Le Kenya en proie à de graves agitations

Les massacres de manifestants opposés à l'autoproclamation en sa faveur des résultats électoraux, par le président sortant du Kenya, Mwai Kibaki, suscitent de grandes inquiétudes au niveau de la communauté internationale.

Ces derniers jours, notamment, ont été marqués par un intense développement des tueries organisées par le régime honni de Kibaki : 60 morts ont été recensés ce matin, après une nuit particulièrement meurtrière. A ce jour, le chiffre cumulé des tués est de 259, depuis les élections du 27 décembre. Les victimes relevées dans la nuit d'hier, comptaient 3 enfants sur 48. Si 44 d'entre elles ont été exécutées par balles, 4, en revanche, ont péri des suites de coups de machette.

Pour appliquer le couvre-feu instauré entre 6 h et 18 h, la police "a reçu l'ordre d'abattre" ceux qui ne l'observent pas, indique l'un de ses hauts responsables, selon une dépêche AFP d'aujourd'hui.

Jamais, pareils incidents n'ont endeuillé le pays depuis le coup d'Etat avorté de 1982.

Si le président "réélu" affiche une certaine détermination à se maintenir au pouvoir et à combattre les violences, son challenger, Odinga, qui se dit floué de quelques centaines de milliers de voix, n'est pas, non plus, prêt d'admettre sa fausse défaite.

L'attention de la communauté internationale ayant été déjà attirée à propos des fraudes électorales, il n'est pas sûr que Kibaki reçoive le soutien des principaux pays. Les USA, les premiers qui l'avaient félicité, se sont vite ressaisis pour faire machine arrière.

Aujourd'hui, c'est le problème de la persistance des émeutes, avec leur lot grandissant et déplorable de victimes, qui interpelle et préoccupe gravement la communauté internationale, au point de pousser Ban ki Moon, le secrétaire général de l'ONU à exhorter le régime kenyan à plus de retenue dans le rétablissement de la paix.

Le journal Le Monde publie aujourd'hui le contenu d'un document de première importance qui met en cause le régime de Kibaki, à propos des fraudes électorales sciemment introduites dans le dépouillement des résultats.

Ainsi, dès les résultats partiels, un décompte donnait Odinga en tête, avec une marge substantielle de plus d'un million de voix sur son rival, pour des suffrages totalisant 8 millions d'inscrits. Dans 88 circonscriptions (sur 210 au total), il a été constaté l'absence du formulaire donnant les résultats. Disparu ou non signé, sinon glissé sous forme d'un faux grossier, ce formulaire a entaché sérieusement l'addition des voix retenues en faveur du président sortant. Dans une autre région, au-delà de la même signature anormale des bordereaux par la même personne, il a été recensé un bourrage manifeste des urnes, le nombre des inscrits étant beaucoup plus bas que celui des votants. Ailleurs, encore, les chiffres ont été tout simplement majorés d'un zéro au profit de Kibaki.

Le journal ajoute que dans d'autres circonscriptions c'est les partisans d'Odinga qui se sont mis hors-la-loi en trafiquant les résultats au profit de leur leader, dans des proportions certes nettement inférieures à celles découvertes chez son rival.

De tels faits, que l'on considérait jusqu'ici propres à l'Algérie, en particulier, jettent un discrédit manifeste sur l'ensemble de ces élections kenyanes.

Une relative accalmie semble s'instaurer au Kenya, depuis l'annonce notamment d'une médiation entreprise par le président de l'Union africaine, John Kufuor, à l'effet de réunir, autour d'une table de conférence, les deux antagonistes qui sont aux prises, par partisans interposés, depuis la proclamation des résultats de l'élection présidentielle du 27 décembre dernier.

Le chiffre de 328 cadavres décomptés jusqu'à ce matin, y compris les trente-cinq malheureux brûlés dans une église réformée, paraît donc se stabiliser à la satisfaction notamment des autochtones que les émeutes avaient poussé à fuir le pays en direction de l'Ouganda voisine.

Dans ce pays de 35 millions d'habitants, où vivent une quarantaine d'ethnies qui s'opposent parfois avec violence, il est bien temps que la paix se rétablisse et qu'il soit mis fin, par le dialogue, à la lutte à mort pour le pouvoir que les deux rivaux s'étaient résolus à engager au mépris des interpellations dont ils sont l'objet de la part de la communauté internationale.

A observer, enfin, ces excès de violences enregistrés dans les deux camps, et dont sont victimes seulement les gens du petit peuple manipulés à volonté, force est de croire que les dirigeants kenyans en général sont dépourvus totalement de cervelle ou que ne comptent que leurs intérêts personnels égoïstement dévastateurs.

Les premiers signes d'apaisement sont, semble-t-il, apparents à Nairobi, depuis hier. Une certaine activité commerciale jointe à une circulation automobile redevenue quasiment normale commence à prendre le dessus sur la situation chaotique qui était celle de la capitale kenyane de cette dernière semaine.

Si le parti d'opposition d'Odinga continue d'opter pour l'organisation d'un nouveau scrutin annulant le précédent qui avait mis le feu aux poudres, Kibaki qui s'est autoproclamé président élu ne l'entend pas de cette oreille. Il se dit opposé à toute remise en cause de son pouvoir et déclare : "Le gouvernement ne cèdera jamais au chantage. Les gens devraient cesser d'utiliser la violence comme forme de chantage".

La médiation de Desmond Tutu, l'archevêque sud-africain prix Nobel de la paix, n'a rien apporté de concret, à l'issue sa rencontre séparée avec Kibaki et Odinga. Et l'on a le sentiment que les deux rivaux se tiennent sur leurs gardes, tout en s'efforçant de contenir leurs troupes pour répondre aux interpellations de la communauté internationale. L'armée, rappelée à l'ordre, a recours désormais aux canons à eau, aux tirs en l'air et aux gaz lacrymogènes, cessant donc de tirer sur des cibles humaines. Les partisans d'Odinga se gardent enfin d'ériger de nouvelles barricades ou de provoquer les services d'ordre.

Vivant essentiellement de tourisme, le Kenya ne peut se permettre plus longtemps de laisser le désordre s'installer chez lui, d'autant qu'il prive en même temps ses voisins de l'Est et des Grands lacs notamment du carburant habituellement réceptionné à son port de Mombasa, sur l'océan Indien.

Jusqu'ici aucun des deux rivaux n'accepte de concession. Autant le président "élu" se dit seulement prêt à former un gouvernement d'union nationale qui intègrerait son adversaire Odinga, autant ce dernier considère que le faux élu doit d'abord se retirer du poste qu'il occupe indûment avant de s'avancer à une table de négociation. "Notre postulat, c'est que Kibaki est là illégalement. il ne devrait pas venir à la table des négociations en tant que président. Nous voulons lui parler sur la base de son ancien mandat et, là, nous trouverons une solution à ce problème", à déclaré ce dernier, avant d'ajouter : "Nous sommes prêts nous aussi à lui faire une place dans notre prochain gouvernement".

Pas même Jendayi Frazer, envoyée comme médiatrice par Washington, n'a réussi à ce jour à faire entendre raison à ces deux antagonistes, pour trouver une solution pacifique qui mettra fin à la violence née des élections présidentielles.

Au bout d'une semaine d'émeutes, où l'on a dénombré quelques 360 morts, et marquée par une sanglante répression policière, on a non seulement observé des pillages mais des départs massifs de populations abandonnant biens et foyers pour aller chercher refuge dans les pays voisins, où l'on peine d'ailleurs à leur distribuer des vivres en raison de l'insécurité qui menace toujours à l'ouest du Kenya.

Les retombées de la crise kenyane sur les pays voisins et notamment en Ouganda commencent à donner des effets regrettables. D'ores et déjà des queues et des bagarres se forment très vite aux abords des pompes à essence directement affectées par l'arrêt des approvisionnements habituellement opérés à partir du port de Mombasa au Kenya.

L'on ne sait, bien sûr, pour l'immédiat, si cette rareté des carburants, qui frappe, aujourd'hui, au-delà de l'Ouganda, d'autres pays comme le Rwanda, le Burundi, le sud du Soudan et l'est du Congo, est due à une rétention spéculative des distributeurs ou vraiment au désordre régnant au Kenya. Mais l'on mesure déjà non sans grande inquiétude les conséquences dramatiques pouvant découler de cette pénurie, si elle devait se prolonger, sur les rares efforts d'investissements entrepris ici ou là pour tenter d'améliorer le sort des populations de la région totalement déshéritée.

Aussi, y observe-t-on avec une réelle préoccupation l'évolution de la situation politique au Kenya où l'on espère un très rapide retour à la normale.

L'opposition de Raila Odinga, non satisfaite par le statu quo qui commençait à perdurer à ses dépens, déclare reprendre les manifestations de masse et les rassemblements qui avaient été suspendus.

Pas même John Kufuor, président du Ghana et de l'U.A, accouru pour assurer la médiation entre les deux antagonistes Kibaki et Odinga, n'est parvenu à les mettre d'accord. Il cède la place à Kofi Annan, l'ancien secrétaire général de l'ONU, qui cherchera vraisemblablement à trouver une solution de partage du pouvoir.

Certes, un engagement a été souscrit pour faire cesser les violences. Mais rien n'assure qu'elles ne reprendront pas sitôt engagées, sur la voie publique, les premières manifestations de l'opposition, pourtant interdites par le régime de Kibaki. Les affrontements entre partisans des deux rivaux, qui s'étaient calmés depuis quelques jours, ont déjà repris hier, à l'ouest du pays, où six maisons ont été incendiées et une personne blessée, d'après une dépêche d'agence.

D'ores et déjà, le Kenya commence à ressentir les effets directs de ces désordres sur son économie, qui évalue les pertes du tourisme, pour le mois de janvier seulement, à quelques 42 millions d'euros de pertes dans le seul secteur hôtelier.

"Nous avons le devoir de soutenir la démocratie", a déclaré Kenneth Marende, le tout nouveau président de l'Assemblée nationale kenyane. Elu ce matin même par 105 suffrages, avec 4 voix d'avance sur son rival, Francis Ole Kaparo du camp adverse, autrement dit de Kibaki, Marende appartient au parti de l'ODM du candidat aux présidentielles qui se dit "dépossédé" de sa victoire, Raila Olinga. Ce même parti avait obtenu 99 voix, soit le plus grand score d'élus aux élections législatives qui s'étaient déroulées le même jour que les présidentielles.

Pour la première fois, aujourd'hui, les deux rivaux Kibaki et Odinga ont donc apparu en même temps en public.

Confortée par cette victoire à l'Assemblée, l'opposition compte se livrer, par des manifestations populaires durant les trois prochains jours, à une épreuve de force, en dépit des interdictions édictées par le pouvoir de Kibaki.

L'ancien secrétaire général des Nations unies, qui était annoncé pour aujourd'hui, a dû reporter son voyage, à cause d'une "forte grippe", indique l'ONU de Genève. Très attendu à Nairobi, Koffi Annan doit, en principe, tenter, à son tour, une médiation entre les deux antagonistes, et aider au rétablissement de la paix dans ce pays qui s'était longtemps distingué par une remarquable stabilité.

Au bout de trois jours de manifestations de l'opposition, 25 personnes ont été tuées, la plupart par balles par la police, et ce, malgré les appels lancés aux autorités par les principales ambassades occidentales à l'effet de faire cesser les tirs contre des manifestants désarmés.

Depuis le début, c'est un total de 700 Kenyans environ qui ont perdu la vie à la suite des élections présidentielles du 27 décembre dernier. En sus, plus de deux cent mille personnes ont quitté leur domicile pour aller chercher refuge dans les pays voisins.

Devant l'ampleur des tueries, Odinga, le rival de Kibaki vient de mettre fin aux manifestations publiques et donné une autre direction à son combat : "Nous avons vu beaucoup de souffrances causées par des actions irresponsables de la police contre des manifestants pacifiques. Nous entrons maintenant dans une nouvelle phase de la lutte qui inclura un boycottage économique par les consommateurs de grandes sociétés appartenant à des faucons proches de Kibaki", a expliqué le porte-parole de l'ODM, Salim Lone, le parti d'Odinga.

D'ores et déjà, il semble que cette nouvelle stratégie gêne le pouvoir en place, puisque le porte-parole du gouvernement, Alfred Mutua, a réagi contre cette idée : "De grâce, laissons le secteur privé en dehors de la politique".

La visite de Koffi Annan à Nairobi apporte, apparemment, une lueur d'espoir dans le règlement du conflit qui oppose les deux rivaux kenyans, Kibaki et Odinga, depuis près d'un mois.

L'ancien secrétaire général de l'ONU, arrivé dans la capitale mardi, a réussi déjà la prouesse de réunir et ramener à la raison les deux adversaires qui se sont serré la main. Il s'est particulièrement montré préoccupé par l'usage intensif de la force fait par la police, causant à la date d'aujourd'hui 790 morts.

Mais, Kibaki, en prêtant le flanc à la rencontre souhaitée par le médiateur ghanéen, reste quand même figé sur ses "acquis". Il se dit "élu en bonne et due forme qui a déjà prêté serment dans l'intention de conduire le pays vers la promotion de l'unité, la tolérance, la paix et l'harmonie entre les Kenyans". Et, pareille attitude ne semble pas du goût de son challenger qui s'estime non sans raison avoir été dépouillé de la victoire par son adversaire ayant, pour ce faire, utilisé des méthodes malsaines et décriées désormais par le monde entier.

De nouvelles violences agitent le Kenya, depuis ces dernières quarante-huit heures. On a encore dénombré, à Nakuru, 19 personnes mortes à coups de machette. Et, depuis jeudi, c'est au moins 45 tués qui sont à inscrire sur le compte déjà lourd des victimes causées par les déviances du dernier scrutin grâce auxquelles Kibaki a pu s'emparer indûment du pouvoir à Nairobi.

Les camps respectifs des deux antagonistes ont transformé depuis déjà quelques semaines leur lutte partisane en un combat interethnique qui prend des proportions de plus en plus inquiétantes et peut-être irréversibles. Pour le pouvoir, des gens, qui vivaient hier encore en parfaite symbiose, s'affrontent et s'entretuent à une cadence effrénée et il est bien grand temps de mettre fin à la spirale d'une violence aussi ravageuse.

Quoiqu'il en en soit, des deux leaders qui se disputent les rênes du pays aucun ne semble vraiment touché par le feu qui détruit tout dans le pays. Et cela, personne ne le leur pardonnera demain !

Depuis vendredi, 70 personnes au moins ont perdu la vie dans le pays, les unes par balles, les autres à coups de machette.

Les affrontements entre les services de sécurité et la population sont devenus désormais quotidiens avec leurs lots de victimes de plus en plus importants. On en est aujourd'hui à plus de mille morts, depuis les élections du 27 décembre dernier. Entre 250000 et 300000 kenyans ont quitté leur demeure pour fuir les violences.

Pour mettre fin à cette situation fustigée de partout, Odinga, l'opposant frustré de sa victoire aux présidentielles en appelle aujourd'hui à l'ONU et l'UA pour envoyer des forces de maintien de la paix dans son pays, rangeant ainsi les services de police officiels parmi les fauteurs de troubles.

Toutes les médiations entreprises jusqu'ici, y compris celle de Koffi Annan, l'ancien secrétaire général de l'ONU, se sont apparemment soldées par un échec, les deux antagonistes refusant, l'un et l'autre, de faire des concessions pour rétablir le calme.

Une lueur d'espoir a fini par poindre au Kenya à la faveur de l'accord intervenu ce soir entre Kibaki et Odinga, qui se disputaient le pouvoir depuis les dernières élections de décembre dernier.

"Les deux dirigeants ont eu des entretiens aujourd'hui (durant plus de six heures) et se sont mis d'accord sur un nouveau gouvernement de coalition qui sera dévoilé demain (dimanche) vers la mi-journée", a déclaré un responsable politique kényan sous couvert d'anonymat.

"On nous a informé qu'un accord sur le gouvernement avait été conclu et nous nous attendons à une annonce demain (dimanche)", a déclaré de son côté un diplomate occidental en poste à Nairobi.

Les négociations, durant ces dernières longues semaines, avaient achoppé sur la question de la répartition des portefeuilles ministériels. Il semble désormais acquis que Kibaki gardera le fauteuil présidentiel pendant qu'Odinga occupera celui de Premier ministre.

Il faut dire aussi que la communauté internationale, depuis Washington jusqu'à Moscou, a exercé de grandes pressions sur les deux protagonistes pour les inviter à trouver rapidement un terrain d'entente.