Le Figaro.fr - 30.06.2014
AFP, AP, Reuters Agences
Le réseau social a mené une étude sur la « contagion des émotions » sur Internet, en manipulant le flux d'actualité de 700.000 utilisateurs sans que ces derniers n'aient donné leur accord. Cette découverte a suscité une vague d'indignation.
Des enfants adorables, des vacances idylliques à l'autre bout du monde, des pique-niques ensoleillés, des soirées endiablées ... voir nos amis afficher leur bonheur sur Facebook nous conduit-il à broyer du noir? Ou, au contraire, à nous sentir à notre tour heureux? Pour le savoir, le service d'analyse des données de Facebook, aidé de deux chercheurs d'universités californiennes, a mené une expérimentation.
Durant une semaine, en janvier 2012, il a manipulé le flux d'actualité de près de 700.000 utilisateurs du réseau social américain. Certains étaient exposés à des messages majoritairement positifs. D'autres à des statuts plutôt négatifs. Un autre groupe, enfin, à des messages neutres. Le service a ensuite étudié la tonalité des messages postés par les personnes observées. La découverte de cette expérience, dont les résultats ont été publiés le 17 juin dans la revue scientifique américaine Comptes rendus de l'Académie nationale des sciences (PNAS), a suscité ce week-end une vague d'indignation aux États-Unis.
Les résultats de l'étude sont sans appel: les émotions sont contagieuses. Lire des statuts positifs nous fait nous sentir bien. Voir nos amis déprimer nous rend d'humeur maussade. Et avoir un flux d'actualité neutre nous conduit à moins poster sur Facebook. Des conclusions sans réelle surprise, mais obtenues de manière problématique. De nombreux commentateurs américains s'indignent que cette étude, qui s'apparente selon eux à de la manipulation mentale, ait été menée sans le consentement des internautes.
Le réseau social s'abrite derrière une clause de sa « Politique d'utilisation des données »: « nous pouvons utiliser les informations que nous recevons à votre sujet pour des opérations internes, dont le dépannage, l'analyse des données, les tests, la recherche et l'amélioration des services ».
Débat éthique
Mais peut-on assimiler les « petites lignes » d'un document que peu d'internautes lisent à un consentement éclairé? « Dans l'idéal, Facebook aurait plutôt cherché des volontaires et mis en place une case à cocher indiquant que vous êtes d'accord pour être le sujet d'études psychologiques occasionnelles», explique Forbes.
Interrogé par les médias américains, le réseau social semble ne pas comprendre le cœur de la polémique. « Cette recherche a été menée pendant seulement une semaine et aucune donnée utilisée n'était liée au compte d'une personne en particulier (...) Il n'y a pas eu de collecte excessive de données personnelles et ces dernières sont conservées de manière sécurisée », indique Facebook, qui place le curseur sur la protection de la vie privée alors que le débat porte sur l'éthique de telles recherches.
De nombreux internautes américains se sont dits « troublés » par la révélation de tels travaux que certains jugent « démoniaques ». D'autres ont décidé de supprimer au plus vite leur profil. « Facebook a manipulé son "fil d'actualité" pour une expérience psychologique. Le moment est venu de fermer votre compte Facebook », s'échauffait un utilisateur sur Twitter.
Un des analystes de données de Facebook ayant travaillé sur cette étude a expliqué sur son profil que le but de cette recherche était d'observer « l'impact émotionnel de Facebook ». « Nous avions peur que l'exposition à des statuts négatifs n'encourage les gens à ne plus venir sur le réseau social », indique-t-il. « Notre but est d'améliorer le service et non d'embêter les gens. Je peux comprendre pourquoi certaines personnes sont inquiètes, et moi et mes co-auteurs sommes désolés de voir le trouble qu'a causé la description de cette étude [dans la revue PNAS. »
Comme le rappelle Slate, Facebook dispose de données gigantesques sur ses 800 millions d'utilisateurs quotidiens actifs. Un véritable laboratoire du comportement humain qui a de quoi séduire les chercheurs en sciences sociales, mais qui pose des problèmes éthiques. Selon le pur player, « un débat sur ce que des sociétés privées peuvent faire des données de leurs abonnés et utilisateurs ne pourra être évité longtemps ».
(http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2014/06/30/01007-20140630ARTFIG00096-facebook-a-conduit-une-experience-secrete-sur-700000-utilisateurs.php)