L'express.fr - 26.05.2014 |
par Renaud Revel
L’image de France 2 est restée en travers du gosier du PS, où un grand nombre de ses caciques s’en sont émus. Tandis qu’à l’Élysée, jusqu’à François Hollande, elle a fait l’effet d’une douche froide, doublée d’une belle colère.
Il y eut d’abord l’interview de Jean-Marie Le Pen, peu après 20 heures : des toutes premières réactions arrachées par un envoyé spécial de la chaine décrochant le jackpot, au milieu d’une forêt de micros. À l’image d’un François Hollande à Tulle, au soir du second tour de l’élection Présidentielle.
Il y eut, ensuite, la retransmission de l’allocution de Marine Le Pen, lancée en plateau par David Pujadas, – « Vous êtes en direct, Marine Le Pen, vous pouvez y aller ! ». Deux scènes qui ont déclenché une volée de commentaires au vitriol rue de Solferino et au Château.
Accusés de faire le lit du Front national et de se lancer dans une "dérive populiste", David Pujadas est le premier visé par ces critiques. L’information de France 2 va-t-elle si mal, qu’il faille dérouler le tapis rouge aux Le Pen, père, fille et petite- fille ?, dit-on en substance. Il est vrai que l’interview d’un Jean-Marie Le Pen triomphant, quelques jours après ses propos pestilentielles sur l’immigration et "Monseigneur Ebola", avait quelque chose de terrible.
À l’Elysée, où le chef de l’État s’est emparé du dossier de la succession de Rémy Pflimlin, on cible également ce dernier: le PDG de France Télévisions est accusé de laisser filer à quatorze mois de la fin de son mandat. Et de ne pas tenir la ligne éditoriale d’une chaîne brocardée pour la tonalité droitière de sa soirée électorale. Ainsi que pour son peu d’engagement dans le traitement, en amont du scrutin, de la problématique européenne. Parenthèse : quelle curieuse idée de mettre sur le même plateau, en pareil circonstance politique, Hubert Védrine et Marc Lévy ! Un auteur de gare, dont on avait hier soir rien à faire, disons-le, du café du commerce. Et dont la hauteur d'’analyse dût laisser pantois l’ancien ministre de François Mitterrand, trop bien élevé pour s’en offusquer…
C’est une ritournelle connue: les médias sont souvent pris pour cible en pareille circonstance, d’autant plus quand la majorité en place dérouille. France 2 n’y échappe pas. David Pujadas, qu’il serait stupide d’accuser de "populiste", a-t-il voulu surfer sur l’évènement plus qu’il n’en fallait ? Fallait-il offrir au Front National un statut, une légitimité, un tréteau? Et à l’ensemble du clan Le Pen, un tel accueil? Oui, si l’on s’en tient au fond.
Pouvait-on, en effet, ignorer, minorer, nuancer, galvauder le séisme politique qui venait de frapper le pays? Où placer le curseur en pareille circonstance, quand l’évènement affole les séismographes de la politique, quand des pans entiers s’effondrent sous nos pieds, et sous les regards déboussolés d’une classe politique à la dérive?
N’est-ce pas, à l’inverse, de la responsabilité du journaliste de veiller au bon équilibre des choses, quand 64,93% des Français se sont abstenus lors de ce scrutin? Son rôle est alors de désamorcer un mimétisme propice à la panique et aux raccourcis. Le journaliste doit pouvoir jouer le rôle de fusible, de disjoncteur, de refroidisseur, de témoin critique par le recadrage.
À la manière de l’adage qui dit que « l’argent n’a pas d’odeur », on pourrait ajouter que l’audience n’a hélas pas de contenu. Tout est bon. L’époque est à l’immédiateté, à l’enrichissement de l’information par tous les moyens et tous les canaux. Relayer ou non et jusqu’à quel point? Telle est la question. Reconnaissons que l’exercice d’équilibre n’est pas simple.
Reste le poids des images et des symboles. Fallait-il nous infliger Jean-Marie ?
(http://blogs.lexpress.fr/media/2014/05/26/colere-au-ps-et-a-lelysee-france-2-fait-dans-le-populisme/)