Encore un coup de force à Nouakchott

Un nouveau coup d'Etat militaire a déposé, ce matin en Mauritanie, le président, Sidi Ould Cheikh Abdallah, démocratiquement élu il y a moins d'un an, et son Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghf.

L'auteur est le général Ould Abdel Aziz, chef d'état-major particulier du président et commandant de la garde présidentielle, qui venait d'être démis de ses fonctions.

"Des membres de la garde présidentielle ont arrêté le président à sa résidence, et le Premier ministre à son bureau, ils ont coupé les téléphones de la présidence, et confisqué tous les téléphones de la première dame", a indiqué à l'AFP le porte-parole de la présidence. "Cela s'est fait sans violence pour la bonne raison que ce sont des éléments putschistes qui assuraient la sécurité du président", a-t-il ajouté.

"Le président de la République Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait pris mercredi matin un décret nommant quelques nouveaux officiers au niveau de la garde présidentielle, de l'état-major national et la garde nationale", a rappelé le porte-parole. "Ces officiers, trois généraux, ont refusé d'obtempérer à l'ordre présidentiel et sont entrés en rébellion contre l'ordre constitutionnel", a-t-il poursuivi au micro de l'AFP.

Le chef putschiste s'est bien sûr hâté d'annuler ces décisions. Le ministre de la la Communication a donné peu après lecture de cette annulation à la télévision.

La radio comme la télévision ont cessé d'émettre, les militaires ayant chassé leurs employés de leur poste de travail.

Jusqu'ici il n'y a pas eu d'effusion de sang ni de réaction à l'échelle internationale pour condamner ou soutenir ce dernier pronunciamiento qui ne fait honneur ni à la Mauritanie, qui en est à son second ou troisième déjà, ni à l'Afrique que la dictature ravage du nord au sud et d'est en ouest.

Nous verrons enfin, aux prises de position qui ne manqueront pas d'être annoncées ici ou là, si le monde entend rejeter dans les faits ce moyen scandaleux, ô combien de fois dénoncé, d'atteindre le pouvoir.

Non ! la communauté internationale commence à réagir, parfois vigoureusement, contre cet acte de félonie qui ramène l'Afrique aux années cinquante et soixante.

L'U.E., en particulier, a condamné fermement ce mouvement séditieux que Ban Ki Moon regrette seulement, mais que l'UA a fustigé à son tour en exigeant le retour à la légalité constitutionnelle.

Les putschistes ont des raisons de craindre plutôt l'U.E., pourvoyeuse d'aide, et non l'U.A. dont ils n'ont rien à redouter.

Pour une fois qu'un pays du nord de l'Afrique s'est brillamment distingué en réalisant démocratiquement, proprement et avec succès des élections présidentielles, en 2007, il aura fallu qu'un trio de généraux prétentieux, certainement trop jaloux, cassent ce mouvement salvateur qui eût pu conduire la Mauritanie vers son salut. Quel dommage !

Après les USA qui viennent de bloquer leur aide à Nouakchott, par réaction au coup d'Etat militaire, l'Union africaine, présidée par la Tanzanie, annonce la suspension de la Mauritanie, jusqu'à ce qu'elle retrouve un gouvernement constitutionnel. "Le coup d'Etat est un revers grave pour les Mauritaniens parce qu'il a volé au peuple son droit fondamental à élire librement les dirigeants de son choix", a estimé la Tanzanie, au nom de l'UA.

Si le calme règne relativement dans le pays, les citoyens tentent de montrer au monde leur hostilité aux putschistes, en manifestant dans la rue, quitte à s'exposer à la répression que l'armée leur réserve.

Les généraux félons continuent néanmoins de se complaire dans leur nouvelle situation d'hommes forts du pays, promettant, pour calmer le jeu, un retour imminent à la démocratie. Une telle promesse dans la bouche de putschistes n'a pour effet généralement que de gagner du temps, comme il est de règle. Ils s'estiment capables à la longue d'obtenir le soutien du peuple pour pouvoir ensuite s'imposer à lui par la voie des urnes. Les cas sont nombreux qui attestent du procédé devenu courant. Et ces égarés ne mesurent jamais les conséquences de leur acte sur l'esprit populaire perdant définitivement confiance en ses dirigeants.

Selon le journal Libération, les ambassadeurs de France, d'Allemagne, d'Espagne et des Etats-Unis, ainsi que le délégué de la Commission européenne et le représentant du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) à Nouakchott ont rencontré ensemble, dimanche, le général Mohamed Ould Abdel Aziz qui dirige la junte.

Les six représentants de la communauté internationale ont exprimé leur rejet de " l'organisation d'une élection unilatérale qui, de ce fait, serait considérée comme illégitime ", indique une source diplomatique française.

Additionnée à la réaction de l'U.A. (Union africaine), qui a décidé le gel de la Mauritanie au sein de l'organisation, cette prise de position place désormais les putshistes dans une situation d'autant plus critique que le peuple mauritanien se prépare, de son côté, à réagir contre leur égarement.

Les consultations entreprises par le nouvel homme fort de Nouakchott, en vue de former un gouvernement, se heurtent à une fin de non-recevoir de la plupart des personnalités politiques de premier ordre approchées.

Tout particulièrement le président de l'Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, leader de l'Alliance populaire progressiste (APP), se refuse carrément de cohabiter avec les putshistes. De son côté, l'Union des forces du progrès (UFP) n'a même pas jugé utile de se déplacer à l'audience proposée par le chef de la junte. Ce dernier ne peut donc s'appuyer que sur des formations marginales n'ayant aucune audience dans le pays.

Les pressions restent pourtant pesantes de l'extérieur pour exiger le retour à la voie constitutionnelle. La France, ancienne puissance dominante, qui assure la présidence de l'Europe, vient de suspendre son aide au pays. L'Algérie, qui a reçu un général de cette junte, porteur d'un message au président Bouteflika, s'est contentée de le mettre en relation avec Messahel, ministre délégué aux Affaires maghrébines, en lui refusant toute rencontre avec le président. Un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères souligne d'ailleurs : « la nécessité pour les responsables mauritaniens d’œuvrer à la préservation des institutions démocratiques ».

Les agences rapportent qu'une manifestation, autorisée par la junte en place depuis le 6 août dernier à Nouakchott, a réuni, mercredi, des milliers de Mauritaniens dénonçant publiquement leur opposition au coup de force du quarteron de généraux.

"L'armée a imposé au peuple mauritanien un régime anticonstitutionnel et s'est emparé de [ses] libertés civiles et de la démocratie", a déclaré Mohamed Ould Moloud, le secrétaire général de l'UFP, l'un des trois principaux partis du pays qui soutiennent le retour au régime constitutionnel.

Parallèlement à cette manifestation publique, trente-deux parlementaires ont boycotté les travaux de la séance spéciale de l'Assemblée nationale convoquée, le même jour, par Abd-el-Aziz, le chef putschiste.

D'un autre côté, l'U.E. vient de déclarer qu'elle bloque toute aide destinée à la Mauritanie, les généraux félons n'ayant montré jusqu'ici aucune volonté à faire acte de résipiscence.

Le Conseil de sécurité, enfin, a condamné le putsch dans les termes les plus vifs, sans toutefois prendre quelque résolution de caractère contraignant contre le nouveau régime de Nouakchott.

D'un bout à l'autre de leur petit monde, les Arabes aiment à se gargariser de mots pompeux comme la démocratie, les droits de l'homme, la justice sociale, etc., seulement quand il s'agit de souhaiter leur application chez les autres. Car, chez eux, c'est d'autre chose dont rêvent leurs dirigeants pour la plupart.

Ainsi, en Mauritanie, s'il s'est trouvé, l'espace d'un instant sur le moment, une petite foule pour s'indigner du coup de force qui a renversé, il y a quatre mois, le président Sidi Ould Abdallahi, régulièrement élu, une autre foule beaucoup plus dense semble plutôt applaudir le nouveau président qui lui a ravi le poste par la force des armes. Un général de pacotille, assumant auparavant les fonctions de chef d'état-major particulier du chef de l'Etat en titre, s'est autoproclamé premier dirigeant du pays.

Même après contrevenu aussi vulgairement à la loi et foulé du pied les règles élémentaires de la démocratie, cet arlequin a rapidement trouvé des soutiens massifs autour de lui. Les parlementaires que le devoir appelle pourtant au respect des règles qu'ils ont pour mission d'instaurer, de préserver et de défendre sont les premiers à accourir à la curée. Ils ont vite adhéré au mouvement de ce sinistre personnage, quitte à exposer le pays tout entier à la famine que le blocage des aides étrangères ne manquera pas de générer à cause de ce coup de force d'un autre âge, d'une autre culture.

Obtempérant à l'injonction de la communauté internationale, la junte au pouvoir a libéré aujourd'hui, à 3 jours du délai imparti, le président mauritanien en titre des contraintes qui pesaient sur lui depuis le coup de force qui l'a déchu illégalement de ses fonctions.

Sidi Ould Abdallahi n'est donc plus désormais en résidence surveillée à plus de 200 km de Nouakchott. Il a été ramené près de son domicile dans la capitale ce matin même et serait totalement libre de ses mouvements.

"Sa libération vise à préparer le terrain aux discussions pour la réconciliation nationale qui doivent commencer le 27 décembre", annonçait, hier, un représentant de la Ligue arabe, sous couvert de l'anonymat, selon le journal Le Monde. Ces discussions n'ont en vérité d'autre objet que de viser a légitimer le coup d'Etat, s'indigne le président démis de ses fonctions.

Le chef de la junte espère encore pousser ce dernier à présenter sa démission afin de lui libérer le passage vers des élections anticipées, qu'il compte remporter haut la main, une fois le dispositif administratif mis en place à dessein. Ould Abdelaziz, le maître d'oeuvre du pronunciamiento, ne peut en effet prétendre, sans violer la Constitution, à l'exercice d'une fonction politique, d'une part, et, de l'autre, n'est en aucun cas fondé à mettre fin aux fonctions du président régulièrement élu.

Sachant qu'un aussi grossier maquillage est d'avance rejeté par Sidi Ould Abdellahi, il ne resterait donc plus que le rétablissement de ce dernier dans la plénitude de ses prérogatives. C'est une chose que les généraux félons semblent évidemment loin d'accepter, tant les risques demeurent grands pour eux de devoir comparaître devant un tribunal et y perdre leur propre tête.

Les prochaines semaines permettront en tout cas de voir plus clair dans cet imbroglio politique. Il reste d'ores et déjà clair que la communauté internationale, pour de multiples raisons, ne semble guère disposée à reconnaître le nouveau pouvoir imposé de force au peuple mauritanien.

L'U.E. vient de saisir officiellement la junte de Nouakchott qu'elle confirme sa décision indirecte de ne pas reconnaître le régime issu du coup de force. Elle bloque, par voie de conséquence, sa coopération pour deux ans avec la Mauritanie. Toutes les aides resteront, du coup, suspendues jusqu'au retour à l'ordre constitutionnel qui suppose des élections présidentielles libres, transparentes et organisées par des instances crédibles sous l'égide d'un gouvernement neutre.

Elle impose donc une remise en cause de tout ce qui a accompagné le coup d'Etat. C'est une exigence impérative pour débloquer le Fonds européen de développement alloué à l'Etat mauritanien.

Sur 156 millions d'euros programmés, 40 consacrés à l'aide budgétaire sont donc gelés.

Si le dialogue officiel, assure l'U.E., reste bloqué, il n'en va pas de même, toutefois, entre elle et toutes les parties mauritaniennes.