Le journal Liberté s’est fait l’écho, ce matin, de la mise en place, pour la seconde année consécutive de ce que les banquiers ont coutume d’appeler un nouveau produit financier, exclusivement piloté par la BDL. Il a pris nom de Prêt spécial ramadhan et il est proposé aux salariés à revenu inférieur ou égal à 30 000 DA par mois.
Au-delà des conditions qui assortissent la distribution de ce prêt, c’est le principe même, à mon sens, qui est plutôt déroutant. D’abord, ce n’est pas rendre service aux gens que de leur prêter des sous pour répondre à des besoins dits de bouffe particulièrement exceptionnels durant le ramadhan. Car, il faut par suite rembourser cet argent non gagné, intérêts inclus, dans des délais fixes. Ensuite, la création d’un tel produit, au profit d'une frange spécifique de salariés, suppose que l’on s’achemine vers son complément, le Prêt Aïd Kebir, où l’achat d’un mouton, que l’on dit impératif religieux, s’inscrit lui aussi dans un excès de bouffe aussi peu indiqué qu'il alourdit dangereusement et sans contrepartie les charges incompressibles du ménage. Enfin, si la religion elle-même prescrit au musulman d’observer le jeûne sans rien changer de ses conditions habituelles de subsistance, autrement dit sans être porté à dépenser davantage en nourriture, c’est bien tordre le cou aux préceptes islamiques eux-mêmes.
Enfin, quand on joint les effets catastrophiques sur l’économie nationale du jeûne d’un mois plein à la surconsommation excessive en pure perte, et religieusement inacceptable des ménages, n’hypothéquons-nous pas pour l’éternité le sort réel du pays ? A bien y réfléchir, Bourguiba, par sa distanciation du ramadhan, d’autant plus courageuse qu’elle a été affichée publiquement, n’était-il pas un vrai visionnaire beaucoup plus préoccupé de l’avenir de son peuple que du culte stérile et en rien revigorant de l'au-delà. Mais là, c’est une toute autre question…