Lenouvelobs.com - 22.02.2011
Une crise de confiance énorme est désormais ouverte entre les dirigeants tunisiens et la société civile.
Les manifestations se poursuivaient, lundi 21 février à Tunis, contre le gouvernement provisoire et pour des réformes politiques et sociales profondes. La population de Tunis, les syndicats, membres d'associations, de partis politiques d'opposition s'opposent au Premier ministre Ghannouchi et suspectent, à tort ou à raison, de nombreux mensonges du pouvoir en place.
La société civile tunisienne, qui reproche au gouvernement provisoire d'abriter une majorité de ministres du RCD de Ben Ali, et qui plus est aux ministères régaliens, voit dans un certain nombre d'événements qui se sont produits ces derniers jours à Tunis ou alentour, ni plus ni moins que des manœuvres de ce gouvernement.
Faire craindre les Tunisiens pour leur sécurité, pour leurs droits, agiter la menace islamiste, essayer d'occuper le terrain avec des annonces, telles seraient les armes de Ghannouchi pour distraire les Tunisiens des "vrais problèmes": les réformes politiques et sociales dont ont besoin les Tunisiens.
Incidents à la synagogue de Tunis
Ces opposants au gouvernement provisoire affirment ainsi que les incidents du 11 février devant la synagogue de Tunis ne peuvent être le fait d'islamistes. "On nous dit que ce sont des salafistes qui sont venus proférer des insultes antisémites, mais en même temps on apprend qu'ils ont raté deux appels à la prière pendant ce temps-là", explique une manifestante de la Kasbah. "On veut nous faire peur avec les islamistes. Ben Ali a utilisé cette arme durant trop d'années, nous n'y croyons plus", affirme la jeune femme.
Des menaces d'emprise religieuse qui rejoignent celles détectées par certains dans l'interview télévisée de Mohamed Ghannouchi le 21 janvier. "Nous avons toujours peur pour le "code du statut personnel" [code de la famille qui interdit notamment la polygamie]", affirme une militante féministe de l'Association des femmes tunisiennes démocrates (AFTD). "Lors de cette interview, le Premier ministre a laissé planer le doute sur ses intentions concernant le code du statut personnel mais je crois que c'était juste pour faire peur aux femmes…", dit-elle.
"La laïcité n'est pas un problème"
Un point de vue partagé par Meher Farhat, un jeune du FDTL (Forum démocratique pour le travail et la liberté – parti politique, gauche) qui affirme que la "la rue ne laissera jamais le pouvoir revenir sur ces acquis". "La dictature n'a fait que favoriser l'islamisme. En fait, la laïcité n'est pas un problème en Tunisie, explique-t-il, et le gouvernement actuel cherche à nous détourner des vraies questions."
"Casser des bars et fermer des bordels", affirme Meher Farhat faisant référence à de récents événements de Tunis, "c'est fait pour provoquer un débat sur la laïcité pour détourner des vrais problèmes."
Les millions de Sidi Bou Saïd
"Le gouvernement fait n'importe quoi", souligne de son côté le secrétaire général du FDTL Mustapha Ben Jaafar interrogé sur les annonces de distributions de carnets de soins gratuits. Une centaine de personnes étaient en effet attroupées lundi 22 février devant le siège du Gouvernorat de Tunis dans l'attente de cette distribution annoncée à la radio. "Avant, ces carnets de soin gratuits étaient distribués en fonction d'un système corrompu et le nouveau gouvernement doit tout remettre à plat. Mais annoncer comme ça qu'ils vont faire une distribution, alors que rien n'est prêt, c'est irresponsable. De quoi veulent-ils détourner l'attention de la population?" s'interroge-t-il.
"Nous suspectons tout", confie Essia Belhassen de l'AFTD. "Nous sommes habitués à cela depuis tellement d'années… par exemple les millions qui ont été découverts dans le Palais de Sidi Bou Said, eh bien nous sommes nombreux à penser que cela fait longtemps qu'ils les ont trouvés mais ont attendu jusqu'à maintenant, alors que les manifestations à la Kasbah ne s'arrêtent plus, pour le médiatiser", affirme cette fondatrice du mouvement féministe.
Confirmées ou non, toutes ces suppositions de mensonges prouvent qu'une crise de confiance énorme sépare désormais le gouvernement provisoire de la société civile tunisienne.
Céline Lussato, envoyée spéciale à Tunis - Nouvelobs.com