L'objectif que s'étaient fixé les manifestants égyptiens a été atteint à la mi-journée : un million de personnes, peut-être plus, ont été réunis sinon sur la seule place Tahrir du Caire du moins au niveau des deux ou trois grandes villes où des rassemblements se sont tenus : Le Caire, Alexandrie et Suez.
Dès ce matin, des processions d'hommes, de femmes et d'enfants se sont jointes aux manifestants occupant déjà les lieux depuis hier soir. Les autorités ont tout entrepris pourtant pour faire échouer le mot d'ordre, en n'hésitant pas à suspendre la circulation ferroviaire dans tout le pays, en dressant des barrages routiers avec l'aide de chars de l'armée, en interdisant encore que d'autres places que celle de Tahrir au Caire soient envahies par le peuple rassemblé pour la 8è journée dans un mouvement de protestation mémorable visant la démission de Mubarak et demandant un changement de régime. Il faut dire que le prix le plus fort a déjà été payé pour en arriver à cette extrémité: 300 personnes ont perdu la vie et des centaines d'autres blessées au cours des dernières manifestations.
Comme les jours précédents, les slogans étaient très nombreux à exiger aujourd'hui le renvoi du régime en place et son remplacement par un gouvernement de transition chargé de préparer des élections législatives et présidentielles à court terme. Ils réclamaient aussi la révision de la Constitution de sorte qu'elle soit expurgée de ses dispositions restrictives des libertés électorales.
Dans une ultime tentative, Mubarak a essayé à nouveau de brouiller les cartes en organisant une contre-manifestation à sa gloire, où des jeunes sans conviction et sans envergure ont un moment chanté ses louanges. Mais leur mouvement, insignifiant au demeurant, s'est vite disloqué sous le poids considérable des masses populaires réclamant avec force et insistance la chute de Mubarak et rejetant en même temps les solutions de replâtrage avancées ces derniers jours, comme les nouvelles nominations de hauts responsables intervenues visiblement dans l'unique but de donner le temps au pouvoir de se ressaisir.
L'opposition, essentiellement nourrie par le parti interdit des Frères musulmans et par quelques petits partis soi-disant accrédités pour servir de caution au prétendu pluralisme, continue d'exiger unanimement le départ pur et simple de Mubarak.
Washington et surtout Tel Aviv s'affolent pendant ce temps. Pris à contre-pied par une tournure trop rapide à leur goût des événements, ils craignent que la rue finisse par avoir raison du dictateur et dérive vers la constitution d'un régime islamiste à l'iranienne qui constituerait un grave revers pour tout l'occident au Moyen-Orient.