La région parisienne se rouvre aux violences

Ce qui aurait pu passer pour un banal accident de la circulation a dégénéré, l'espace de deux ou trois jours, en une série de violences inouïes à Villiers-le-Bel, une petite bourgade du Val-d'Oise.

Les faits, simples au départ, ont pris une connotation à caractère raciste qui a mis le feu aux poudres. Deux jeunes, de 15 et 16 ans, roulant trop vite à bord d'une motocross ont heurté à un feu de croisement une voiture de police et y ont perdu la vie. Cela c'est la thèse officielle que policiers et pouvoirs publics essaient de faire accréditer dans l'opinion, dans un souci probablement d'apaisement. Car, l'autre version, plutôt dérangeante et insoutenable, tendrait à incriminer les policiers dans le heurt prémédité de ladite motocross, un motif suffisamment plausible pour expliquer ces affrontements d'une rare violence qui opposent depuis quelques jours les forces de l'ordre aux jeunes des localités immédiates ou voisines.

Quatre-vingt-deux policiers, selon les dernières statistiques provisoires, ont été blessés, dont quatre grièvement, dans ces échauffourées nocturnes particulièrement sanglantes.

Une centaine de jeunes encagoulés ont jeté, à cette occasion, des projectiles ou tiré sur des policiers répliquant à coups de flashball et de gaz lacrymogène.

De plus, 63 voitures et cinq bâtiments ont, en autodafé, fait les frais de ces heurts inédits de Villiers-le-Bel et de six communes proches, à une vingtaine de kilomètres de Paris.

Une réunion prévue pour demain sera présidée par Nicolas Sarkozy autour de cette question qui suscite d'ores et déjà de fort sérieuses appréhensions. Le souvenir des graves destructions de novembre 2005 est encore frais dans les esprits pour craindre leur résurgence, dans des localités d'autant plus sensibles que rien, semble-t-il, n'ait été fait depuis cette date pour prévenir ce genre d'incidents.

Le plus inquiétant, observent les maires des localités placées au-devant de l'actualité est que "la situation dans les banlieues a empiré depuis deux ans" ou que les violences ont monté d'un cran, les attaques contre les personnes se substituant désormais aux attaques contre les biens. "Ils brûlent tout ; c'est la guerre civile", s'inquiète une habitante de Villiers-le-Bel, totalement découragée par l'intensité inédite des violences vécues en direct.

Une vidéo, prise par un voisin des lieux de l'accident, remise à la radio Générations 88, puis copiée et visionnée par des journalistes de Le Monde, laisse non seulement planer le doute sur la version donnée et défendue jusqu'ici par les services de police mais la remet sérieusement en cause.

La voiture, qui est supposée avoir été atteinte sur son flanc gauche lors de la collision avec la moto des jeunes, présente en vérité des dégâts plutôt à l'avant, et tout particulièrement à l'avant-droit puisque le phare de droite a disparu sur la photo.

En supposant, comme l'indique le journal Le Monde, dans son édition d'aujourd'hui, que des déprédations aient été commises sur le véhicule, entre le moment de l'accident et celui où il a été photographié peu après, il y a manifestement des déclarations fausses à attribuer aux policiers. Ces derniers, qui reconnaissent avoir été présents sur les lieux aux côtés des victimes jusqu'à leur évacuation, auraient manifestement réagi à des violences portées à leur voiture, et, à tout le moins, les auraient signalées instantanément à leurs supérieurs, si elles avaient effectivement eu lieu. De plus, les témoins de la scène sont unanimes à admettre qu'il n'y a pas eu de violences entre l'instant de la collision et celui de la prise en charge effective des victimes par les pompiers.

La thèse des policiers reste donc d'autant plus irrecevable que le tout premier pompier intervenu sur les lieux, et interrogé plus tard par les journalistes sous le sceau de l'anonymat, réfute l'existence d'autant de dégâts occasionnés à la voiture, du moins jusqu'au moment de son repli des lieux. Lui-même s'est dit très choqué par l'image du véhicule telle que présentée par la presse et peu en rapport avec la sienne propre retenue de sa mission.

Il y a là, de toute évidence, un méli-mélo qui entache la vérité que seule l'enquête diligentée par la justice permettra de rétablir, sous réserve toutefois qu'elle soit menée en toute bonne foi et sans aucun parti pris.

Les violences de Villiers-le-bel "n'ont rien à voir avec une crise sociale... mais tout à la voyoucratie", a martelé Nicolas Sarkozy, ce matin, devant deux milliers de policiers et gendarmes réunis à la Défense.

Rentrant de son voyage en Chine, le chef de l'Etat français, qui a tenu à donner à la rencontre un caractère solennel, a rejeté "toute forme d'angélisme visant à trouver en chaque délinquant une victime de la société, en chaque émeute un problème social".

Pour lui "La situation des banlieues est un enjeu majeur... La réponse aux émeutes, c'est pas plus d'argent encore sur le dos du contribuable... c'est l'arrestation des émeutiers".

Il estime, par ailleurs, que la crise du Val-d'Oise a été mal gérée en son absence, et que seule la manière forte constitue la réponse la plus adéquate à donner aux troubles qui ont agité la banlieue parisienne.

Dans un petit élan du coeur imposé par les circonstances, il s'est dit néanmoins disposé à "offrir plus à ceux qui veulent s'en sortir honnêtement, en leur donnant la chance d'une formation pour qu'ils aient un emploi".

Sans ne rien présumer des réactions à venir de l'autre bord, celui des milliers de jeunes issus de l'immigration, dont on sait le grand désespoir de s'insérer socialement, faute de travail surtout, il est à craindre que Sarkozy, en adoptant la même violence des mots que celle de l'ex ministre de l'Intérieur, en novembre 2005, ait mis ainsi le feu aux poudres. N'est-ce pas qu'après le nettoyage au Karcher de la racaille, un nouveau terme insultant est venu enrichir le lexique du chef de l'Etat : la voyoucratie.

Il eût été, sans nul doute, plus sage et moins provocateur, tout en dénonçant les déprédations de biens publics ou privés et surtout les actes répréhensibles et inexcusables par lesquels il a été porté gravement atteinte à la personne même des représentants de l'ordre, de réagir certes avec fermeté mais tout en se réservant une marge de souplesse, et surtout en ne cédant pas à des mouvements d'humeur regrettables.

Moins de sept mois après son élection, Sarkozy fait preuve là, pour la seconde fois, face d'un côté aux travailleurs en grève et de l'autre aux jeunes beurs en colère, d'un surcroît d'impulsivité qui, infailliblement, rejaillira négativement à la longue sur sa propre crédibilité. Au demeurant, et la remarque a été faite à bon escient ici même, l'étoffe d'un président paraît surtout un peu trop grande pour un homme de son envergure.