LE MONDE | 05.04.2012
par Frédéric Lemaître (Berlin, correspondant)
L'écrivain allemand Günter GrassÂgé de 84 ans, le Prix Nobel de littérature allemand Günter Grass n'a rien perdu de son goût pour la polémique. Un poème publié mercredi 4 avril par le quotidien
Süddeutsche Zeitung, le prouve. En 69 vers, ce poème intitulé "
Ce qui doit être dit" défend l'Iran et critique Israël qui, selon lui, "
menace la paix mondiale déjà si fragile". "
Je ne me tairai plus", clame l'écrivain. Et de fait, Günter Grass attaque.
Israël, tout d'abord. Ce "
pays qui dispose depuis des années d'un arsenal nucléaire croissant - même s'il est maintenu secret - et sans contrôle, puisqu'aucune vérification n'est permise". Pour l'auteur du Tambour, d'éventuelles frappes préventives israéliennes qui viseraient des installations nucléaires iraniennes, pourraient conduire à "
l'éradication du peuple iranien parce que l'on soupçonne ses dirigeants de construire une bombe atomique".
Autre cible de l'écrivain : son propre pays, qui vient de vendre un sixième sous-marin à Israël, porteur d'ogives nucléaires. Enfin, troisième cible : "
l'hypocrite Occident". Pas l'ombre d'une critique en revanche pour le régime de Téhéran. Se voulant pour l'occasion diplomate, Günter Grass propose la création d'une instance internationale contrôlant les armes nucléaires des deux pays.
Bien sûr, il n'est pas dupe. Cet homme de gauche qui n'a révélé qu'en 2006 son engagement dans la
WaffenSS en octobre 1944 s'attend à être accusé d'antisémitisme, mais, à ses yeux, ce qu'il a dit "
doit être dit".
CONDAMNATION UNANIMELe poème était à peine paru que, dans le quotidien conservateur
Die Welt, l'éditorialiste et polémiste Henryk Broder jugeait que "
Grass a toujours eu un problème avec les juifs, mais il ne l'avait jamais aussi clairement exprimé que dans ce poème". Pour lui, l'écrivain est "
l'archétype de l'érudit antisémite", de l'Allemand qui, "
poursuivi par la honte et le remords", ne trouvera "
la paix de l'âme" qu'avec la disparition d'Israël.
Israël a également réagi en publiant sur le site de son ambassade à Berlin un court texte : "
Ce qui doit être dit, c'est qu'il appartient à la tradition européenne d'accuser les juifs de meurtres rituels avant Pâques (...). Ce qui doit aussi être dit est qu'Israël est le seul État au monde dont le droit à l'existence est officiellement contesté. Cela était déjà le cas le jour de sa création. Cela l'est encore aujourd'hui. Nous voulons vivre en paix avec nos voisins dans la région. Et nous ne sommes pas prêts à accepter le rôle que Günter Grass nous assigne dans le travail sur le passé du peuple allemand."
Si, sur Internet, les avis sont contradictoires à propos du texte de Grass, celui-ci est unanimement condamné par les responsables politiques, de la CDU au parti de la gauche radicale
Die Linke, en passant par le SPD dont Günter Grass a pourtant été longtemps proche. Guido Westerwelle, le ministre des affaires étrangères, a de nouveau condamné l'Iran. Et si la chancelière Angela Merkel, en vacances, est restée silencieuse, son porte-parole, Steffen Seibert, a fait savoir qu'il n'avait "
rien de neuf à dire sur les relations de la chancelière avec la personne et l'œuvre de Günter Grass". Relations connues pour être distantes depuis des années.
(http://www.lemonde.fr/europe/article/2012/04/05/gunter-grass-accuse-israel-de-menacer-la-paix-mondiale_1681045_3214.html)