Le Figaro.fr - 16.04.2014
par Thierry Oberlé (Envoyé spécial à Alger)
Le DRS, Département du renseignement et de la sécurité, a longtemps fait la pluie et le beau temps dans la vie politique algérienne. Il a notamment joué un rôle majeur lors des rendez-vous électoraux.
La scène se passe devant le Patio, un restaurant du quartier d'el-Biar où se côtoie le tout-Alger de la politique et des affaires. Croisé par hasard, un ancien fonctionnaire chargé de surveiller la presse internationale dans les grands hôtels durant les années noires de l'insurrection islamiste se lâche. « Je peux vous le dire maintenant, je n'étais pas commissaire de police mais colonel au DRS », glisse cet "ex-policier" reconverti dans le conseil aux entreprises. La confidence est révélatrice des changements en cours: le Département du renseignement et de la sécurité, DRS (les services secrets militaires NDLR), qui a fait longtemps la pluie et le beau temps dans la vie politique mais aussi sociale et économique du pays, sort peu à peu de l'ombre. Son rôle et sa place dans la société ne sont plus un tabou.
Véritable État dans l'État, le DRS s'est développé comme une pieuvre dans l'administration et les organismes publics, dans les syndicats et les entreprises. Il a ses relais dans les médias, les milieux universitaires, la diplomatie, les affaires religieuses. Il est censé écouter, savoir et surtout prévoir. L'opacité est son mode de fonctionnement. Il aurait favorisé la création de partis, d'associations, de journaux. Il peut avoir son mot à dire dans la nomination de n'importe quel fonctionnaire, qu'il soit préfet ou simple planton d'une obscure sous-préfecture. La légende de sa toute-puissance est à l'origine d'une forme de paranoïa collective, dont les effets varient d'un individu à l'autre, et qui se caractérise souvent, quel que soit le statut social, par une crainte - parfois fondée mais d'ordinaire fantasmée - d'un complot. Paradoxalement, cette machine à espionner n'empêche pas les Algériens de pouvoir s'exprimer librement.
Affaiblis mais toujours là
Héritier de la sécurité militaire, le KGB local, le DRS a été créé en 1990 par les généraux pour coordonner les activités d'espionnage et de police politique du régime. Il a joué un rôle majeur lors de chaque rendez-vous électoral de la démocratie de façade algérienne. En Algérie tout impétrant sérieux à la magistrature suprême explore son niveau d'appui dans les sphères militaires et dans leur épicentre, le DRS, avant de se lancer dans la bataille électorale.
En place depuis bientôt un quart de siècle, le chef du DRS, le général Mohammed Mediène, dit «Toufik», a intronisé à la présidence, avec un petit cénacle de hauts gradés, Liamine Zéroual en 1995, puis Abdelaziz Bouteflika en 1999. Un système de fraude quasi scientifique a permis d'éviter toute surprise. Il avait poussé en 1999 l'ensemble des adversaires d'Abdelaziz Bouteflika à se retirer de la course à la veille du scrutin. En 2004, le DRS n'avait pas pris position dans le premier duel Bouteflika-Benflis, contrairement au chef d'état-major de l'armée, qui avait donné des assurances au premier ministre. Cette «neutralité» des services avait favorisé la victoire avec un score écrasant d'Abdelaziz Bouteflika, qui avait dans la foulée mis à la retraite le patron de l'armée. Cette fois, pour cette élection rendue bizarre par l'absence du président malade, le flou règne.
"Toufik est en slip"
Fort de ses quinze ans de pouvoir, Bouteflika a conforté son autorité en rognant les prérogatives des services sans parvenir à totalement les contrôler. L'an dernier, le camp présidentiel a écarté, à l'occasion d'un remaniement ministériel, les ministres réputés proches des services, et a réorganisé le DRS. "Toufik est en slip", confiait au Figaro un ancien haut responsable du DRS. En février, peu avant l'annonce de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika, Amar Saadani, le secrétaire général du FLN, a lancé un pavé dans la mare en demandant au général Mediène de ne plus s'ingérer dans la vie politique et de démissionner. Du jamais-vu! Les langues se sont depuis déliées pour prendre la défense de l'institution occulte, ou pour l'accabler.
Cela veut-il dire que les équilibres sont rompus entre Abdelaziz Bouteflika et Mohammed Mediène? Rien n'est moins sûr. Le pacte non écrit entre la présidence et les services pourrait être maintenu dans la perspective de l'après Bouteflika, le temps de s'accorder, selon la tradition, sur un successeur, ou sur le partage de l'héritage à l'issue d'un processus de transition comme le réclament l'opposition et une partie des représentants du système. Mais même affaiblis, les as de la manipulation du DRS n'ont sans doute pas dit leur dernier mot.
(http://www.lefigaro.fr/international/2014/04/16/01003-20140416ARTFIG00291-algerie-quand-les-services-sortent-de-l-ombre.php)