Le Point.fr - 05/04/2012
par François-Guillaume Lorrain
Un homme complexe qui aura fait tourner le gratin du cinéma français vient de disparaître. Retour sur une carrière sans égal.Avec Miller, c'est tout un pan du cinéma français qui disparaît. Ce sont des films très différents,
La meilleure façon de marcher,
L'effrontée, Garde à vue,
Mortelle Randonnée,
La classe de neige,
Un secret, qui nous reviennent en mémoire. Très différents ? Pas si sûr. Il y avait chez lui un ton dur, une crudité, une cruauté, une violence psychologique passionnante qui vont manquer. Dans son livre d'entretiens avec Claire Vassé,
Serrer sa chance, où ce grand pudique s'était livré comme rarement un cinéaste français a osé le faire, il avait donné des clés de son univers : "
Je suis un pur voyeur. J'aime cette face cachée des gens, qui n'est pas noble. Je crois que l'être profond réside dans cet escalier de service de la personnalité, pour reprendre une expression de Gombrowicz."
"Ne dis jamais que tu es juif"Le cinéma ne fut pour lui qu'un jeu d'ombres et de lumières où il s'agissait de faire tomber les masques. Masques du désir, de l'obsession, du fétichisme, de la culpabilité, de l'envie, de la passion folle, de la transgression. En cela, il était le digne héritier de François Truffaut, dont il avait été longtemps le compagnon de route, exerçant sur ses films la fonction de directeur de production, avant de reprendre après sa mort un de ses scénarios fétiches,
La petite voleuse.
Miller, né en 1942, avait été un petit garçon juif chétif, qui détestait l'eau, les exercices physiques et à qui un père laïque et communiste avait expliqué : "
Ne dis jamais que tu es juif. Miller n'est pas forcément un nom juif." On comprend pourquoi
Un secret, film arrivé tard dans sa vie, fut si important pour lui, qui signait là, avec l'adaptation du livre de Grimbert, un autoportrait par la bande. Le secret. Le silence. Autant de thèmes très profondément enfouis chez un homme qui avouait dans ses mémoires avoir perdu, enfant, une petite sœur de deux mois, Annie. Un prénom qui fut plus tard - ô mystères de la psychanalyse - celui de sa femme.
TransgressionQui était vraiment Claude Miller ? On en aperçoit des éclats un peu partout dans ses films. Il se retrouvait dans le Patrick Bouchitey emprunté de
La meilleure façon de marcher, humilié et martyrisé par un Patrick Dewaere déchaîné. Il fut aussi le Michel Serrault de
Mortelle Randonnée, qui croit voir dans une tueuse (Adjani) le fantôme de sa fille kidnappée. Il fut également dans la petite Charlotte de
L'effrontée, celle qui "
n'était membre de rien, mais qui voulait faire partie de l'orchestre". Car le cinéma ne fut longtemps pour lui qu'une incarnation de la plus belle chose au monde, désirée comme une pâtisserie derrière la vitrine. Il fut aussi dans la Romane Bohringer de
L'accompagnatrice, qui s'efface derrière la grande pianiste dont elle tourne les pages. Il fut enfin, et à la fois, Robinson Stévenin et Bernard Giraudeau dans
La petite Lili, adaptation de
La mouette transposée au milieu du cinéma, où il se confrontait en secret avec ses démons de jeune et de vieux cinéaste.
Il est mort alors qu'il venait de terminer le tournage de
Thérèse Desqueyroux, avec Audrey Tautou. Un des romans les plus noirs et les plus troublants de Mauriac, où une femme qui vient tenter d'empoisonner son mari est décrite comme une victime. La transgression toujours chez ce grand lecteur de Georges Bataille. "
S'il y a beaucoup de noirceur et d'anxiété dans mes films, c'est sans doute parce que ma mère était une femme qui avait peur quand j'étais dans son ventre, en 1942", expliquait-il, sans dire s'il se contentait lui-même de cette explication. La formule est banale. Derrière un abord retenu, il y avait chez Claude Miller une grande gentillesse et une grande générosité. Une intelligence, aussi, pénétrante. Une exigence, enfin, très précieuse. Oui, Claude Miller va beaucoup manquer au cinéma français.
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