L'Iran fait désormais cavalier seul

La Russie semble désormais faire machine arrière dans sa résolution de soutenir les revendications de l’Iran quant à son désir de poursuivre ses recherches nucléaires à caractère civil.

Moscou se dit désormais prêt à appuyer, à Berlin, en février prochain, la prochaine initiative concoctée par l’Occident à l’effet de contraindre Téhéran, par des sanctions plus dures, à cesser ses activités de recherches nucléaires

Poutine s’est efforcé en vain, en effet, de faire entendre raison au régime khomeiniste, depuis la visite qu’il a rendue à ses plus hautes autorités. N’ayant reçu jusqu’ici aucune réponse positive à ses demandes, il se considère d’autant plus déçu qu’il s’était abondamment dépensé à rassurer ses collègues du Conseil de sécurité sur la teneur légale des travaux engagés par l’Iran. Et c’est sûrement le seul motif qui a présidé au blocage de la troisième résolution du Conseil de sécurité qui devait être prise depuis quelques semaines déjà. Sans nul doute, aussi, la décision annoncée par Téhéran de reporter à quatre semaines le délai de dépôt du rapport attendu par l’AIEA a beaucoup pesé dans cette virevolte, aujourd’hui, de Moscou.

Enfin, s’il est un pays mieux au fait des avancées iraniennes dans leurs recherches nucléaires, c’est en tout cas la Russie qui a livré le mois dernier le combustible sur lequel elle s’était engagée de longue date déjà.

Jalili, le négociateur iranien de la question nucléaire, en allant jeudi chercher le soutien de la Chine, confirme indirectement que son pays ne peut plus compter sur le soutien de Moscou. Et Pékin, qui se dit néanmoins favorable au système de non prolifération, tente pour l’instant de temporiser en appelant tout le monde à la pondération et à la négociation. Il est vrai que Pékin, tout en se montrant ferme à la non prolifération, garde un oeil vigilant sur la principale source de ses approvisionnements pétroliers.

Le bruit de bottes, qui se fait entretemps pressant du côté du détroit d'Ormuz, augure en tout cas de graves événements en préparation dans la région. D’un côté, Bush a visité les capitales voisines et « amies » pour solliciter ouvertement leur appui contre l’Iran ; de l’autre, Sarkozy, qui succède à Blair au côté du président américain, a emboîté aussitôt le pas à ce dernier pour signer au plus vite l’accord d’Abu Dahbi lui permettant de ramener des troupes sur place. Enfin, Israël, en annonçant son essai réussi d’un missile à longue portée, n’est pas en reste, lui qui entend jouer désormais au gendarme de la région.

Toutes ces combinaisons peuvent produire à bref délai des hécatombes très nuisibles à la région mais aussi des bouffées d’oxygène qui manquent tellement aujourd’hui au régime moribond de Bush fort capable, là, de jouer son dernier va-tout.

Une nouvelle série de sanctions contre l'Iran est en préparation au Conseil de sécurité de l'ONU. Impulsée par les USA, la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, la nouvelle résolution sera sans doute plus dure que les deux précédentes, 1737 de décembre 2006 et 1747 de mars 2007.

Sur les 15 votants, seule l'Indonésie refuse jusqu'ici d'accoler sa signature sur le texte.

Baradei, le directeur de l'AIEA, n'aura pas non plus été tendre avec Téhéran, puisque ses services ont même produit, le 22 février dernier, un rapport confidentiel faisant état depuis 2003, en Iran, d'activités nucléaires intensives ne pouvant être interprétées autrement que par la poursuite du seul objectif de la bombe. En tergiversant, il est vrai, sur les clarifications demandées en vain par cet organisme, le régime islamique renforce ses adversaires du Conseil de sécurité dans la conviction qu'il poursuit ses recherches dans le sens qui lui est précisément interdit.

Aux termes de cette dernière résolution, le pays dispose d'un délai de trois mois pour suspendre ses activités d'enrichissement d'uranium, au-delà duquel d'autres sanctions pourront être éventuellement prises.

L'Iran considère, comme toujours, que l'activisme essentiellement américain qui a motivé cette nouvelle levée de boucliers est essentiellement inspiré par des motivations à connotation politico-économiques suffisamment connues aujourd'hui.

D'après l'agence Ria Novosti, Mohamed Ali Hosseini, porte-parole de la diplomatie iranienne, a déclaré aujourd'hui : "La poursuite de ce processus (l'adoption de résolutions par le Conseil de sécurité de l'ONU) ne se répercutera pas sur la volonté du peuple et du gouvernement de l'Iran de développer le nucléaire civil dans le cadre du Traité de non prolifération nucléaire".

"Cette résolution est contraire à l'esprit et au contenu du règlement de l'AIEA, et elle est basée sur un agenda politique et une approche partiale. Cette résolution antiiranienne est inacceptable et condamnable", a ajouté le diplomate.

La nouvelle résolution propose "d'interdire aux concepteurs du programme nucléaire iranien de sortir du pays, de geler les comptes de plusieurs sociétés et banques iraniennes et d'inspecter les cargaisons à destination et en provenance d'Iran", conclut la dépêche de Ria Novosti.

Il semble donc que les USA, qui pilotent le Conseil de sécurité, attachent beaucoup de prix à détacher de leur pays, contre finances sans nul doute, les concepteurs du programme nucléaire iranien, moyen assurément le mieux indiqué (un précédent s'étant conclu avec succès en Allemagne de 44/45) pour connaître les véritables avancées dans le domaine. Mais, c'est forcément se tromper ici de décennie, les Iraniens travaillant sur le projet, que les images de télévision nous ont bien souvent montrés dans les conditions les plus confortables, n'étant pas aussi malléables que leurs aînés qui avaient, à une certaine époque, pris fait et cause pour les intérêts de sa majesté britannique au détriment de ceux de leur propre pays. Ils n'ont non plus rien de commun avec les généraux félons de Saddam que la CIA, aux premiers jours de la guerre, avait pu acheter comme du bétail pour deux ou trois millions de dollars chacun.

La résolution adoptée a été finalement votée par onze des Etats membres, au lieu de quatorze, comme indiqué ci-haut. Elle ajoute sur la liste des banques dont les échanges financiers doivent être surveillés, Melli et Sderat. En sus, une inspection de toutes les cargaisons voyageant à destination de l'Iran, par voie aérienne ou maritime, doit être désormais entreprise, en vertu de cette résolution.

Au terme du délai de 90 jours accordés à Téhéran pour cesser l'enrichissement de l'uranium, le Conseil de sécurité devrait se réunir, le cas échéant, pour décider, cette fois, non de nouvelles sanctions, mais d'une intervention militaire, comme prévu par le chapitre VII de la Charte. Il n'est pas sûr, toutefois, que la Chine et la Russie se rangent alors en faveur d'une telle résolution, intéressées qu'elles sont de conserver leurs rapports commerciaux avec l'Iran.

Il appartient désormais à l'AIEA de presser, d'ici là, ce dernier à se plier aux exigences du Conseil de sécurité en vue d'un contrôle approfondi de ses activités nucléaires.

Ahmadinedjad, le président iranien, n'est finalement pas si cinglé que n'y aide à le croire sa récente déclaration glorifiant, au plus fort des menaces pesant sur son pays, la mise en route de 6000 nouvelles centrifugeuses, seul moyen sans doute de hâter la production d'uranium enrichi en quantité suffisante pour des objectifs que rien, en vérité, ne permet de supposer sans risque de se tromper.

Si certains spécialistes ont laissé croire, il y a quelques mois, qu'à l'allure où progressait l'Iran dans le domaine nucléaire, il lui faudrait un minimum de trois à cinq années pour espérer produire une première bombe, il faudrait, aujourd'hui, qu'ils déchantent. Téhéran n'est plus à 100, 300 ou 500 centrifugeuses de l'époque, il en est au minimum à 6000 voire à 9000, comme le suggèrent certaines analyses, qui laissent entendre que la cadence est désormais démultipliée, laissant augurer la sortie éventuelle de cette première bombe dans un délai ne dépassant pas désormais six, huit, voire dix mois tout au plus. Aussi surprenante qu'inattendue est encore la démonstration que viennent de faire les techniciens iraniens en réalisant eux-mêmes, et sans assistance notable étrangère, matérielle ou humaine, leurs nouvelles centrifugeuses de la génération dite IR-2, de surcroît.

Sur un autre plan, la déconvenue pour les membres permanents du Conseil de sécurité, lesquels ont imposé à Téhéran trois séries de sanctions consécutives fort contraignantes, est surtout de constater que la communauté internationale n'approuve pas, dans sa totalité, les résolutions prises. Selon le Belge, Johan Verbeke, président du Comité chargé de l'exécution et du suivi de ces dernières, seuls 88 Etats (sur 192 membres de l'ONU) ont veillé à la stricte application de la première résolution et 72 à la seconde, et ont établi leurs rapports en conséquence. Et il est à craindre que le nombre poursuive sa chute pour la troisième et dernière résolution.

De tels chiffres placent dans l'embarras désormais le Conseil de sécurité qui a fait montre jusqu'ici d'un inexplicable parti pris d'autant plus injustifié que l'Iran n'a encore donné aucune preuve de sa volonté de poursuivre son avancée vers la bombe et que, d'un autre côté, Israël claironne à qui veut l'entendre qu'il détient en toute illégalité, et au mépris des règles communément adoptées à l'échelle planétaire, 200 à 300 bombes de sa propre fabrication.

L'on sait que les dernières négociations entre Téhéran et le comité représentant les principaux membres du Conseil de sécurité ont achoppé sur le refus de l'Iran de suspendre son enrichissement de l'uranium. Un délai de quinze jours a été accordé à cette occasion à ce pays pour obtempérer à l'odre de suspension.

Tout au contraire, Ahmadinedjad s'estime aujourd'hui autorisé à continuer de faire activer les 6000 centrifugeuses mises en route depuis avril dernier. Il le déclare même publiquement : « Aujourd'hui, ils (les Occidentaux) ont accepté que le nombre de 5.000 à 6.000 centrifugeuses existantes n'augmente pas et qu'il n'y pas de problème à ce que ces centrifugeuses fonctionnent ».

Aussi, s'interroge-t-on vraiment sur le sens donné tout particulièrement aux conclusions de la dernière rencontre, dont les termes sont pourtant sans équivoque : de nouvelles menaces risquent d'être prises très bientôt si Téhéran s'entête toujours à poursuivre son activité nucléaire. L'on se demande donc s'il n'y a pas derrière tout ce rideau de fumée une espèce de compromis trouvé entre les deux parties et permettant à l'Iran de faire la sourde oreille aux injonctions reçues.

Les prochains jours nous renseigneront mieux sur la nature des résolutions prises et sur la véritable disponibilité de l'Iran à se plier aux recommandations reçues.