acte de provocation à l'égard de Moscou, le Premier ministre polonais vient de réagir d'une manière quelque peu brutale qui en dit long sur la position de son pays. Pour lui, il s'agit là d'une "question qui ne concerne que les relations bilatérales entre la Pologne et les Etats-Unis".

Peu diplomatique, Donald Tusc estime que "Le président français, Nicolas Sarkozy, a exprimé son point de vue personnel, point de vue qui n’aura aucune influence sur l’avenir de ce projet". En d'autres termes, il invite Sarkozy à s'occuper de ses affaires et non de celles de la Pologne. Donald Tusc entend être très clair sur ce sujet : "Même un pays ami comme la France n’est pas en droit d’exprimer son avis sur l’ABM".

Radoslaw Sikorski, ministre polonais des Affaires étrangères, donne, lui, au propos en cause de Sarkozy une autre interprétation. C'est simplement un "geste de courtoisie à l’égard du président russe Dmitri Medvedev", a-t-il déclaré, avant d'ajouter, en forme de désaveu : "La déclaration de Sarkozy ne traduit nullement la position de l’UE, car personne ne lui a donné ce mandat".

Un tel rappel à l'ordre était d'autant plus prévisible qu'aucune déclaration dans ce sens n'avait été entendue de l'un ou l'autre des principaux dirigeants polonais, suffisamment connus du reste pour leur extrémisme.