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Par Philippe Grangereau, correspondant à Pékin
Analyse - Alors qu’Angela Merkel est en Chine, les groupes européens dénoncent les restrictions qui leur ferment l’accès à un marché en plein essor.
Lorsque le constructeur automobile chinois Geely a acheté le suédois Volvo en août 2010, beaucoup ont été surpris de constater que la Chine était déjà devenue un big player de l’industrie automobile. Les constructeurs européens qui produisent en Chine, eux, ont fait grise mine, mais pour une tout autre raison : une opération analogue leur est tout simplement interdite. Le marché chinois est, en effet, ouvert aux constructeurs étrangers, mais uniquement à condition qu’ils s’associent avec un partenaire local - qui aura le plus souvent le dernier mot au sein de la joint-venture. Le passage obligatoire par une entreprise à capitaux mixtes s’applique à bien d’autres domaines, comme la banque, la chimie, les télécommunications - alors même qu’en Europe ces secteurs sont grand ouverts aux nouveaux géants chinois.
Les groupes européens ont bien d’autres récriminations à faire valoir. La Chambre de commerce européenne en Chine (EUCCC) a publié une longue liste de doléances, en soulignant que Pékin continuait à ériger de nouveaux obstacles. La désastreuse affaire de la Covec, la première entreprise chinoise à remporter un appel d’offres public en Europe pour la construction d’une autoroute ne plaide pas en faveur de Pékin. Le China Engineering Overseas Group devait construire une autoroute de 50 km reliant Varsovie à la frontière allemande. La Covec avait remporté le marché en bradant son devis de 50% par rapport à la concurrence. Le chantier a été abandonné, faute de financements suffisants, peu de temps après le début des travaux, et le gouvernement polonais a annulé le contrat et exigé le paiement d’indemnités. « Le plus sidérant dans tout ça, ce n’est pas l’échec cuisant de ce contrat, mais le fait que les entreprises chinoises ont accès aux marchés publics européens, alors que la Chine, elle, ferme ses marchés publics aux entreprises européennes », note Dirk Moens, le secrétaire général de l’EUCCC.
« Réciprocité ». La Chine est techniquement dans son bon droit, puisque l’ouverture de ses marchés publics a été exclue du traité d’accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qu’elle a signé en 2001. Mais d’une part, souligne Moens, ce segment est devenu colossal et « représente désormais au moins 760 milliards d’euros par an, soit 20% du PIB chinois ». D’autre part, « l’économie du pays a énormément évolué depuis dix ans. Les entreprises sont désormais capables de conquérir les marchés mondiaux. Dans certains domaines, comme dans les télécoms avec Huawei, les groupes chinois sont devenus des leaders ». Une situation devenue intenable, selon Moens, puisque, dans le même temps, la Chine profite de plus en plus de son accès aux marchés européens. La société d’État Three Gorges a ainsi acheté en décembre 21% de la compagnie électrique portugaise Energias de Portugal (pour 2,7 milliards d’euros) et, le mois dernier, le fonds souverain chinois a acquis 9% de la compagnie de traitement des eaux britannique Thames Water pour 600 millions d’euros.
Le principe de « réciprocité », comme disent les diplomates, est loin d’être mis en pratique, et la chancelière allemande Angela Merkel, en visite depuis jeudi en Chine, a demandé que cette règle du donnant donnant devienne la norme. Pour la faire appliquer, l’Union européenne a sorti la grosse artillerie : Karel De Gucht, le commissaire au commerce de l’UE, travaille sur un projet de loi qui pourrait interdire l’accès des entreprises chinoises aux lucratifs marchés publics de l’UE dès mars, si la Chine ne s’ouvre pas. De Gucht a stigmatisé toute une série de « pratiques commerciales nationalistes », telles que les « subventions massives » et la « volonté de garder un monopole sur les matières premières ». L’OMC lui a donné raison en condamnant les restrictions imposées par Pékin à l’exportation de 9 sortes de matières premières utilisées dans de nombreux domaines : des équipements médicaux aux CD, en passant par le secteur automobile, les réfrigérateurs, la métallurgie non ferreuse et les batteries de voitures.
Quotas. Ce jugement sans appel, l’UE souhaite qu’il s’applique aussi aux quotas imposés à l’exportation de terres rares (groupe de métaux). Ces 17 éléments essentiels à l’industrie électronique sont à 95% produits par la Chine. Cette stratégie des quotas d’exportation a pour objectif de transformer le pays en centre mondial des industries de pointe. « Ces quotas font dans un premier temps monter les prix de ces matières premières sur le marché international en les raréfiant, explique Dirk Moens. Il s’ensuit que les industries spécialisées sont incitées à s’installer en Chine pour y avoir accès à bas coût, et cela rend aussi plus compétitives les industries chinoises, qui peuvent s’approvisionner » pour encore moins cher. Personne ne veut d’une guerre commerciale, juge Moens, mais le bras de fer a commencé. « Puisque les compagnies chinoises sont attirées par l’Europe, il doit être possible de convaincre Pékin. »
(http://www.liberation.fr/economie/01012387839-commerce-comment-pekin-fait-marcher-l-europe)