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 Les épreuves de philo du Bac 2007 en France

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Ghania

Ghania


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MessageSujet: Les épreuves de philo du Bac 2007 en France   Les épreuves de philo du Bac 2007 en France EmptySam 16 Juin - 23:47

Les candidats ont disposé de trois sujets au choix à traiter dans le délai de quatre heures.

Série L (littéraire) coefficient 7

- Toute prise de conscience est-elle libératrice?

- Les oeuvres d'art sont-elles des réalités comme les autres?

- Expliquer un extrait de "Ethique à Nicomaque" d'Aristote sur le thème de la responsabilité.

Série S (scientifique) coefficient 3

- Le désir peut-il se satisfaire de la réalité?

- Que vaut l'opposition du travail manuel et du travail intellectuel?

- Expliquer un texte de Hume extrait d'"Enquête sur les principes de la morale" sur le thème de la justice.

[b]Série ES (économique et social) coefficient 4[/b]

- Peut-on en finir avec les préjugés?

- Que gagnons-nous à travailler?

- Expliquer un texte de Nietzsche extrait de "Humain, trop humain" sur la morale.
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Ghania

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MessageSujet: Re: Les épreuves de philo du Bac 2007 en France   Les épreuves de philo du Bac 2007 en France EmptySam 16 Juin - 23:55

A l'instar des 327.590 candidats au bac général, cinq écrivains-philosophes Jean d'Ormesson, Eliette Abécassis, Paul-Marie Coûteaux, Raphaël Enthoven et Alexandre Jollien ont passé le bac de philo, lundi matin, dans les locaux du Figaro littéraire.

Trois de leurs copies sont reproduites ci-après :

Jean d'Ormesson, membre de l'Académie française.

Je devrais pourtant, à mon âge, commencer à me méfier. Quand Étienne de Montety m’a proposé de repasser le bac au Figaro, une odeur de jeunesse m’est montée à la tête. J’ai accepté. Je n’ai pas mis longtemps à comprendre que c’était une erreur. J’allais tomber sur des questions à la mode et plus tartes que de raison, genre psychologie appliquée et sociologie en action. Je m’ennuierais à mourir.

J’écrirais n’importe quoi et on allait corriger ma copie. Corriger ma copie ! « Gigantesque ! », disait Flaubert. Et il y aurait Raphaël Enthoven, à coup sûr, et peut-être Luc Ferry ou Marc Lambron, ou, pourquoi pas ? Comte-Sponville ou Onfray, ils seraient plus brillants que jamais, et on leur collerait des 19 et des 18 pendant que je traînerais dans les rues du printemps un 7 ou un 8 infamant. Il fallait trouver au plus vite une sortie de secours. Mais j’avais dit oui au lieu de dire non comme il est toujours sage de le faire. J’étais coincé.

Alors, une idée m’est venue. J’allais transformer ma copie en chronique. Parce qu’il est difficile de corriger une chronique. Dans des temps immémoriaux, Le Figaro publiait des chroniques. Il leur arrivait d’être signées de Maupassant ou de Proust. Plus tard, de Giraudoux, de Morand, de Paul Valéry. Les moins jeunes d’entre vous se souviennent peut-être encore des chroniques de Guermantes ou de James de Coquet qui apparaissaient régulièrement à la « une » du journal, en bas, à droite. Il y a belle lurette que les chroniques ont été supprimées. J’allais en écrire une, plus ringarde que jamais, sur les examens, les concours et les copies du bac. Les souvenirs d’enfance et de jeunesse sont des nids de chroniques. Pour entrer dans la vie active, et plus encore pour éviter d’y entrer, j’ai passé un certain nombre d’examens et pas mal de concours. Je crois me rappeler que les certificats de licence se passaient rue de L’Abbé-de-l’Épée, l’écrit de Normale Sup à la Bibliothèque Sainte-Geneviève et son oral rue d’Ulm.

Les épreuves de l’agrégation se déroulaient à la Sorbonne. Le plus pittoresque de ces parcours était l’oral de la rue d’Ulmoù régnait déjà le canular cher aux normaliens. La légende voulait que le concours fût passé, sur des questions tirées au sort et devant des professeurs tirés au sort, par des candidats tirés au sort, et qu’il fallût répondre à des questions du genre de celles-ci : « Qui a fait quoi et en quelle année ? » ou « Que se passa-t-il après ? » À la première question, les plus subtils – on assure que Thierry Maulnier se rangeait parmi eux – répondaient : « Alaric éteignit le feu sacré à Rome en 410. » À la seconde : « L’affaire échoua. » Je me souviens que mon cher et grand maître Irénée-Henri Marrou m’interrogea moi-même sur la tenue des gladiateurs : « Ils étaient nus », répondis-je. « C’est exact », me dit-il avec un bon sourire. « Ils avaient pourtant sur eux quelque chose que vous allez me dire pour que je puisse vous mettre une bonne note. » « Un peu d’huile », répondis-je.

Trois ou quatre ans plus tôt, la guerre m’avait fait passer au lycée Blaise-Pascal, à Clermont-Ferrand, ce qu’on appelait alors le bachot de français. Et au lycée Masséna de Nice – où ce n’était plus de froid, mais de faim qu’on souffrait – le bachot de philosophie. L’oral de géographie, au moins, s’était passé assez bien : sur un bout de papier plié en quatre, j’avais tiré « le Brésil ». Une partie de mon enfance s’était déroulée à Rio de Janeiro. Je divisais le Brésil en trois parties : le Nord, le Sud, la Côte. L’examinateur – c’était une dame – eut l’imprudence de me demander quelle partie je choisissais. Je choisis la Côte et je la divise en trois. Elle me demande à nouveau quelle partie je choisis, et, de division en division et de choix en choix, je descends jusqu’au quartier de Rio et à la rue où j’habitais enfant. Il fallut bien me donner une note qui correspondait à mon grand savoir et qui rattrapa mon retard en chimie et en cosmologie.

Mon professeur de philosophie à Nice avait des cheveux longs sur un mufle de lion. Il s’appelait M. Fouassier. Deux semaines avant le bac, sur un sujet que j’ai oublié, il y eut une dernière composition. La dernière semaine, il rendit les copies. Je n’étais pas premier. Je n’étais pas deuxième. Je n’étais pas troisième. L’angoisse me prenait.

Tous les noms de la classe défilèrent, jusqu’au dernier, sauf le mien. Lorsque tout fut terminé, et moi réduit à néant, M. Fouassier déclara : « J’ai gardé pour la fin une copie exceptionnelle que je me propose de vous lire. » C’était la mienne. M. Fouassier commença sa lecture. De temps en temps, il s’interrogeait et lançait un éloge ou une approbation. Le roi n’était pas mon cousin. À un moment donné, par souci d’équité, il lâcha une réserve. Quelques instants plus tard, une observation moins amène. Et puis, à un rythme accéléré, les remarques les plus désobligeantes se succédèrent les unes aux autres. Il finit parme rendre ma copie en me lançant : « Franchement, à la relecture, c’est moins bien que je ne pensais. C’est même plutôt médiocre. » Ah ! fini de plaisanter. Voici les sujets qui me parviennent. Ils sont à peu près aussi intéressants que je le prévoyais : « Toute prise de conscience est-elle libératrice ? » Mon Dieu !…Ou « L’art nous éloigne-t-il de la réalité ? » Comme si l’art n’était pas une réalité plus réelle que la réalité… Ou « Que vaut l’opposition du travail manuel et du travail intellectuel ? » Au secours, Rimbaud ! Tout le monde se souvient de sa main à la charrue qui vaut bien la main à la plume. Ou encore : « Que gagnons-nous à travailler ? » À cette dernière question, Jules Renard, dans son Journal, a déjà répondu d’une seule phrase : « La punition des paresseux, c’est le succès des autres. »

La seule question qui aurait pu me tenter si je m’étais plié au jeu, ce qu’à Dieu ne plaise, c’était : « Peut-on se passer de l’État ? » Comme nous aimerions tous nous passer de l’État, de ses exigences, de ses papiers, de ses interdictions, de son poids écrasant et de plus en plus écrasant ! Un chef-d’œuvre a été écrit sur l’absence de l’État : c’est Robinson Crusoé. Il me suffit de recevoir ma déclaration d’impôts et de boucler ma ceinture en voiture pour rêver de Robinson. Mais il ne serait pas difficile, après une première partie consacrée à la liberté de l’individu sans État, d’entamer la seconde partie (quel ennui !) où l’État apparaîtrait comme le Grand Protecteur qui vient aider les plus faibles contre les plus forts et dont personne ne peut se passer. On parlerait de Hobbes, bien sûr, et de son homme qui est un loup pour l’homme, de Spinoza pour s’amuser un peu, de Rousseau et de son Contrat social, de Kant, naturellement, et on finirait sur Hegel pour qui l’État finit par se confondre avec la philosophie. Pouah ! Une troisième et dernière partie montrerait avec éclat – repouah ! – que l’État libérateur peut être aussi, si vous n’y prenez garde, un État oppresseur qui surveille les citoyens, organise des écoutes, se sert de grandes oreilles et menace la démocratie avec le cumul des pouvoirs. Re-repouah !

On bouclerait la boucle avec Benjamin Constant : « Que l’État se contente d’être juste. Nous nous chargeons d’être heureux. » Une dernière, que je me suis bien gardé de traiter, était : « Peut-on en finir avec les préjugés ? » Un fameux préjugé avec lequel il faudrait en finir est de s’imaginer que la philosophie est bien servie par les philosophes professionnels. Nous savons depuis Socrate que la vraie philosophie se moque de la philosophie et que le vrai philosophe, bien loin de répondre aux questions qui lui sont posées par les philosophes, va plutôt tremper ses doigts de pied dans le fleuve Ilissos et danser avec les loups.

Copie considérée comme incorrigible.


Dernière édition par le Dim 17 Juin - 0:18, édité 1 fois
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Ghania

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MessageSujet: Re: Les épreuves de philo du Bac 2007 en France   Les épreuves de philo du Bac 2007 en France EmptySam 16 Juin - 23:58

Paul-Marie Couteaux

Sujet : L'art nous éloigne-t-il de la réalité ?

Georges Pompidou n'avait pas pour André Malraux une affection exagérée : il lui reprochait une enflure, au mieux une emphase qui éloignait son ministre de ce sens des réalités dont il faisait, lui, l'homme du terroir, un permanent bréviaire. Par exemple, Les Chênes qu'on abat, récit de l'ultime rencontre entre l'écrivain et le général de Gaulle, déclenchait chez lui d'intarissables sarcasmes : « Ce livre est faux de bout en bout, répétait-il en substance ; il fait dire au Général des phrases entières qu'il n'a jamais dites et ne sont que le fruit de ses inventions ; il fait croire qu'il a passé la journée entière à Colombey, que les conversations furent longues, et en tête-à-tête encore, alors qu'il n'y resta que le temps d'un déjeuner, qu'il y avait plusieurs convives, qu'ils ne se sont rien dit, etc. » En somme, M. Pompidou était comme tout le monde : il pensait que l'art, compris comme une « invention », éloignait fâcheusement de la réalité (comme on dit : « Tout cela n'est que littérature »), qu'il était finalement ce qui n'est pas réel, compris comme ce qui n'est pas vrai, en somme qu'il était mensonger. Certes ce mensonge pouvait avoir une certaine valeur, et même une grande valeur, y compris commerciale, mais à la condition de ne pas se donner pour la vérité : sa fonction est justement de « distraire » de la réalité, de permettre à l'amateur, comme il le disait à propos de sa collection d'art moderne, de s'échapper de la vie bien réelle - d'accéder peut-être à quelque plaisir bienheureux, certes, mais en cela surtout que, loin de le dire, il ferait oublier le monde.

Pour le commun des mortels, et particulièrement pour nos contemporains plongés dans l'univers de la marchandise, de la matière, l'art ne fait que travestir la réalité : on s'en échappe en allant au cinéma, au théâtre ou au concert, en contemplant un tableau de maître : mais toujours, qu'il soit classique ou contemporain, l'art est supposé parler d'autre chose, tel un bonbon ou une gâterie qu'on s'offrirait comme un répit, une oasis de détachement dans la suite morne des jours : condamné ou adulé, l'art est toujours ce qui s'échappe de la réalité. Mais la réalité, qu'est-ce à dire ? Discutons d'abord ce mot-clé, avant d'interroger la fonction de l'art et de l'artiste face à elle, pour finalement proposer ce que le monde contemporain peut et doit faire de cet « éloignement ».

Par réalité, faut-il comprendre la collection des faits qui accompagnent chaque geste de notre vie, les contraintes quotidiennes, non d'une idéale « condition humaine » réservée à la spéculation métaphysique, mais de « l'humaine condition », cette réalité des « réalistes » dont on ne saurait s'échapper sans sombrer dans l'erreur, le rêve ou la folie ? Faut-il tout au contraire concevoir la réalité comme la simple et fragile collection d'apparences successives et vite périmées, donc contingentes et finalement trompeuses, qui n'ont d'autre valeur que celle de signes plus ou moins aléatoires entre lesquels il faudrait se frayer, en les mettant en question, une route délicate vers la vérité ? Revenons à Malraux et ses Chênes : aucune des phrases qu'il attribue à de Gaulle ne fut sans doute prononcée ; mais, aussi peu « réaliste » soit-il, il n'est point d'ouvrage qui en dise aussi long sur la vérité de l'épopée gaullienne et des principes les plus fondamentaux dont elle s'inspira, comme en secret : le souci de réalité qu'eût été la plate relation d'un repas sans doute empesé à Colombey, n'aurait pas dit autant de vérité - car la réalité ne dit justement pas la vérité des événements, des choses ou des êtres, ce secret que l'art, justement, va chercher là où elle se dissimule - ne ferait-il que le tenter.

Que la réalité ne dise pas, et qu'elle ne dise même jamais la vérité pure, une foison d'anecdotes le montre dans l'histoire plus ou moins lointaine, comme dans notre vie de tous les jours. Pour en rester au registre politique choisi d'emblée, on relèvera d'autres épisodes de la vie du général de Gaulle ; lors de sa seule rencontre avec François Mitterrand (à Alger, en 1943) il entendit celui-ci lui reprocher d'avoir perdu tout contact, à Londres puis à Alger, avec la réalité de la France : « La France est d'abord un pays bien réel, un village, un paysage, une pierre que l'on touche » ; à quoi le chef de la Résistance répond : « Moi, Monsieur, pour voir la France, il me suffit de fermer les yeux. » Idée pure

et permanente, cette France insaisissable n'était-elle pas plus vraie, à la fin des fins (au moins à la fin de la guerre, qui la voit siéger à la table des vainqueurs !), que la pauvre réalité d'un pays sous la botte - et que fut le « miracle » du 18 juin, sinon, brutalement opposée à la France vaincue du moment, déchirée, exsangue, morte peut-être comme nation, l'affirmation d'une Idée éternelle qui s'appelait France, ou plus exactement « France libre », et qui était sa vérité ? Celui qui, en 1940, se voulait « réaliste », finalement se trompait.

Que la réalité ne soit pas la vérité, et qu'il faille s'extraire de celle-ci pour approcher de celle-là, voilà qui insinue un doute : et si, de la réalité, il fallait bel et bien vouloir s'éloigner, pour approcher d'une meilleure et plus féconde vérité ? Chacun songe ici au très platonicien personnage égaré dans la caverne : ce qu'il croit voir et prend pour autant de réalités n'est qu'une suite de reflets insaisissables et trompeurs ; il lui faut s'en détourner, se « retourner », pour qu'apparaisse l'Origine des ombres, l'Être, la « réalité de la réalité » - ce pourquoi Platon est un « réaliste », bien que le langage commun le range parmi les idéalistes, ce que nous ferons par convention. Et si l'artiste était cet idéaliste-là, celui qui se retourne pour saisir la vérité derrière les apparences - et l'art cet exercice non point futile ou distrayant, mais rédempteur : mettre à distance la réalité ?

Inventer n'est pas créer de toutes pièces - nul ne saurait créer de rien : quand Picasso peint Guernica, il ne crée rien qui ne fût à Guernica terrassée sous les bombes ; il cherche ce qui fit radicalement et brutalement la vérité de la scène, et la trouve, ou du moins s'en approche, en quoi l'oeuvre est saisissante, non point réelle mais vraie, et en cela « réussie ». Inventer c'est trouver - invenire, faire venir l'essentiel...

Du plus réaliste au plus abstrait (il n'y a en effet que des degrés dans cette quête de la quintessence, ce tire-d'aile qui éloigne de la réalité autant que l'artiste le juge nécessaire), tout art prend ses aises avec la réalité, ce qui ne signifie pas qu'il n'en ait cure. Simplement, il l'interprète - cela jusqu'au plus « réaliste » des artistes, le photographe, qui n'appuie jamais sur le bouton par hasard, mais tranche dans le monde selon son intention, inspiration ou talent. De l'artiste du dimanche qui, selon qu'il installe ici ou là son chevalet, trouve une réalité « plus vraie que nature » (ce qu'il juge être la vérité du paysage) au plus abstrait des peintres, faire oeuvre d'art est se décoller du réel immédiat pour dire, proposer ou trouver la quintessence des choses : tel Proust cherchant au fond de son lit, ou de sa mémoire, la vérité de ce qu'il n'avait fait que voir ici ou là dans la « vraie vie », sans jamais saisir la vérité de son monde, ses mondanités et ses personnages. À ce reclus emblématique, archétype, peut-être, de tout artiste, il fallut l'oeuvre du temps, du souvenir, de l'écriture en somme, pour déceler la vérité sous les masques et les métamorphoses - de Saint-Loup, de Charlus, des salons. Ce n'est pas seulement « le temps retrouvé », mais le Temps qui retrouve.

Si la réalité est fausse, béni soit l'art qui dénonce le permanent mensonge - et bénis soient les artistes qui percent le monde visible, modèles en cela de l'homme libre, celui qui n'est jamais tout à fait prisonnier du monde. Bénis ? La question ne va pas de soi, aujourd'hui comme toujours. La damnation rimbaldienne du « voyant », accusé de démiurgie, d'onirisme ou de délire n'est jamais loin : tout pouvoir s'en tient aux réalités, - et craint quiconque s'en éloigne -, d'où les plus ou moins grandes persécutions qui poursuivent les artistes au long de l'histoire, ou les pompidoliens sarcasmes : « il invente ! » veut toujours dire, pour les réalistes au pouvoir, « il ment ». Mais l'artiste trompe-t-il son monde ou le sauve-t-il ? C'est toute la question de son statut dans la Cité, dans toute cité en général, dans celle d'aujourd'hui en particulier.

Statut de l'art et de l'artiste ? Il y eut en toute cour des « protégés », peintres, musiciens ou poètes, et c'est un des honneurs de la France d'avoir toujours réservé un privilège à la « culture » parce qu'elle se veut la terre des libertés - non point simplement des libertés politiques, mais de cette liberté suprême qu'il faut consentir aux hommes : s'éloigner du monde tel qu'ils le connaissent et l'endurent, pour chercher la vérité, éternelle promesse d'une vie bonne. Ainsi la France entendit-elle être la terre des Arts, avant que d'être celle des Armes et des Lois ; ainsi ses rois firent-ils venir auprès d'eux des créateurs de toutes sortes, pensionnant les uns, passant commande aux autres, accordant à certains, « les grands écrivains », figure toute française, une place spéciale dans l'État - ne serait-ce qu'en protégeant l'Académie, et en conférant à ses membres une place quasiment sacerdotale, que révèle assez leur étrange dénomination « d'Immortels ». Se vouloir « au-dessus des réalités » est en France un magistère sans doute assez rare - impensable dans les pays anglo-saxons, par exemple, ou dans toute théocratie, où seul Dieu peut détenir le feu. Pour autant, aussi doté que soit, ou ne soit pas le ministère de la Culture, la suspicion ne demeure-t-elle pas aujourd'hui comme toujours ?

Si l'artiste est bien celui qui postule que la réalité est un mensonge, et si son oeuvre, selon l a parabole platonicienne, consiste à chercher la vérité conçue comme le monde caché des essences pures, on ne s'étonnera pas que, derrière tant d'honneurs et de révérences, le politique se méfie et garde ses distances : l'artiste essentialise, et rien, aujourd'hui, n'est plus suspect. Que les choses soient ce qu'elles sont, une fois pour toutes et quelle que soit leur réalité du moment ; que, pour s'en tenir décidément au registre politique, la France soit ce qu'elle est dans sa permanence, sinon absolue, du moins multiséculaire, une nation en continuelle quête de souveraineté, et non un territoire dont la souveraineté, c'est-à-dire la politique serait absorbée par le vaste ensemble européen, voilà ce que prétendra le poète ou l'écrivain, Lamartine ou... Malraux, mais que la doxa contemporaine ne saurait plus admettre ; qu'une chose soit une chose, un homme un homme dont la statuaire fige les traits une fois pour toutes dans son indépassable vérité, qu'une fleur soit une fleur jamais réelle, mais, comme disait Mallarmé, « pure et suave » et toujours « absente de tout bouquet », et non une contrefaçon commerciale qui la mime, la fabrique à la chaîne et la vend pour telle, voilà ce que n'admet pas notre monde si peu essentialiste et si farouchement « héraclitéen » qu'il croit obstinément que toute réalité change toujours, et n'imagine rien au-delà, pour le plus grand intérêt de la réalité plate, de la marchandise telle qu'elle est, du monde tel qu'il paraît être - qui peut changer certes, mais ne souffre nul Ailleurs qui le juge et le condamne. Décoller des réalités contingentes et trompeuses du jour, aller vers la quintessence et la permanence des choses, des idées et des êtres, ou des âmes, voilà bien ce à quoi notre temps et son obsessionnel « panta rhei » ne consentent guère : et si l'art et l'artiste n'avaient pas pour destin, finalement, de faire peser sur le monde cette charge exactement métaphysique, éloignée de la réalité au point d'être son contraire, que valent-ils ?

Note : 14/20


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Ghania

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MessageSujet: Re: Les épreuves de philo du Bac 2007 en France   Les épreuves de philo du Bac 2007 en France EmptyDim 17 Juin - 0:09

Eliette Abecassis

Sujet : Toute prise de conscience est-elle libératrice ?

Je suis ici même dans cette salle du Figaro, parfaitement enfermée et cernée par les regards de mes condisciples et ceux des journalistes, qui vont bientôt me juger, me jauger, m'évaluer par cette copie que je vais leur remettre. J'ai bien conscience de ma situation, je l'ai choisie lorsque j'ai accepté la proposition qui m'a été faite de passer le bac de philosophie il y a quelques semaines. Je peux même prolonger cette parfaite conscience par une prise de conscience, soudaine et brutale, que je suis ici, obligée à présent de composer, prise au piège. Cette prise de conscience peut-elle me libérer de ma situation ou au contraire ne fait-elle qu'augmenter le vide et l'angoisse qui me saisit à la perspective d'être enfermée pendant quatre heures face au regard bleu intense de Jean d'Ormesson me rappelant l'infini horizon des possibles, possibles qui à l'heure actuelle me sont refusés? Est-ce parce que je prends conscience de mon aliénation que je vais pouvoir m'en libérer ? Toute prise de conscience est-elle libératrice ?

Qu'entend-on par « prise de conscience » ? Il faut voir tout d'abord que la prise de conscience n'est pas la conscience : la notion de prise de conscience implique un événement, une rupture dans le temps, qui survient par le fait d'envisager, de comprendre, c'est-à-dire de prendre avec soi, en soi, ce qui m'arrive, ce qui fait que je suis ici, dans cette salle, à composer, et plus généralement, le fait que je suis là, projetée dans ce monde sans savoir exactement pourquoi ni comment. Dès que je prends conscience de ma situation, c'est-à-dire, dès lors que j'envisage ma condition, mon aliénation fondamentale dans le fait d'être là, suis-je libérée du fait d'être femme ou homme, et d'être déterminée par mon corps, mon être, ma société avec toutes ses lois ?

C'est en effet par ma pensée et par elle seule que je peux m'affranchir de toutes ces contraintes, puisque l'on peut enfermer mon corps, l'on peut me soumettre à tous les jougs et les pires tyrannies, je pourrai toujours me libérer par la puissance de ma pensée de toutes les déterminations, pour autant que j'en prenne conscience. Personne ne peut prendre possession de mon esprit qui me permet d'accepter ma situation, quelle qu'elle soit, et même de la vouloir ainsi. Quelle plus grande liberté que celle de choisir de vouloir ce qui m'arrive ? Je suis arrivée au monde dans une prison qui est celle de mon corps, avec ses limites, ses maladies, ses faiblesses, mais si je choisis par la prise de conscience de vouloir être dans ce corps et par ce corps, je deviens libre de ses déterminations en les faisant miennes. Comme le montre la philosophie stoïcienne, voici la voie de la libération de tous les déterminismes, par la prise de conscience du mal, qui devient dans cette perspective la volonté même de vouloir le subir et donc de s'en affranchir.

Plus fondamentalement, la prise de conscience comme acte métaphysique, fait partie du surgissement du sujet, qui dès lors qu'il s'est fondé en tant que tel, peut se libérer de sa condition puisqu'il peut décider de ses actes, de ses pensées, de ses actions. Le « cogito » tel que l'a pensé Descartes dans ses Méditations, n'est autre que cette prise de conscience du sujet comme fondement du monde qui signifie sa liberté en tant que sujet : « je suis, j'existe »; c'est cette idée fondamentale, fondatrice, originaire qui me permet d'organiser le flot des événements qui surgissent sans que j'aie prise sur eux afin de me rendre maître et possesseur de la nature. Le cogito met fin au tourment infini du doute qui m'entraînait dans l'enfermement de ma volonté et de ma pensée, aliénant ma capacité de jugement et d'être.

Plus radicalement, si l'on envisage le monde à partir du sujet pensant, la liberté peut-elle résider autre part que dans cette prise de conscience ? Spinoza explique dans le Traité théologico-politique que la notion de loi possède des acceptions différentes pour l'homme du commun et pour celui qui prend conscience de la loi. Pour l'ignorant, - celui qui ne prend pas conscience - la possibilité de contrainte devient la condition même de l'obéissance politique. Mais pour celui qui prend conscience, qui sait percevoir les choses par lui-même, elles seront le signe de sa liberté. Autrement dit, la liberté n'existe que dans la prise de conscience du fait que nous soyons déterminés. Il n'y a d'autre libération que celle de la prise de conscience.

La prise de conscience peut ainsi être envisagée comme le signe qu'il existe un principe présent en tout être et en toute chose qui est inscrit dans le monde, et qui l'organise : c'est la Raison. La prise de conscience n'est autre chose que l'avènement de la Raison en chacun selon le processus dialectique. Le monde progresse ainsi par l'incarnation progressive de la vérité à travers les êtres et le temps. Dans la perspective hégélienne, c'est cela même, la liberté.

Cependant, est-ce parce que je prends conscience de la Raison en acte à travers moi que je vais me libérer de ma condition d'être dans le monde, dans ce corps, à ce moment déterminé, que je n'ai pas déterminé moi-même ? Je n'en suis pas moins là, dans cette salle, à composer sous le regard des autres. J'habite dans ce pays, soumise à ses lois, que j'ai choisies hier en votant. Mais si je les ai choisies, c'est par un acte, non par une prise de conscience. La prise de conscience politique qui m'incite à aller voter pour choisir le sort de mon pays n'est rien sans l'action de se rendre au bureau de vote. Ainsi donc, plus que la prise de conscience, n'est-ce pas l'action qui est libératrice ?

En politique, c'est bien l'action qui a permis la libération des jougs de l'esclavage, de la tyrannie, du totalitarisme qui maintient les citoyens à l'état de servitude. La révolte, la Révolution font partie de ces libérations d'un peuple qui ont rendu possible leur liberté. Elles sont en effet parties d'une prise de conscience de leur aliénation par un roi, un prince ou un dictateur, avec un système politique inique ; mais sans l'action d'une prise de pouvoir par le peuple, par le fait de transférer par un acte son pouvoir individuel dans une personne collective, ou encore par une association ou un pacte commun, ce peuple n'aurait pas été libre.

D'un point de vue moral, la prise de conscience du mal n'est pas libératrice, bien au contraire. Par exemple, ce n'est pas parce que je vais comprendre toutes les raisons pour lesquelles Hitler a pu décider de la Solution finale que je vais me libérer du mal engendré par la Shoah. Ce mal, tant les historiens que les psychologues ou des sociologues ont tenté de le rationaliser, de le réduire, à des conséquences de la défaite et du diktat de Versailles, ou encore à l'emprise collective des personnalités autoritaires, ou encore à la banalité du mal. Mais toutes ces prises de conscience du mal engendré par la Shoah n'expliqueront jamais la folie meurtrière qui fait que l'on déporte des gens, des hommes, des femmes, des enfants pour les mettre dans des chambre à gaz. Loin de l'expliquer, la prise de conscience ne fait que mettre en évidence l'absurdité du mal, et mène à l'effroi et au silence. Dans la prise de conscience de la Shoah, il n'y a pas de libération, il n'y a que l'incompréhension devant l'irréductible.

D'un point de vue métaphysique, la notion de prise de conscience libératrice implique une ontologie de l'être en tant qu'être. La prise de conscience repose sur une ontologie essentialiste selon laquelle l'être est ce qu'il est, dans sa permanence, et la prise de conscience est la marge de liberté qui me permet de m'en rendre compte. Mais si l'on envisage l'être non comme essence, comme chose en soi mais au contraire comme existence, alors la libération ne peut venir de la prise de conscience. Comme le montre Sartre dans l'Être et le Néant, au départ est l'existence. « Lorsque je le délibère, les jeux sont faits », dit Sartre. On pourrait dire également, lorsque je prends conscience, les jeux sont faits. Dès ma naissance, je suis projetée bien malgré moi dans l'altérité du monde, dans l'horizon métaphysique de la néantisation, c'est-à-dire que je suis en situation, et cette situation prime sur l'être, puisqu'elle fait l'être. Pour se libérer, il ne suffit pas de prendre conscience de mon aliénation, il me faut agir, m'engager, exister, car être c'est exister. Au départ, est ma liberté. C'est elle qui est première, et la prise de conscience, loin de permettre ma liberté, ne fait que m'aliéner. Ainsi par exemple, le sentiment que je peux ressentir lorsque je suis devant une porte en train d'épier quelqu'un et que surgit le regard de l'autre. Ce regard en faisant surgir la honte en moi m'aliène. Comme le montre Sartre, la honte en tant que prise de conscience de moi-même, loin de me rendre libre, me montre à quel point je suis chosifiée par ce que l'on nomme « la prise de conscience ». Dès lors que je prends conscience, je suis prisonnière du regard de l'autre, et loin de me libérer, sortant de ma condition de pour-soi, n'étant pas que ce que je suis, je deviens ce que je ne suis pas : une chose, un en-soi. C'est par la prise de conscience que je m'aliène.

Ainsi donc, nous voyons que d'un certain point de vue, qui est essentialiste, la prise de conscience permet de me libérer d'une aliénation fondamentale, et c'est même la seule liberté qui m'est offerte. Mais au contraire, si l'on se place dans une perspective existentielle, c'est l'action qui me rend libre, alors que la prise de conscience par le regard de l'autre en moi et sur moi, aliène tous mes possibles. Qu'en est-il finalement de la valeur de la prise de conscience dans la libération individuelle ou collective, et dans quelle mesure est-il possible de tout à fait « prendre conscience » ?

Prendre conscience de ma situation, celle que je vis à un niveau de conscience, n'est pas vraiment prendre conscience ; c'est avoir conscience. Pour prendre vraiment conscience de quelque chose, peut-être faut-il envisager tout ce dont je n'avais pas conscience avant et qui advient justement à la conscience, c'est-à-dire : l'inconscient. Au fondement du sujet, il n'y a pas la conscience, il y a l'inconscient, c'est-à-dire tout ce que le sujet refoule en entrant dans le langage. Comme le montre Lacan, il y a inconscient car il y a langage. Dès lors que j'entre dans le langage, je suis dans un processus de refoulement de moi. Comment me libérer de cette aliénation primordiale qui est au fondement même du désir ? Je peux très bien connaître mes défauts, mes angoisses, mes peurs, mes névroses sans pour autant en être libre. Dans le processus analytique, ce n'est pas la prise de conscience de la névrose qui libère, c'est le transfert. C'est-à-dire le fait de revivre ses sentiments, ses peurs, ses angoisses par rapport à l'analyste, lieu de toutes les projections, qui va amener à la libération de ce passé qui emprisonne. Le transfert, ce miracle de l'amour projeté sur l'analyste, découvert par Freud d'une façon empirique alors qu'il traitait ses patientes, est ce qui va permettre la guérison. La libération ne vient que par le sentiment, les sensations, l'expérience amoureuse : l'existence, en effet, projetée dans une autre dimension que celle de la pure raison. Une prise de conscience, qui est une prise de conscience de soi à travers les autres, de ses désirs, de ses aspirations, de ses pulsions. Cette prise de conscience peut en effet mener à la libération, comme invention du moi, d'un autre moi, à travers de nouvelles représentations, autres que celles imposées par la société, par la raison, et par le déterminisme du passé ou de l'être.

On le voit, toute prise de conscience n'est pas libératrice. Au contraire, la prise de conscience est aliénante dans le sens où le sujet qui prend conscience de son aliénation reste enfermé dans un processus rationnel qui ne fait que redoubler son aliénation. Ce qui est primordial et premier c'est l'existence et l'intention qu'on lui donne, l'infinie possibilité des interprétations, des versions de son existence. Et l'art n'est peut-être autre chose qu'une prise de conscience particulière qui permet de mettre en jeu l'inconscient pour se libérer de ses déterminations, tout comme l'éthique, au fondement de l'être, qui permet d'organiser la relation à l'autre, autrement que sur le mode de la violence, cette même éthique, et cette même volonté de création, qui font que je suis là, ayant librement consenti de venir faire cette copie dans cette salle du Figaro, et m'y astreignant librement puisque je choisis de ne pas décevoir l'attente devant la parole donnée : enfermée dans cette pièce, mais libre dans la prise de conscience du fait que je m'invente en ce moment même comme sujet.

NOTE : 19/20
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