Le Point.fr - 05/04/2012
par Charlotte Chaffanjon
Le candidat PS, attaqué régulièrement par son adversaire UMP, a décidé de riposter. Il en a fait l'illustration à Rennes. Décryptage.
Dans son discours de onze pages prononcé à Rennes mercredi soir, François Hollande ne dit pas une seule fois le nom de Nicolas Sarkozy. Il ne l'appelle pas non plus "président", c'est un terme qu'il se réserve désormais. Dans la bouche de François Hollande, son adversaire est le "candidat sortant", expression qu'il répète vingt fois. Il n'en est pas moins au cœur de son propos, la cible de ses mots.
À 18 jours de l'élection présidentielle, quelque chose a changé. Le favori avait jusque-là toujours pris soin de ne pas riposter frontalement à Sarkozy. Lequel, de confidence en confidence, ne s'était pas privé de l'attaquer : en résumé, Hollande est un "nul" qu'il va, au choix, "exploser" ou "atomiser". La ligne rouge a-t-elle été franchie ? "Maintenant, on va le taper", a prévenu ce week-end à Mayotte le socialiste.
Pour cet homme "qui n'aime pas le conflit" - comme le confie son fils aîné Thomas -, "taper" passe par l'humour. Hollande s'est mis à dépeindre un portrait peu flatteur de son adversaire, celui qu'il aimerait que les électeurs retiennent.
Le sketch de l'ardoise
Pour cela, sur la scène du parc des expositions de Rennes, Hollande dégaine le sketch de l'ardoise, déjà rodé lors de précédents meetings. Sarkozy serait l'un de "ces enfants un peu brouillons à qui leurs parents offraient une ardoise magique" : "Ce petit matériel qui permettait aux enfants qui avaient du mal avec les mathématiques de faire des calculs qui ne tombaient jamais juste. Alors, de guerre lasse, ils tiraient l'ardoise et tout disparaissait."
Faire passer Sarkozy pour un enfant irresponsable de ses actes, l'idée est née lors du bafouillant mea culpa présidentiel relatif au Fouquet's. Hollande l'avait jugé alors "touchant".
La thématique de l'irresponsabilité est exploitée jusqu'à la corde. Comme à un ado imprudent au volant de sa première voiture, Hollande suggère de "retirer" à Sarkozy "le permis de conduire l'État" ! Même lorsqu'il le dépeint en chef, c'est pour le tourner en ridicule : "Il se vante chaque jour qu'il est le chef de tout - et il aime bien être le chef ! Chef de l'État, chef de la majorité, chef de parti, chef de famille, chef de clan, chef de caste ! Chef de tout, mais jamais responsable de rien !"
"Rien à craindre pour le financement de mes campagnes"
Mais au-delà de ses attaques pour la forme, il n'hésite désormais plus à dénoncer ce Sarkozy ami des riches en allant sur le terrain de l'affaire qui empoisonne la fin de quinquennat, l'affaire Bettencourt, et donc les soupçons qui pèsent sur le financement de la campagne UMP 2007, ce qu'il s'était jusque-là refusé à faire.
Cela commence par l'évocation classique du bouclier fiscal, péché originel selon ses détracteurs, de la mandature Sarkozy. "Quand on gagne plus d'un million d'euros avec le candidat sortant, on reçoit un chèque du Trésor public. Cela s'appelle le bouclier fiscal, maintenu jusqu'à aujourd'hui et qui sera peut-être rétabli, si affinités."
Et lorsqu'il fait mine de ne pas sous-estimer l'adversaire, c'est en fait pour lancer une frappe chirurgicale : "Nous avons devant nous des adversaires puissants, la droite coalisée, les forces de l'argent. Je ne parle pas de celles qui distribuent des enveloppes - ça, c'est le vieux temps, l'Ancien Régime ! -, mais de celles qui se versent elles-mêmes des revenus indécents. C'est ça, les forces de l'argent !" L'évocation des enveloppes n'est pas anodine.
Surtout que, plus tard, au chapitre "exemplarité", Hollande propose de réviser le statut pénal du chef de l'État "pour le rendre responsable pour les actes commis en dehors de l'exercice de ses fonctions. Et pour ma part, je n'ai rien à craindre pour le financement de mes campagnes électorales."
Enfin, lorsqu'il évoque la composition de son gouvernement dirigé par un Premier ministre, petite pique au passage : qui ne sera pas un collaborateur, Hollande glisse que dans son équipe "sera strictement respecté un code de déontologie. On ne pourra plus, par exemple, être ministre et trésorier d'un parti - cela porte malheur." Eric Woerth en sait quelque chose.
Programme caché
Par ailleurs, Hollande n'a pas besoin d'écouter la présentation du programme de Nicolas Sarkozy jeudi, car, il l'affirme : "Je vais vous faire une confidence, son projet, moi, je le connais. Et je vais vous le dévoiler, vous gagnerez 24 heures : son projet, c'est son bilan, en pire !" Un bilan brossé en quelques traits appuyés : "précarité partout, justice nulle part. L'école et l'hôpital ont été abîmés. La dette a explosé, les déficits se sont accumulés."
Quant au pire, il est à venir, sous la forme d'un programme "caché" : entre autres, "le démantèlement du droit du travail", "l'augmentation des impôts pour tous les Français" (avec la hausse de la TVA), "l'attaque contre les collectivités locales", "l'attaque contre les syndicats", "la poursuite de la dégradation de l'Éducation nationale", "les assurances privées qui prendraient progressivement la place de la Sécurité sociale", etc.
Reste à l'équipe de campagne du candidat à résoudre cette équation compliquée : comment l'emporter largement sans tabler sur le seul rejet de Sarkozy ?
(http://www.lepoint.fr/politique/election-presidentielle-2012/quand-hollande-demolit-sarkozy-05-04-2012-1448808_324.php)