blogs.rue89.com - 13.03.2012
par Flora Zanichelli
Journaliste
Les Italiens ont peur de l'avenir. Le cinquième rapport sur la sécurité, réalisé par Demos & Pi et l'observatoire de Pavie pour la fondation Unipolis vient même de chiffrer ce sentiment :
* Trois Italiens sur quatre voient le futur en noir ;
* Sept sur dix craignent l'insécurité économique, devenue leur première préoccupation.
Pas étonnant avec 31% de chômage chez les jeunes, des licenciements dans les entreprises et une précarité enracinée chez les travailleurs indépendants.
Vendredi, une marche commémorative était organisée dans trois grandes villes d'Italie en hommage aux 2 000 petits entrepreneurs qui ont mis fin à leurs jours depuis 2008.
Centre d'écoute pour les étranglés de la crise
En Vénétie, un centre d'écoute vient d'ouvrir pour tous les artisans et dirigeants de PME étranglés par les dettes au point de préférer mourir que de continuer. Car oui, en Italie, comme constatent tristement les journaux, « on meurt de la crise ».
Ilvo Diamanti, auteur et responsable du rapport, expliquait dans La Repubblica :
« Pendant des années, l'insécurité a été traduite par la peur de la criminalité, afin de déplacer les préférences politiques de l'opinion publique surtout vers le centre droit.
Aujourd'hui, on pourrait parler d'“insécurité ontologique”, parce qu'elle ébranle les racines de notre stabilité sociale et familiale.
Elle en mine les bases : les revenus, le travail, l'épargne. Elle a des origines que nous ne pouvons pas contrôler. C'est ça la nouveauté : la grande partie des citoyens a peur de ce qui est en train d'arriver, mais n'est pas en capacité de le comprendre. Qu'est-ce que le “spread” ou Moody's ? Que veulent-ils de nous? »
La peur de finir comme la Grèce
Des incompréhensions, des frustrations, les Italiens en ont beaucoup. Il y a ceux qui doivent changer de métier, ceux qui doivent changer de pays, ceux qui restent chez leurs parents car ils ne peuvent pas acheter un appartement. Il y a ceux aussi, comme chez Fiat, à qui on dit : « Ou vous acceptez qu'on durcisse vos conditions de travail ou on vous licencie. »
Selon le rapport publié par Demos et l'observatoire de Pavie, 85% des Italiens pensent d'ailleurs que la situation des générations futures sera bien pire à l'avenir.
Tous ont aussi les yeux tournés vers le mouton noir de l'Europe : la Grèce.
Dans une note publiée sur son blog Crisis, le 20 décembre, la blogueuse italienne Debora Billi écrivait : « Ce blog s'occupe de la Grèce depuis longtemps. En décembre 2008, il y a trois ans, nous savions déjà que les Grecs auraient été “ les premiers ”. [… ]
Malgré tout, je suis étonnée de la rapidité avec laquelle la situation se détériore. Nous ne pouvons rien faire d'autre que d'assister horrifiés à la tragédie qui se joue à peu d'heures de navigation de nos côtes, avec la conscience toujours plus inéluctable que nous serons les prochains. »
Le sentiment d'insécurité ravivé
Conséquence de l'insécurité économique ? Le sentiment d'insécurité. 85% des Italiens estiment que la criminalité a augmenté en cinq ans. Un sur quatre pense que dans la propre zone de résidence, les délits dus aux crimes organisés ont augmenté cette dernière année (surtout au centre nord).
Et ce n'est pas l'actualité qui va venir les contredire. L'Espresso vient ainsi de publier un article de Giovanni Tizian, un jeune journaliste précaire de Modène (région centre nord). Il a récemment été mis sous escorte pour avoir reçu des menaces suite à la publication de plusieurs enquêtes sur la présence de la mafia dans le nord de l'Italie.
Baptisé « TGV Lyon Turin, l'ombre de la 'Ndrangheta », l'article attirait l'attention sur la présence de la mafia calabraise sur le chantier de la ligne grande vitesse – Roberto Saviano, auteur de l'enquête sur la mafia napolitaine adaptée au cinéma « Gomorra », disait sensiblement la même chose dans La Repubblica.
Cette année, un rapport a établi que la mafia était la première banque d'Italie, grâce à l'usure.
« Le crime organisé s'impose en silence »
Triste confirmation : à Rome, une vague d'homicides a conduit à établir le retour de la « malavita » dans la capitale italienne (au point que les policiers la surnomment « Rome féroce »).
Dans un article de L'Espresso intitulé « Roma a mano armata » (Rome à main armée), le journaliste Riccardo Bocca citait le responsable de la sécurité de Rome, Alberto Mancinelli : « La ville est à genoux. Dans l'angoisse de la crise, propulseuse idéale d'illégalité, le crime organisé s'impose en silence, la microdélinquance dégénère et le résultat s'appelle insécurité générale. »
Valter Giammaria, leader de l'union des commerçants à Rome, ajoutait : « Le fait est que dans la capitale un jeune sur trois entre 25 et 34 ans ne travaille pas. 4% de la population, actuellement, vit dans des conditions de pauvreté absolue. »
Les jeunes plient bagage
Une situation qui tendrait à s'aggraver. Un autre rapport publié par Almalaurea ces derniers jours faisait état de la situation toujours plus préoccupante des jeunes diplômés en Italie : « Un pourcentage important et croissant de jeunes, qui en temps normal n'auraient pas eu de difficultés à trouver du travail, rencontre un risque de chômage prolongé ou d'inactivité. »
En à peine un an, la précarité s'est enracinée dans le quotidien des Italiens. Selon le rapport sur la sécurité, même les médias en parlent plus, alors que leur sujet favori était plutôt le fait divers.
(http://blogs.rue89.com/storitalia/2012/03/13/suicides-mafia-fuite-des-diplomes-la-crise-fait-flipper-litalie-226859)