Le Monde | 16.05.2014 |
par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
Les scientifiques l'ont baptisée Naia, du nom d'une nymphe de la mythologie grecque. Datant de 12 000 à 13 000 ans, le plus vieux squelette humain du continent américain a été découvert dans une grotte sous-marine du sud du Mexique, a annoncé l'Institut mexicain d'anthropologie et d'histoire (INAH), mercredi 15 mai. L'analyse ADN des ossements de cette jeune femme met fin au débat sur les origines des Amérindiens.
Cette découverte exceptionnelle remonte à mai 2007 dans la péninsule du Yucatan. Un groupe de plongeurs archéologues explore le réseau de rivières souterraines le plus grand du monde, près de la ville de Tulum dans l'État de Quintana Roo. Au détour d'un tunnel subaquatique, long de plus de 1 200 mètres, ils aperçoivent une énorme grotte immergée. «
On a tout de suite su que le lieu était unique par sa profondeur et son obscurité », raconte Alberto Nava, un des plongeurs qui ont baptisé le site "Hoyo Negro" (trou noir).
Au fond de la grotte, située à 40 mètres sous la surface de la mer, ils découvrent les fossiles de 26 sortes de mammifères, dont un tigre à dents de sabre et un gomphothère, animal de la famille des éléphants, avant d'apercevoir les restes de Naia. «
Quel choc, quand j'ai vu son crâne intact, avec ses dents et les orbites noirs de ses yeux », confie M. Nava.
Les scientifiques supposent que cette femme, âgée de 15 ou 16 ans, serait venue chercher de l'eau dans la grotte, avant d'y tomber, mourant sur le coup. «
À l'époque, le lieu n'était pas immergé puisque le niveau de la mer était plus bas de 120 mètres, explique Pilar Luna Erreguerena, sous-directrice de l'INAH, qui a dirigé ce projet spéléologique.
Depuis la fin de la dernière période glaciaire, il y a 10 000 ans, la montée des eaux a inondé les grottes du Yucatan. »
ORIGINE GÉNÉTIQUE D'ASIEDurant plusieurs années, une équipe internationale et pluridisciplinaire, réunissant des chercheurs américains, canadiens, danois et mexicains, a planché sur l'analyse de ces restes humains et animaliers. Les résultats de leurs travaux viennent d'être publiés dans la revue américaine Science.
La datation des ossements au radiocarbone et les analyses d'ADN mitochondrial extrait de la pulpe d'une des molaires de Naia, révèlent que son origine génétique provient d'Asie. «
Cela prouve que les premiers occupants des Amériques sont venus de Sibérie en traversant la bande de terre reliant l'Asie et l'Alaska, aujourd'hui immergée sous le détroit de Behring », assure Mme Erreguerana. Mieux, cette découverte confirme le lien entre ces Paléoaméricains et les Amérindiens contemporains.
La question a longtemps alimenté le débat entre les archéologues, car la morphologie faciale des plus anciens squelettes trouvés sur le continent, datant de 12 000 ans, ne ressemble pas à celle des actuels Amérindiens. Ces derniers ayant un visage moins long et moins étroit que ceux des premiers occupants des Amériques. «
Les restes des Paléoaméricains, qui étaient des nomades peu nombreux, sont rares et souvent en mauvaises conditions de conservation, explique Mme Erreguerana.
D'où l'importance de la découverte du squelette complet de Naia, en parfait état de préservation grâce au mélange d'eaux douce et salée des rivières souterraines du Yucatan. »
LES INDIENS DESCENDENT BIEN DES PREMIERS AMÉRICAINSOutre une datation précise, son analyse anatomique et génétique révèle que le crâne de Naia possède des caractéristiques similaires aux Amérindiens contemporains. «
Cela écarte l'hypothèse que les Indiens d'aujourd'hui ne seraient pas les descendants des premiers Américains », précise José Concepción Jiménez, chercheur en anthropologie physique. Ainsi, les peuples originelles des Amériques sont tous venus par le détroit de Behring, et non pas d'Eurasie par la mer pour certains. «
Leurs différences morphologiques sont liées à l'évolution génétique qu'ont connue les Amérindiens au cours des milliers d'années passées sur le continent, pour s'adapter aux conditions climatiques de la région », souligne M. Jiménez.
Le mystère ne s'arrête pas là. «
La découverte du génome complet de Naia nous permettra de déterminer si les maladies génétiques des Mexicains contemporains viennent, ou non, des premiers occupants du continent, de l'époque préhispanique ou du métissage lié à la colonisation espagnole », précise M. Jiménez. Autre défi de poids pour l'INAH : protéger des pilleurs le site et une partie des fossiles restés dans la grotte d'Hoyo Negro.
(http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/05/16/un-squelette-vieux-de-13-000-ans-leve-le-voile-sur-l-origine-des-peuples-des-ameriques_4419689_1650684.html#xtor=AL-32280515)