JDD.fr - 7.01.2012
Propos recueillis par Guillaume Serina, correspondant à Los Angeles
Le regard bleu est intense, mais c’est un Clint Eastwood très décontracté, portant un léger blouson beige sur un polo de golf blanc, qui fait son apparition. Sourire en coin, le réalisateur parle de son J. Edgar avec passion. À 81 ans, il a encore plus d’un tour dans son sac. Rencontre avec la dernière légende de Hollywood.
- JDD - Pourquoi avoir choisi de montrer une histoire d’amour entre Hoover et son collaborateur Clyde Tolson plutôt que faire un film politique ou historique?
- Clint Easwood - Parce que c’est une belle histoire à raconter et qu’elle a été un des plus grands mystères de J. Edgar Hoover. Entretenait-il une relation gay ou pas? Je m’en fiche. Hoover a choisi de ne faire confiance qu’à une poignée de personnes : Clyde Tolson, son plus proche collaborateur, et son assistante, Helen Gandy. Ces amis ont été fidèles toute leur vie. Ils ont fait partie du développement du FBI, ils l’ont accompagné.
- Y a-t-il des parallèles avec les peurs actuelles en Amérique?
- Depuis le 11-Septembre, c’est évident. Hoover est un homme incroyable. Il a créé le FBI à l’âge de 22 ans. Et pour y parvenir, il se rend devant le Congrès. Le Bureau devient peu à peu la plus grande organisation de police du pays. On se demande pourquoi il s’entoure d’aussi peu de personnes. Parce qu’il n’a confiance en personne d’autre?
- Y a-t-il une connexion directe entre son homosexualité refoulée, sa paranoïa politique et sa soif de pouvoir?
- « Hoover était dur avec les gens, il détestait Bobby Kennedy. Peut-être avait-il de bonnes raisons, je ne sais pas. » Je ne sais pas s’il y a un lien. À l’époque, l’homosexualité était clairement under the table ["cachée"]. Aujourd’hui, c’est tout de même mieux compris et accepté. Si vous faites le lien entre sa paranoïa et sa sexualité, si vous tirez cette conclusion, alors c’est que cela doit être ainsi [Sourire.] J’aime ça! Le public doit participer. On a beaucoup parlé de l’homosexualité de Hoover. Je voulais que cela soit plus que cela. Car il existe bien une histoire d’amour entre lui et Tolson. Si vous décidez de déjeuner tous les jours de votre vie avec la même personne [comme dans le film], je me dis que cette personne est très importante à vos yeux. À moins que ce ne soit qu’un simple confident? Je ne sais pas. Hoover était quelqu’un de tellement secret ! Moi, j’aime bien avoir ma propre opinion sur un film. À chacun de se faire la sienne.
- Le FBI et d’autres institutions ont déjà protesté contre votre version.
- Je ne sais pas comment le FBI va réagir, car ils n’ont pas vu le film. Le Hoover Institute [un centre de réflexion non lié au FBI] a envoyé une lettre, c’est vrai. Ils ont sans doute des idées préconçues sur Hoover, mais sont-elles les bonnes ? Ils sont aussi démunis que nous. Hoover a fait des choses formidables et des choses terribles : il était dur avec les gens, il détestait Bobby Kennedy. Peut-être avait-il de bonnes raisons, je ne sais pas. C’était quelqu’un de très mystérieux, et c’est justement ce qui est intéressant.
- Pensez-vous que les années 1950, dont le maccarthysme préfigure le Patriot Act actuel, marquent la naissance de l’Amérique moderne?
- Oui, en effet. Je l’ai ressenti dès que j’ai lu le scénario. Nous nous sommes documentés sur cette époque : les anarchistes, les Russes qui ont "retourné" nombre de citoyens américains. Pas mal de gens considéraient tout ce qui venait de Russie comme romantique. Et la guerre froide arrive, le stalinisme. On a commencé à avoir une autre opinion de la Russie. Il y a donc beaucoup de choses d’aujourd’hui qui sont nées à cette époque. La différence, c’est que maintenant nous sommes dans l’ère de l’information. Hoover se serait sans doute comporté autrement. Et son homosexualité aurait sans doute été révélée.
- Quel est votre regard sur Leonardo DiCaprio?
- Je l’aime beaucoup. C’est un formidable acteur. J’ai vraiment du respect pour sa façon de travailler. Il est venu sur le tournage en ayant étudié le personnage. Ensemble, nous avons visionné pas mal d’images d’actualités de l’époque. Et puis j’admire qu’il ait accepté de subir ce maquillage pendant cinq heures et demie par jour! Il faut être un sacré bosseur pour faire ça. C’est autre chose que d’être dans un saloon [sic] à boire un coup, réciter ses répliques et rentrer chez soi!
- Hoover était très ambitieux. L’êtes-vous encore?
- Je l’étais et je le suis toujours! [Rires] Quand on se lance dans une telle aventure, il faut d’ambition. C’est ce qui m’amuse. Chaque projet a son âme propre qu’il faut essayer de s’approprier. Faire un film, c’est toujours un défi. Aujourd’hui, je pourrais me dire que je serais mieux dehors à regarder les oiseaux… ce qui ne serait pas mal non plus, d’ailleurs! [Rires.]
- Alors, qu’est-ce qui vous pousse à continuer?
- Cela va faire bientôt soixante ans que je suis dans le métier! Que ferais-je d’autre? J’aime jouer au golf, mais je ne veux pas jouer tous les jours avec les mêmes trois copains ! Il y a mieux à faire dans la vie.
- Dans la scène où les deux amants s’embrassent puis se battent, vous semblez plus concentré sur le combat que sur le baiser…
- Cette anecdote provient du témoignage réel d’un employé d’hôtel à Del Mar. Il a raconté qu’il y avait eu une énorme dispute dans la chambre, avec des bruits de verres cassés. Le lendemain, la bonne a trouvé la chambre sens dessus dessous. Alors, était-ce vraiment une bagarre? Qui sait… J’ai montré aux acteurs comment se bagarrer. Certainement pas comment s’embrasser! Il faut bien mettre une limite! [Rires.]
- Avez-vous déjà un autre projet?
- J’y réfléchis encore.
- Vous ne répétez pas beaucoup. Comment travaillez-vous?
- J’adore laisser tourner la caméra et voir ce que font les acteurs. Bien sûr, ce sont des pros et ils sont intelligents. Si un acteur me demande quelque chose, je l’aide. Leonardo DiCaprio voulait vraiment le rôle. Il a accepté le film pour beaucoup moins que les 20 millions de dollars qu’il touche habituellement. À son niveau, il pourrait se contenter de films à très gros budget et gagner beaucoup plus d’argent. Mais il sait que ce sont ses meilleures années et il veut incarner des personnages qui restent dans les mémoires.
- Cela vous est-il arrivé dans votre carrière?
- Oui. Je l’ai fait aussi sur ce film! [rire]
- Les États-Unis et le monde traversent une grave crise. Dans quel état d’esprit êtes-vous quand vous lisez le journal le matin?
- Je suis comme beaucoup de gens : inquiet. Comme le monde l’était à l’époque de Hoover. Aujourd’hui, nous savons tout, tout de suite. C’est une période difficile : l’économie, la violence… l’Amérique, qui a toujours été enviée, est devenue vulnérable.
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