Sommet UE/Afrique demain à Lisbonne.

"Je ne comprends pas pourquoi ceux qui ont lutté pour la libération de leur pays ne veulent pas la liberté pour leur peuple", s'est exclamé, dans une conférence de presse, Manuel Barroso, président de la Commission européenne, faisant allusion au président zimbabwéen, Robert Mugabe, à qui il est reproché de graves atteintes au droits de l'homme dans son pays.

Samedi et dimanche, se tiendra en effet à Lisbonne un sommet euro-africain portant sur les relations économiques entre une partie de l'Afrique et l'Union européenne.

On attend beaucoup de cette rencontre pour mettre au point de nouveaux accords de partenariat économique destinés à libéraliser les échanges dès 2008, mais aussi où l'on compte évoquer les problèmes liés aux droits de l'homme en Afrique.

Gordon Brown, le Premier ministre britannique se déclare d'ores et déjà absent à cette réunion, où tout le monde aurait souhaité sa présence.

Kadhafi, le dirigeant libyen, est l'un premiers à avoir gagné Lisbonne, hier matin, suivi de Robert Mugabe, le président zimbabwéen dont la présence est sujette à interrogation. Le Soudanais Omar el-Béchir, est arrivé, lui, ce matin, dans la capitale portugaise.

Le Premier ministre portugais, José Socratès, considère que ce 2è sommet U.E./Afrique - le premier ayant eu lieu au Caire, il y a sept ans -, vise à mettre en place "non une stratégie de l'Europe pour l'Afrique, mais une stratégie conjointe, pour la première fois dans l'histoire". Son collègue, Joao Gomes Cravinho, secrétaire d'Etat à la Coopération, souhaite, de son côté, l'instauration d'un partenariat "d'égal à égal" de l'Europe avec l'Afrique, destiné à "tourner la page coloniale" et surtout à éloigner l'influence de la Chine dans le continent africain.

Ce n'est pas le sentiment, apparemment, du bouillant colonel libyen pour qui : "Les forces coloniales doivent dédommager les peuples qu'elles ont colonisés et dont elles ont spolié les richesses", propos prononcés à Lisbonne même, aujourd'hui, devant quelques 400 professeurs et étudiants.

Aux discussions seront abordées notamment les questions de paix et sécurité, de démocratie et droits de l'homme, du commerce et développement, du changement climatique et énergie, des migrations et emplois. En marge, seront débattus les problèmes de la présence non désirée de Mugabe à l'assemblée, de l'absence de débat sur le Darfour, etc.

Il est désormais clair, à travers l'empressement mis à réunir cette assemblée euro-africaine et surtout le tracé de ses objectifs, que l'Europe s'inquiète sérieusement de la pénétration asiatique et particulièrement chinoise en Afrique.

A n'en pas douter la rivalité de Pékin sur le continent joue désormais en défaveur de l'Europe. La signature du fameux et récent contrat sino-congolais permettant, entre autres, à Pékin de faire main basse sur tous les minerais de Kinshasa, ou encore la prise de concessions pétrolières très juteuses au Darfour, constituent désormais autant de signes inquiétants qui concourent, faute d'y prendre garde, à l'expulsion progressive de l'Europe du terrain qu'elle considérait jusqu'ici sa propriété réservée.

Les Africains qui, dès le premier jour de la rencontre, ont su pousser à la roue, en revenant pour l'énième fois sur le problème des retombées coloniales toujours pendantes, font montre pour une fois d'une certaine cohésion pouvant positivement leur profiter, pour peu qu'ils maintiennent leur pression. N'ayant en vérité rien obtenu en retour des immenses concessions accordées à l'Europe, notamment en matière agricole, ils seraient même bien avisés de demander davantage qu'ils n'attendent, les Européens ne se gênant nullement de prendre à leur égard toutes les mesures qui les arrangent, fussent-elles discriminatoires. Et, en ce sens, Kadhafi n'a pas si grand tort d'avoir demandé réparation pour les dommages coloniaux subis par l'Afrique en contrepartie de la fermeture des frontières opposée à ses migrants par l’Europe.

A côté de ces problèmes essentiels, le rejet d'un Mugabé de la réunion, si vivement souhaité par Merkel, dans le sillage de Brown - lequel s'est même abstenu d'assister aux travaux à cause de cette présence estimée par lui mal venue -, fait figure d'un point de détail d'autant moins bien reçu que le Sénégalais, Wade, et son collègue sud africain continuent d’accorder leur confiance au président du Zimbabwé.

Aussi, les Africains devront-ils être attentifs au contenu des huit accords de partenariat que l’Europe s’est soudainement mise en tête de concocter avec eux.

Au premier jour de la réunion, Alpha Oumar Konaré, président de la Commission de l'Union africaine a tenu seul le parloir pour exprimer à l'Europe les préoccupations majeures du continent dit jeune et pauvre.

Après avoir insisté sur la nécessité "d'un devoir de mémoire à propos de la traite négrière, la colonisation, l'apartheid et le génocide rwandais", il a rappelé les souffrances des peuples africains traversés par des guerres souvent fratricides. Il s'est arrêté un instant sur ce que les Algériens appellent les "harragas", autrement dit les immigrants clandestins qui traversent mers et océans au péril de leur vie, avant de relever le ton à l'adresse de ses auditeurs européens : "L'Afrique n'a pas besoin de charité et de paternalisme... Elle revendique sa place au Conseil de sécurité de l'ONU et un rôle concret dans la mondialisation."

Comme pour lancer un vrai camouflet au représentant européen, Manuel Barroso, qui avait essayé de circonscrire les débats dans les seules limites de partenariats économiques intéressant l'Europe, Konaré a été même très cinglant en soulignant que l'Afrique tisse des partenariats également avec la Chine, l'Amérique latine, l'Inde, le Japon, la Turquie, les pays arabes et même l'Iran. N'est-ce pas là une bien belle manière de montrer qu'un océan sépare bien l'Afrique de l'Europe quant à l'approche nettement divergente de leurs problèmes respectifs ?

Aussi, n'a-t-on pas jugé utile, du côté africain du moins, de revenir sur la question qui taraude tant le Royaume uni à propos de Mugabe, jugé indésirable en Europe. Pour mettre un terme sur le sujet, Wade du Sénégal s'est même permis à l'adresse de Merkel soutenant Londres : "Qui ose dire qu'on viole les droits de l'homme au Zimbabwe plus que dans un autre pays africain ?"