Zardari à la tête du Pakistan, une éventualité non sans risque

Asif Ali Zardari, veuf de l'ancien Premier ministre pakistanais Benazir Bhutto, se pose en candidat pour succéder à Musharraf à la tête de l'Etat. A l'unanimité, son parti l'a désigné à cette fin et s'engage à le soutenir, annonce le secrétaire général adjoint du mouvement PPP (Parti du peuple pakistanais).

C'est le 6 septembre que les deux assemblées parlementaires réunies en congrès et les quatre assemblées provinciales décideront du sort à donner à cette candidature.

D'ores et déjà il semble cependant établi que l'autre formation, composant l'alliance au pouvoir, dirigée par Nawaz Sharif, ancien Premier ministre déposé par Musharraf lors de son coup d'Etat de 1999, ne soutient l'ambition de Zardari qu'avec de grandes réserves. En premier, ce dernier doit renoncer au droit, abusivement instauré par Musharraf, de dissoudre le parlement. En second, le rétablissement dans leurs fonctions des juges de la haute cour démis injustement par Musharraf, est une condition impérative à laquelle devra se plier le candidat Zardari. Or, ce dernier craint justement que ces juges ne remettent au goût du jour les poursuites engagées jadis contre lui pour corruption.

Il y a donc là de sérieux motifs qui risquent d'élargir le fossé existant de longue date déjà entre les deux formations actuellement au pouvoir, si le candidat du PPP refuse de se soumettre aux exigences de son partenaire conjoncturel. Et dans la situation très confuse qui est celle du Pakistan, exposé, d'un côté, aux méfaits d'un terrorisme sanglant qui décime chaque jour des dizaines de citoyens, et, de l'autre, au ras-le-bol de la population souffrant de la baisse continue du niveau de vie, la dislocation de cette coalition fragile risque de s'ouvrir sur de graves déconvenues qui profiteront, bien sûr, à l'armée, au grand dam de la démocratie et du peuple.

L'alliance Zardari et Nawaz a volé en éclats, aujourd'hui, avec le retrait de ce dernier. Nawaz se déclare même rangé désormais dans l'opposition. De plus, il se propose de présenter à la magistrature suprême la candidature de l'ancien président de la Haute cour, Saeed uz Zaman Siddiqui, contre celle de Zardari.

Dès lors que Zardari ne montrait aucune hâte à répondre à l'attente de son partenaire préoccupé par le rétablissement dans leurs fonctions des juges précédemment limogés par Musharraf, il devenait clair que Nawaz exploiterait cette faiblesse pour rehausser sa propre audience auprès du peuple et se donner ainsi, le moment venu, le moyen de s'opposer à Zardari dans le but évident de lui ravir le pouvoir.

Le veuf de Benazir Bhutto, en faisant obstacle, de son côté, à la réintégration de ces juges, donne en même temps à entendre qu'il craint effectivement de se retrouver demain sous les fourches caudines de la justice, à cause des accusations de corruption lancées dans le passé contre lui, mais que Musharraf a amnistiées l'an dernier.

L'armée, qui observe avec intérêt ce différend survenu dans le contexte préoccupant des attentats terroristes aggravant la situation sociale du pays, n'a pas encore dit son dernier mot. Elle risque même, sous la pression des USA qu'intéresse la seule guerre contre le terrorisme, de fomenter sans tarder un nouveau coup d'Etat qui replongera encore le pays dans sa léthargie habituelle, au grand dam du peuple qui avait tant applaudi au départ de Musharraf.

L'alliance Zardari-Nawaz Charif ayant volé en éclats depuis de longues semaines déjà, le Pakistan se trouve, depuis cette date, manifestement livré à tous les extrémismes capables une fois encore de donner l'occasion à l'armée de reprendre le pouvoir.

Il est vrai que cette alliance, cousue de fil blanc, n'avait d'autre ambition que de faire obstacle, au départ de Musharraf, aux ambitions des généraux de poursuivre leur mainmise sur l'Etat. Les deux partenaires étant diamétralement opposés sur nombre de sujets importants, leur séparation devenait inéluctable à court ou moyen terme.

Certes, Zardari, en bon manipulateur, s'était juste obligé de souscrire pour la forme à certaines clauses contraignantes du contrat, comme l'engagement entre autres de rétablir les juges et le président de la Cour constitutionnelle dans leurs fonctions. Mais, c'était sous-estimer l'attachement de son partenaire au respect strict du contrat commun.

Zardari avait particulièrement à craindre que le président de cette haute cour ne rouvre le dossier instruit par le passé contre sa propre personne. C'est à cause d'ailleurs des détournements qui lui étaient reprochés du temps où son épouse, Benazir Buttho, exerçait les fonctions de Premier ministre, que la décision avait été prise de l'expulser du pays.

Aujourd'hui que la rue est suffisamment avertie de ses déboires avec la justice, il se retrouve, contre son gré, tenu de réintégrer les juges et le président de la Cour constitutionnelle à leurs postes. Il gagne ainsi un répit, sans doute, mais pas pour longtemps. Son adversaire immédiat, Nawaz Charif, tire, lui, profit de la situation. Il a réussi à déstabiliser Zardari, que le terrorisme islamiste a déjà fortement secoué et gravement fragilisé. Nawaz savoure sa victoire, en attendant de provoquer l'élément déclencheur susceptible de justifier le renvoi des Pakistanais devant les urnes pour une nouvelle élection présidentielle.