rue89 - 28.11.2011
par Frédérique Sauvée
Une batavia fraîchement cueillie qui craque sous la dent est un plaisir simple mais difficile à satisfaire pour un citadin. A mesure que les villes s'étendent et que les bonnes terres agricoles s'épuisent, l'appétit des consommateurs pour les produits frais et locaux se fait plus pressant. Pourquoi ne pas développer des cultures maraîchères en ville sur l'espace inutilisé des toits ?
L'idée
En Amérique du Nord, l'agriculture urbaine est en plein essor. A New York, où la superficie totale des toits représente 20% de la surface de la ville, le plan de développement durable PlaNYC 2030 propose des abattements fiscaux pour la reconversion des toits en « roof gardens » (« toits-jardins »). Ce toit végétalisé est un bon isolant thermique, il absorbe une partie des eaux de pluie, favorise la biodiversité et embellit les tristes sommets des gratte-ciel.
Depuis, les jardins sur les toits de la « Grosse Pomme » ont fait souche et pris de l'ampleur. A Montréal, deuxième plus grande superficie urbaine du Canada, c'est une ferme de plus de 3 000 m² qui a poussé en haut d'un bâtiment industriel. Sous son immense serre, jusqu'à 800 kg de fruits et légumes sont cueillis chaque jour et vendus aux abonnés dans la journée.
Une ferme sur un toit, « l'agriculture de l'avenir »
Son créateur, Mohamed Hage, un jeune informaticien né au Liban, aime raconter s'être inspiré de la lufa (ou loofah), une variété de courge grimpante qu'il voyait pousser, enfant, jusque sur le toit de sa maison natale :
« Pour moi, c'était tout naturel de construire une serre sur un toit. C'est l'agriculture de l'avenir. Il est évident qu'il est beaucoup plus écologique de produire en ville que d'importer. Notre ferme permet de récupérer des terres, de réduire la distance, tout en produisant des légumes à haute valeur nutritive. »
En bon informaticien, Mohamed Hage a pour ambition de développer sur les toits des villes ce qu'il nomme une « agriculture 2.0 » : produire hors sol et le plus efficacement possible, avec le moins d'énergie possible, tout en connectant producteurs et consommateurs.
En 2009, il fonde la société Les fermes Lufa qui commercialise depuis avril 2011 les récoltes de sa première serre urbaine. Désormais, pour près de 1 000 abonnés aux paniers de légumes, de la cueillette à l'assiette, le circuit est des plus courts.
Comment la mettre en pratique ?
A l'aide de Google Earth, Mohamed Hage a recensé 130 toits de Montréal, avant de jeter son dévolu sur un toit plat de 3 000 m², dans le voisinage du Marché Central. Il lui reste à convaincre le propriétaire de cet immeuble de bureau pour lancer les travaux. Il se souvient :
« Les gens n'arrivaient pas à visualiser ça dans leur tête et se posaient énormément de questions. Allions-nous louer leur toit ou l'acheter ? Allions-nous utiliser du fumier ou un tracteur sur le toit ? »
Dans un pays où le thermomètre frise les -10°C plus de trois mois par an, Mohamed Hage sait trouver le bon argument : la serre permet de réduire de 20% les coûts de chauffage et de climatisation. L'hiver, la serre récupère la chaleur qui s'échappe par le toit et isole le bâtiment des rayonnements du soleil en été. Les plantes utilisent ainsi moitié moins d'énergie qu'une culture sous serre, en terre.
Fruit de cinq années de recherches et d'1,5 million d'euros d'investissement, la ferme est un concentré de technologies. La quantité de lumière et la température, les nutriments fournis aux plantes (potassium, calcium et magnésium), l'arrosage au compte-gouttes avec l'eau de pluie, sont automatisés pour ne distribuer que ce dont les plantes ont besoin. Seule la cueillette se fait encore à la main.
Les fruits et légumes récoltés sont livrés le jour même par un seul camion qui dessert plus d'une trentaine de dépôts chaque semaine, sur l'île de Montréal. Pour Kurt Lynn, responsable de la distribution, le circuit court est l'atout majeur de l'agriculture urbaine :
« Comme nos produits sont livrés dans un rayon maximal de 5 km, on peut se permettre de cultiver des variétés plus goûteuses mais plus fragiles, puisqu'elles n'ont pas à endurer la réfrigération, le conditionnement et le transport. »
Si les variétés proposées sont cultivées de manière « responsable et durable », entendre sans OGM ni pesticides, seule la lutte contre les insectes nuisibles est biologique. Sous la serre, les coccinelles s'activent pour combattre les pucerons, et les ruches installées au milieu des plantes assurent la pollinisation.
Ce qu'il reste à faire
Le prototype des fermes Lufa est prêt à être dupliqué sur des surfaces trois à quatre fois plus grandes. Selon Mohamed Hage, il y aurait plus de 900 000 m² de toits en terrasse à Montréal sur lesquels aménager des serres qui pourraient alimenter un tiers de la population urbaine :
« Nous avons démontré que c'est un projet rentable. La rentabilité dans la première année sans avoir à demander de subventions, c'est une grande fierté. Selon nous, pour que ce soit l'agriculture de demain, ce type d'agriculture urbaine doit se faire à échelle commerciale. »
Reste à s'entendre sur la notion de produit frais local. Au mois de novembre, le panier des fermes Lufa propose tomates cerises et concombres du Liban... A se jouer des saisons, l'agriculture urbaine édicte son propre calendrier, sans grand rapport avec le cycle de la nature.
(http://www.rue89.com/rue89-planete/2011/11/28/et-si-transformait-le-toit-de-votre-immeuble-en-potager-226976)