BibliObs.nouvelobs.com - 13.03.2012
par David Caviglioli
Pour 1500 euros, dans un magasin d’électroménager, on peut s’acheter un excellent lave-linge à hublot, un sèche-linge performant et un honnête chauffe-serviette à chaleur constante. Chez Gallimard, le prix d’une buanderie toute neuve donne droit à 24 heures avec un littérateur professionnel qui se chargera de vous expliquer comment on écrit un roman.
Ces « ateliers de la NRF » commenceront en mai. La maison blanc crème propose cinq séminaires distincts, qui portent chacun un nom bien trouvé. Danièle Sallenave, qui vient de publier un récit de voyage, tiendra une classe intitulée « Carnets de route ». Laurence Cossé, qui a écrit des nouvelles, a appelé la sienne « Excellentes nouvelles ». L’éditeur Jean-Marie Laclavetine propose d’expliquer « la Fabrique du récit ».
Le poète Guy Goffette, lui, ne s’est pas foulé. Il a nommé son cours « Pour une pratique contemporaine de la poésie ». On aurait pu lui proposer « Un vers pour la route », « Po et Cie » ou encore « C’est qui qu’a poété? »
Commencer un roman, et le finir
Chacun des ateliers accueillera 15 personnes sur une durée de 24 heures, pas d’un coup, rassurez-vous. 1500 euros pour 24 heures, soit 62 euros de l’heure, la chose n’est pas donnée. Chez « l’Aleph », la plus célèbre académie d’écriture de Paris, le tarif horaire est de 12 euros (1080 euros pour 90 heures). Il faut croire que la différence paye le droit de dire à ses amis: « Ce soir, je ne peux pas: j’écris chez Gallimard. »
Le plumitif isolé qui s’acharne tous les soirs sur un pensum impubliable apprendra à maîtriser « le début et la conclusion du roman » ou l’art délicat du « découpage en chapitre », qui n’est pas à la portée de n’importe qui. Il pourra écrire des « portraits express » et construire des personnages.
Il saura enfin choisir entre un narrateur à la première et à la troisième personne, casse-tête primordial, qui lui évitera une faute de goût comme: « Il avait vingt ans. Il ne laissera personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »
« Arpentage du territoire intime »
On conseille tout particulièrement la classe de Jean-Marie Laclavetine. Cet ouvrier du développement narratif, ce technicien du schéma actanciel explique qu’un récit se construit « comme on construit un feu: brindilles, branches sèches, lourdes bûches. » Évidemment, une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit, et son atelier offrira d’aller chercher le précieux « combustible » dans un « arpentage du territoire intime ».
Que ceux qui refusent de payer pour se faire arpenter l’intimité ne désespèrent pas: l’éditeur de Tristan Garcia donne quand même quelques conseils gratuits sur le site de Gallimard. Par exemple: « partir du détail pour concevoir l’ensemble », ou encore « interroger la matière des mots ».
Un rien vaut mieux que deux tutorats
Au bout de 24 heures, l’élève aura normalement atteint le niveau d’un nouveau Tolstoï. Mais qu’il n’espère pas taper dans l’œil de son professeur. Gallimard précise bien qu’« aucun manuscrit ne devra être apporté par les participants en vue d’une publication ». La littérature, qu’on se le dise, n’est pas un métier. C’est un loisir du soir, comme le tricot et la gym suédoise.
Une bête opération permet de calculer que l’affaire devrait rapporter plus de 100.000 euros à la maison d’édition. Si c’est un succès, nul doute qu’elle persévérera dans ce nouveau business. Dans une intervention intitulée « Bête à Goncourt », Jonathan Littell pourrait expliquer comment s’assurer les faveurs des jurys d’automne. Richard Millet donnerait le cours « Écrire dans un RER plein de femmes en niqab », Muriel Barbery proposerait le séminaire « Un livre et puis s’en va », David Foenkinos enseignerait l’art de raconter les petites choses dans sa classe « Un rien vaut mieux que deux tutorats » et Jean-Christophe Rufin apprendrait à concilier littérature et relations internationales dans son stage « Diplo mais pas trop ».
(http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20120313.OBS3676/pour-62-euros-de-l-heure-gallimard-vous-apprend-a-ecrire.html)
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