Le Nouvelobs.com - 3.05.2011
par Louis Morice
S'il est retenu, un amendement du projet de loi sur l'immigration permettra d'expulser des personnes souffrant de pathologies lourdes. Un collectif d'associations dénonce une condamnation à mort.
Manifestation devant le Sénat mardi 3 mai. Si le texte est adopté, 28.000 personnes - 0,8% des étrangers vivant en France - pourront à tout moment être renvoyées dans leur pays d'origine sans garantie qu'elles pourront y bénéficier des soins appropriés.
Les étrangers souffrant de pathologies graves qui résident en France vivent dans la crainte d'une expulsion depuis plusieurs mois. Leur avenir se trouve entre les mains de la commission mixte paritaire du Parlement qui doit trancher mercredi 4 mai sur la réforme du droit au séjour pour raisons médicales. Dans une ultime tentative pour contrer ce texte, un collectif réunissant entre autres Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, la Cimade, Aides et Act Up a manifesté ce mardi à Paris.
Si le texte est adopté, 28.000 personnes - 0,8% des étrangers vivant en France - pourront à tout moment être renvoyées dans leur pays d'origine sans garantie qu'elles pourront y bénéficier des soins appropriés, qu’elles souffrent de diabète, d’hépatite, de sida ou de cancer.
Au ministère de l'Intérieur, on tente de minimiser le phénomène. Le service de communication annonce 5.153 nouvelles cartes de séjour pour malades étrangers en 2009, et seulement 5.940 avec les renouvellements.
Du côté du Conseil National du Sida, Michel Celse s’étonne de cette bataille de chiffres : "Le nombre de 28.000 ne sort pas de nulle part : il est fourni par le Sénat lui même dans son avis de novembre 2009. Et le Sénat obtient ses chiffres auprès du ministère". Selon le rapporteur du CNS, les chiffres autour de 5.000 ne prennent en compte que les nouveaux entrants.
Une condamnation à mort
Depuis le 11 mai 1998, un étranger gravement malade pouvait bénéficier d’un titre de séjour temporaire en France s’il ne bénéficiait pas d’un accès aux soins «effectif» dans son pays. C’est cette notion d’"effectif" qui disparaît dans le nouveau projet.
Les associations de défense des étrangers et des malades dénoncent une véritable condamnation à mort. En cause, l'amendement voté par le Sénat le 13 avril dernier. Le texte précise en effet le régime du titre de séjour "étrangers malades" : il pourrait être accordé en cas "d'absence du traitement approprié dans le pays d'origine" et, dans certains cas, "en raison de circonstances particulières tenant à la situation du demandeur".
La présence du traitement dans le pays d'origine n'est en rien une garantie d'accessibilité. Les soins existent désormais partout. Mais en quelle quantité, à quel prix, et avec quels critères d’attribution. Autant de données variables d'un pays à l'autre.
Quant aux considérations humanitaires "exceptionnelles", les associations condamnent le non respect du secret médical et l'absence de contrôle d'un juge. Il appartiendra en effet au préfet d'apprécier les situations individuelles.
Pas d'assurance d'un traitement "effectif" dans le pays d'origine
"Tous les pays sont-ils prêts à fournir un traitement contre le sida à une personne expulsée dont ils savent qu'elle est homosexuelle ?", s'interroge un volontaire de l'association Aides. A cette question, le ministère de l'Intérieur reconnaît ne pas avoir de réponse : "Nous n'avons aucun élément sur l'accessibilité des traitements dans les pays d'origine." Et d'insister : "Il faudra voir une fois que le texte sera passé."
Du côté du ministère de la Santé, on se désole de ne pouvoir répondre : « Le sujet est porté par l’Intérieur », explique le service de communication.
Pouvoirs publics et associations s'accordent sur au moins un point : il n'existe pas d'augmentation de la migration médicale en France. L'amendement voté par le Sénat précise d'ailleurs qu'"on ne constate pas de tourisme médical". Les rapports de l'Institut de veille sanitaire ou le Bulletin épidémiologique hebdomadaire vont eux aussi dans ce sens : la majorité des personnes concernées par le séjour des malades étrangers découvrent leur pathologie en France.
Malades contraints à la clandestinité
En charge des questions juridiques à Aides, Adeline Toullier rappelle qu'il n'y a jamais eu d'explosion du nombre de nouvelles demandes. La responsable associative se désole de l'amendement proposé par le Sénat. "Si le texte est voté, soit les malades partiront, soit ils resteront. Ils passeront alors à l'AME (Aide médicale d'Etat) qui concerne les malades en situation irrégulière".
"Ce projet aggravera la situation alors que pour le moment, nombre des personnes concernées travaillent et cotisent en France", estime la militante, avant de conclure : "Non content de mettre les malades en danger, ce texte ne ferait que creuser un peu plus le déficit public !" Un point de vue que confirme le CNS dans sa note du 10 février 2011. Pour Michel Celse, "on en revient au projet le plus dur, tout en sachant pertinemment que ça va se reporter sur l’AME".
Pessimiste sur l’issue du vote de la Commission mixte paritaire, Michel Celse revient sur la question du nombre de bénéficiaires : "Si le texte passe, on pourra reparler chiffres l'an prochain: logiquement, il n’y aura plus personne !"
source : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/societe/20110503.OBS2289/28-000-etrangers-malades-menaces-d-expulsion.html