Le Point.fr - 26/05/2014
par Guerric Poncet
Washington a dévoilé par erreur le nom du chef des espions américains en Afghanistan. Une bourde monumentale qui met en danger sa vie et celle de sa famille.
C'est ce qu'on appelle sur Internet un "fail" : un échec lamentable. La Maison-Blanche a dévoilé par erreur dans un courriel le nom du patron de la CIA en Afghanistan, selon plusieurs médias américains, dont le Washington Post, relayé par l'excellent Big Browser. Dans un document relatant la visite-surprise du président Barack Obama aux troupes stationnées en Afghanistan, le service de communication a détaillé le nom de la quinzaine de participants à une réunion au sommet sur la base de Bagram, une liste apparemment fournie par les autorités militaires.
Plus de 6 000 journalistes dans le monde auraient reçu le message, incluant en toutes lettres le nom du "chef de poste" de l'agence américaine de renseignement à Kaboul, c'est-à-dire le plus haut gradé des espions de Washington dans le pays. Même si un responsable de la communication a demandé, après quelques hésitations, aux journalistes de ne pas publier le nom qu'ils avaient reçu, il est probable que l'homme devra quitter son affectation. La CIA, qui a déjà perdu plusieurs agents notamment durant la traque d'Oussama Ben Laden, pourrait se montrer intransigeante.
La partie émergée
Toutefois, son affectation à la tête des centaines d'employés de l'agence sur place implique qu'il était vraisemblablement déjà connu des autorités afghanes, et qu'il ne menait pas directement d'actions clandestines. Il sera peut-être plus facile pour lui que pour un autre de défendre sa place, car il représente à Kaboul la partie plus ou moins émergée de "l'iceberg CIA", et opère essentiellement depuis les locaux officiels - et sécurisés - de l'ambassade.
Dans un contexte où la Maison-Blanche essaie de limiter les fuites de données, notamment via WikiLeaks puis via les documents d'Edward Snowden, cet événement tombe très mal. En effet, le gouvernement vient de faire exactement ce qu'il reproche aux "informateurs de masse" : mettre en danger la vie des personnes qui travaillent sur le terrain. Les journalistes du monde entier qui avaient exploité les informations issues des câbles diplomatiques américains publiés par WikiLeaks avaient, par exemple, pris soin de les épurer des noms pouvant mettre en danger des agents, des collaborateurs ou des fonctionnaires.
Le seul précédent de divulgation officielle du nom d'un espion de la CIA par le gouvernement américain est attribué à l'administration Bush (junior), lorsque Valerie Plame avait été exposée dans le but de discréditer son mari, ancien ambassadeur et critique acerbe de la décision d'envahir l'Irak. Mais cette manœuvre politique n'avait rien à voir avec une erreur... Finalement, on se demande laquelle des deux situations est la moins inquiétante.
(http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/guerric-poncet/cia-l-incroyable-haute-trahison-de-la-maison-blanche-26-05-2014-1827871_506.php#xtor=CS3-190)