Le Quotidien d'Oran - 3.04.2012
par Samy Injar
Il existe une sourde discorde au gouvernement algérien sur la conduite à tenir dans l'affaire Djezzy. Le chiffre de 6,5 milliards de dollars a réveillé les « suiveurs ». Dans le même temps le nouveau redressement hors norme de 1,3 milliard de dollars relance le risque d'un conflit à l'international. Nassim Kerdjoudj, PDG de Net-Skills et vice- président du FCE, propose une autre démarche pour boucler l'opération. Alors que d'autres experts persistent à juger que le scénario de la non acquisition est le plus probable.
La fuite organisée, la semaine dernière, par une source interne au ministère des finances algérien sur l'évaluation de OTA par le cabinet Shearman et Sterling LLP (France) a compliqué un « processus » d'acquisition de Djezzy par l'État algérien qui était déjà bien touffu. « L'informateur de Reuters ne voulait pas que du bien à l'opération d'acquisition de Djezzy », croit savoir un haut fonctionnaire du même ministère des Finances à Alger : « le chiffre de 6,5 milliards de dollars lancé ainsi en public avait toutes les chances de choquer. En plus la source a laissé entendre que ce montant correspondait à 51% de la valeur de Djezzy et non à la totalité, ce qui n'a fait qu'accroitre l'étonnement général ».
La « fuite » du ministère des Finances qui tombe en pleine campagne électorale est jugée par ce cadre du secteur comme «un véritable coup de poignard dans le dos du projet d'acquisition de Djezzy». Le point de vue hostile à l'opération pour son coût exorbitant, pour un objectif jamais explicité, a pris à témoin l'opinion publique et la classe politique. « [i]Il s'agit de sortir 3,5 milliards de dollars des caisses de l'État pour prendre le contrôle d'une entreprise qui travaille déjà en Algérie » rappelle Nassim Kerdjoudj, Pdg de Net-Skills et vice président du FCE : « ce sont dix années de bénéfices payés à l'avance aux actionnaires de Vimpelcom, compte tenu des investissements nécessaires les prochaines années avec notamment la 3G ». Colossal.
L'épisode de la fuite du ministère des finances et du démenti du ministre Karim Djoudi sur l'acceptation par l'Algérie de ce montant de valorisation comme base de la transaction rend l'imminence d'un accord « peu probable » pour de nombreux commentateurs. Et d'abord aux yeux d'un des deux experts, proches du dossier, qui ont plaidé, le non aboutissement possible de la cession de 51% de Djezzy dans le précédent numéro du supplément économique Quotidien d'Oran-Maghreb Émergent : « l'annonce d'un redressement fiscal de 1, 3 milliard de dollars confirme bien que nous ne sommes pas dans une négociation classique. Je persiste à dire qu'il n'y a pas d'avancées et que nous sommes dans une situation où l'État algérien a choisi de jouer la montre, peut-être pour botter en touche à la fin ».
L'échec des négociations et le retour de la menace d'un arbitrage international ne sont pas exclus dans ce cas de figure. « Un redressement fiscal en cours de négociation commerciale est une arme entre les mains de Vimpelcom pour dire qu'il subit un acharnement. Les autres multinationales en Algérie ne connaissent pas ce sort », estime l'expert financier qui ajoute : « Je sais que les avocats du cabinet français qui a procédé à l'évaluation sont frustrés. Ils n'ont pas pu aller au bout de leur travail et surtout pas pu développer la bonne démarche pour faire aboutir la transaction. »
RENVERSER LA DÉMARCHE POUR ABOUTIR A LA TRANSACTION
C'est ce scénario du retour au conflit qui fait dire à Nassim Kerdjoudj que « Nous sommes dans le perdant-perdant et ce serait catastrophique pour le pays que cela persiste. Autant la réussite de Orascom a fait dire que l'Algérie était un Eldorado, autant l'issue de cette affaire pourrait définitivement faire fuir les partenaires étrangers ». Ce qui a amené vers l'impasse actuelle selon Nassim Kerdjdoudj est un « mauvais calcul » de la partie algérienne : « Djezzy ne s'est pas effondrée. Elle a subi des redressements fiscaux, des interdictions de toutes sortes et des poursuites judiciaires, mais n'a pas été lâché par les utilisateurs algériens qui ont ainsi exprimé un certain attachement à l'opérateur qui a démocratisé le mobile dans le pays ».
Conséquence, la valorisation de Orascom Télécom Algérie, propriétaire de Djezzy, est demeurée haute. Et le cabinet engagé par la partie algérienne a dû se résoudre à une estimation qui est sans doute bien plus élevée que celle à laquelle aspiraient son employeur. Pour le PDG de Net-Skills, il est vital de rapprocher les positions des deux parties et le gouvernement algérien devrait engager pour cela une cellule de médiation qui n'a d'intérêt ni d'un côté ni de l'autre pour réfléchir aux moyens d'aller au bout de cette opération « car faire machine arrière aujourd'hui peut être encore plus préjudiciable que de trouver un terrain d'entente pour rendre algérienne la majorité du capital d'OTA ».
Des experts internationaux impartiaux aideraient le ministère des Finances et le conseil d'administration de Vimpelcom à ouvrir de nouvelles pistes. Nassim Kerdjoudj s'avance même à proposer des profils comme « Hassan Kebbani, qui ne travaille plus chez Orascom. Il connaît OTA qu'il a dirigé, et est apprécié à Alger, il pourrait faire partie d'une telle cellule de médiation ».
L'idée, selon le vice-président du FCE, est de renverser la démarche actuelle. Arriver à la transaction par les incitations et non par la répression. Il s'agirait donc « d'amener les actionnaires russo-norvégiens de Vimpelcom à accepter un prix de cession plus bas en contrepartie non pas de la cessation des mesures de rétorsion, qui risquent plutôt de conduire à une décision de tribunal international préjudiciable pour l'Algérie. En échange, ils bénéficient de l'engagement de l'État pour verrouiller totalement le marché du fixe et de l'internet afin de faire de Djezzy algérianisé un acteur majeur des TIC. Ce serait alors du gagnant-gagnant ».
Dans la semaine où Algérie Télécom connaît son sixième directeur général en sept ans, la proposition n'est pas dénuée de bon sens.