LE MONDE | 17.03.2012
ÉDITORIAL
Dans le plus grand secret, le sergent Robert Bales a été transféré, samedi 17 mars, dans la nuit, à la prison de Fort Leavenworth, au Kansas, où il a été incarcéré, après avoir été évacué d'Afghanistan vers le Koweit. Ce sous-officier américain est l'auteur d'une tuerie qui, une fois de plus, fait peser de lourdes incertitudes sur les conditions dans lesquelles les forces de l'OTAN vont organiser leur retrait d'Afghanistan, toujours prévu en 2014.
Le crime du sergent Bales, arrêté après avoir pénétré, de nuit, dans plusieurs maisons afghanes et tiré à vue, tuant 16 civils dont neuf enfants, est tragiquement révélateur de tout ce qui rend cette guerre de dix ans impopulaire, aussi bien aux États-Unis qu'en Afghanistan. Selon son avocat, le sous-officier en était à son quatrième déploiement en zone de combat. Après trois séjours en Irak, où il avait été blessé, on lui aurait promis qu'il ne repartirait pas, pour, finalement, décider du jour au lendemain de le renvoyer au front, cette fois en Afghanistan. Dans cette affaire où l'accusé risque la peine de mort, la défense plaidera évidemment la trop forte pression mise sur des militaires engagés dans des guerres trop longues.
Côté afghan, on ne peut que comprendre la colère de la population, victime ou témoin de multiples bavures de la part des troupes américaines, depuis le bûcher de Coran jusqu'aux photos de soldats urinant sur les cadavres de talibans. Furieux que le sergent Bales ne soit pas jugé en Afghanistan, le président Karzaï a demandé que les militaires de l'OTAN quittent leurs avant-postes dans les villages et surtout qu'ils cessent les raids de nuit, très mal supportés par la population, mais que les responsables américains de la défense jugent les plus efficaces dans leur lutte contre les talibans.
L'ambassadeur américain à Kaboul, Ryan Crocker, a reconnu vendredi à la télévision publique de son pays que les choses tiraient en longueur. "C'est vrai, a-t-il dit, le peuple afghan et le peuple américain sont fatigués. Moi aussi, je suis fatigué." Cette "fatigue" est également sensible chez certains autres membres de l'OTAN, séduits par l'idée d'un retrait anticipé. Mais M. Crocker a rappelé à tous ceux qui ont la tentation, en particulier en période électorale, de tirer un trait plus tôt que prévu sur cette guerre dans laquelle 130 000 soldats de l'OTAN sont encore engagés, quel en avait été l'enjeu initial : obtenir que plus jamais l'Afghanistan ne serve de foyer aux terroristes, comme cela avait été le cas pour les auteurs de l'attentat du 11 septembre 2001.
Ce combat-là n'est pas encore tout à fait gagné. Les forces afghanes, formées par l'OTAN, ne sont pas prêtes à prendre en charge la sécurité de leur pays. Le dialogue avec les talibans, au Qatar, vient à nouveau d'être suspendu. Certains progrès réalisés grâce à la présence alliée, comme l'amélioration du statut des femmes, sont loin d'être consolidés. L'objectif du retrait total en 2014 était déjà très ambitieux. Avancer le calendrier serait renoncer d'office aux objectifs fixés, au terme d'une guerre si coûteuse en vies humaines.
(http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/03/17/l-afghanistan-et-la-tentation-du-retrait-accelere_1671362_3216.html)